LE PARISIEN MAGAZINE. Jean d’Ormesson: «Vieillir, c’est la seule façon de ne pas mourir»

Dans son dernier ouvrage, l’écrivain académicien de 90 ans règle ses comptes avec lui-même. Liberté, frivolité, éternité… Il fait pour nous un bilan de sa vie. Décapant.

Jean d'Ormesson le 19 janvier à Paris.
Jean d'Ormesson le 19 janvier à Paris.

Dans votre livre, vous vous intentez un procès à vous-même. Masochisme ?

Plutôt le souci d'éviter la complaisance. Quand je lis des articles sur moi qui se veulent critiques, je me dis qu'ils ne sont pas assez sévères… J'ai voulu parler de ma vie sans indulgence. Au fond, le propos se situe entre un procès, une confession chrétienne et une psychanalyse. C'est probablement plus proche de la confession chrétienne.

Ce regard décapant, est-ce qu'il faut un certain âge pour l'avoir ?

On me dit souvent : « A votre âge, qu'est-ce que vous avez comme expérience ! » J'ai envie de répondre : « Rien du tout ! » Je me souviens de ce que je pensais à 18 ans des vieillards – de l'Académie, souvent – qui donnaient des leçons aux jeunes gens. Je les vomissais. J'essaie d'éviter que les jeunes d'aujourd'hui me vomissent, et donc je prends les devants. Je n'attends pas que les autres m'attaquent, je m'attaque, moi.

Est-ce qu'on est plus libre, à 90 ans ?

Oui. On laisse tomber des choses encombrantes. On ne veut plus absolument épater les autres, on n'a plus besoin de faire ses preuves. Il faut faire attention, d'ailleurs, les vieillards se laissent aller comme de petits garçons… D'une certaine façon, ils sont plus naturels.

Vous ne l'étiez pas, étant jeune ?

Jusqu'à 70 ans, j'étais insupportable ! En plus des voitures, j'aimais à la folie les chaussures hors de prix, les belles chemises, j'étais plus que superficiel. Puis les années passent, le temps devient de plus en plus précieux. J'en deviens très avare. Je ne pense plus qu'à une chose : travailler.

Seriez-vous passé du vieux beau au beau vieux ?

Vieux beau ! Quelle horreur ! Mais je redoute tout autant de devenir le beau vieillard, le bon vieux. Quand j'étais jeune, je disais : « J'adorerais être ce que les Japonais appellent un trésor national vivant. » Peut-être le suis-je devenu ? C'est très difficile, vous savez : quand on vieillit, on ne sait pas qu'on vieillit. J'ai su que j'étais vieux quand je suis tombé malade. Là, je me sens mieux, mais je me méfie. Je me dis : « Surtout, ne joue pas au jeune homme ! »

Vous vous éparpillez moins, aussi…

Je me suis énormément éparpillé. Dans les plaisirs, dans le journalisme. J'ai été tenté par la politique, non pour en devenir un acteur, mais le spectacle politique m'a énormément intéressé. Je le mets aujourd'hui aussi bas que les voitures et les chemises. Tout cela est du « divertissement », au sens pascalien : on se jette là-dedans pour oublier qu'on va mourir.

N'êtes-vous pas devenu le vieux convenable, celui qui amuse, celui que tout le monde voudrait être dans notre société gangrenée par le jeunisme ?

J'ai beaucoup aimé vieillir. Eh oui ! C'est la seule façon de ne pas mourir. Je ne détesterai pas mourir non plus. C'est comme le travail. C'est une malédiction, c'est emmerdant. Mais il y a pire que le travail, c'est de ne pas en avoir. Eh bien la mort, vous croyez que c'est agréable ? C'est une malédiction, mais ce qu'il y aurait de pire, ce serait de ne pas mourir.

Vous écrivez : « L'avenir est une notion qui n'existe pas, on se la crée à chaque instant »…

J'aime ce mot de Woody Allen : « L'avenir m'intéresse : c'est là que j'ai l'intention de passer mes prochaines années. » Même à mon âge, je crois en cette phrase !