LE PARISIEN MAGAZINE. Affaire Mesrine : fin de cavale au coin de la rue

Paris, porte de Clignancourt, 2 novembre 1979. « L’ennemi public n° 1 » tombe sous les balles des policiers, au volant de sa BMW, lors d’une opération de grande ampleur qui a marqué les esprits.

Une BMW payée cash
Une BMW payée cash MANACH & BIENVENU

    Automne 1979. La France, en fin de règne giscardien, n'est pas encore sortie de la torpeur de la Toussaint. Trois jours plus tôt, la mort d'un ministre, Robert Boulin, retrouvé « noyé » dans la forêt de Rambouillet, a fait les gros titres (lire notre numéro du 15 juillet). Mais le vendredi 2 novembre, un autre drame se noue aux abords de la porte de Clignancourt, dans le nord de Paris. Des ombres en pantalons pattes d'éléphant, cols roulés et blousons de cuir ajustés s'avancent discrètement rue Belliard. Il fait encore nuit. L'un joue les clochards, à même le trottoir. Un autre est caché à l'arrière d'un triporteur. Ce sont les hommes de la brigade de recherche et d'intervention (l'antigang) de Robert Broussard et ceux de l'Office central pour la répression du banditisme, pourtant rivaux. Une fois n'est pas coutume, c'est l'union sacrée : il faut pincer « l'ennemi public n° 1 », Jacques Mesrine, autoproclamé « Le Grand ». Exilé au Canada, il s'est évadé de prison. Revenu en France, il s'est de nouveau enfui du tribunal de Compiègne (Oise) en 1973, avant d'être arrêté par Broussard. De nouveau évadé, cette fois de la prison de la Santé à Paris, le 8 mai 1978, avec son complice François Besse, il multiplie depuis les braquages et s'est récemment lancé dans les enlèvements, « spécialité » alors très en vogue, avec celui du milliardaire Henri Lelièvre, le 21 juin 1979. Contre la libération de ce dernier, il s'est fait remettre 6 millions de francs (plus de 900 000 euros) après un savant jeu de piste que la police n'a pu suivre.

    Une BMW payée cash

    La police judiciaire le traque maintenant depuis six mois. Le ministre de l'Intérieur a demandé des résultats. Les flics ont la pression. Deux jours plus tôt, ils ont enfin découvert la planque du célèbre fuyard, un immeuble moderne le long de l'ancienne ligne de chemin de fer de la Petite Ceinture. A 15 heures, cela fait maintenant dix heures que les antigang attendent que « Le Grand » pointe son nez. Mesrine, sa compagne Sylvia Jeanjacquot et leur caniche, Fripouille, finissent par sortir. Sylvia d'abord, Mesrine un peu derrière, avec une sacoche.

    Sur ses gardes. « Le Grand » entre dans un parking, seul. Il en ressort peu après au volant d'une BMW 528i couleur marron glacé. Un modèle à injection, immatriculé « 83 CSG 75 ». Il l'a acheté durant l'été à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), la ville de banlieue où il est né en 1936 et où il a grandi. La berline haut de gamme était arrivée d'Allemagne au printemps. Le directeur commercial de la concession BMW dira avoir roulé un temps avec elle, puis l'avoir revendue à un client très pressant, Jacques Vettois, « journaliste à Paris Match », qui a payé cash, plus de 100 000 francs (environ 15 300 euros). Vettois, en fait Mesrine, habitué des colonnes de l'hebdomadaire à qui il a donné une interview en pleine cavale, a fait immatriculer la berline au nom de « Nicole Canard », en réalité Sylvia Jeanjacquot. Il n'a pas lésiné sur les options : autoradio, climatisation et jantes sport, pour plus de 15 500 francs (2 300 euros environ). Il en a pris possession début septembre et a roulé moins de 3 000 kilomètres avec elle.

    Plus de vingt-cinq ans de fourrière

    Ce jour de novembre, le compteur indique 7 747 kilomètres. Mesrine fait une marche arrière vers l'immeuble du 35-37, rue Belliard, où Sylvia l'attend pour charger des bagages. Puis il redémarre, roule jusqu'au bout de la rue, tourne à droite sur la place de la porte de Clignancourt, puis à gauche vers le boulevard Ney en direction de la porte de Saint-Ouen. Il a prévu de rallier Marly-le-Roi (Yvelines), où il a rendez-vous avec un décorateur à qui il a confié l'appartement qu'il est sur le point d'acheter. Ce jour-là, c'est aussi l'anniversaire de Sylvia.

    Le dispositif policier s'est ébranlé lui aussi : une quarantaine de fonctionnaires et une quinzaine de véhicules. En tête, un petit camion bâché bleu de la marque Saviem, qui doit se placer devant la BMW pour la bloquer. Son conducteur klaxonne. Mesrine lui fait un geste de la main pour lui céder le passage. Soudain, la bâche du camion est relevée. Trois policiers armés de fusils de guerre Ruger mettent en joue le gangster. Mesrine aurait fait mine de se baisser, pour atteindre la sacoche à ses pieds. Les policiers tirent aussitôt, plus de vingt fois. Il est 15 h15. Mesrine est tué sur le coup, Sylvia, grièvement blessée à l'œil et au bras. Fripouille aussi est touché. Très vite, la presse accourt et immortalise la scène : Mesrine, écroulé derrière le volant, encore ceinturé, le visage en sang. Dans sa sacoche, deux grenades. Sur lui, un Browning. Il n'a pas eu le temps de s'en saisir. Sous les flashs, la BMW reste sur place jusqu'en début de soirée avant d'être évacuée vers un garage de la préfecture de police, pour les constatations d'usage. Mais sans être oubliée.

    Pendant des années, la puissante allemande continue d'attirer les curieux. Comme ce photographe qui, dans les années 1990, réalise un reportage prétexte à la fourrière de Bonneuil (Val-de-Marne). L'officier de presse de la préfecture, chargé de le chaperonner, le retrouve dans un coin, en train de photographier la voiture de Mesrine. La mort du gangster fait l'objet d'une enquête à rallonge, à la suite de la plainte de sa famille pour assassinat, et la carcasse ne peut être détruite. C'est un scellé majeur. La BMW rouille lentement et coûte de l'argent au contribuable : près de 5 000 euros de frais de fourrière…

    Finalement, en octobre 2006, la Cour de cassation confirme l'ordonnance de non-lieu d'un énième juge d'instruction qui a conclu à la légitime défense des policiers. Le 4 avril 2007, la BMW est transférée aux services des Domaines du ministère des Finances, sans que quiconque la réclame. Le 15 mai, un journaliste du Parisien obtient un bon tuyau et annonce la destruction administrative du véhicule. Plus de vingt-cinq ans après les faits. La dernière voiture de Mesrine est discrètement broyée dans une casse d'Athis-Mons (Essonne), avec d'autres véhicules, pour empêcher toute récupération de souvenirs…

    Il construisait sa légende