Rencontre avec Jérémy Ferrari, humour cash et investigation

LE PARISIEN MAGAZINE. Dans Happy hour à Mossoul, son nouveau livre, Jérémy Ferrari s’attaque une nouvelle fois à des sujets lourds comme les religions ou la guerre. Le résultat d’un long travail nourri par ses lectures et ses rencontres. Voilà un comique qui prend son métier très au sérieux.

    Lorsque la mère de Jérémy Ferrari a tenté de convaincre son fils que la petite souris existait, elle ne s'attendait pas à ce qu'il mène l'enquête. Le petit garçon, se doutant que sa maman glisserait une pièce sous son oreiller la nuit venue et voulant la prendre sur le fait, avait préparé un piège. Des billes répandues sur le sol et des peluches pour amortir la chute... Quand sa mère est entrée dans la chambre, patatras ! L'anecdote résume assez bien la personnalité étonnante de ce fils unique. A 32 ans, Jérémy Ferrari ne prend toujours rien pour argent comptant, vérifie les informations, se documente sur tous les sujets. Les hommes croient en Dieu ? Il ouvre la Bible et la dissèque. Il en tire un spectacle, Hallelujah bordel, joué 600 fois entre 2011 et 2014. Pour son dernier seul-en-scène, Vends 2 pièces à Beyrouth, il se met à la géopolitique. A partir de cette matière aride il obtient des barres de rire. Les terroristes, l'armée française, les associations humanitaires... Personne n'est épargné. Dans Happy hour à Mossoul, son nouveau livre, qu'il s'apprête à publier chez Michel Lafon, il invente un échange tordant de SMS entre Hitler, Staline, Churchill et de Gaulle, établit un podium des combattants les plus cocasses, imagine une version nazie de Cette année-là de Claude François... A mi-chemin entre Lorànt Deutsch, auteur du best-seller Métronome, et le corrosif Pierre Desproges.

    Un clash qui fait parler de lui

    Depuis ses débuts en 2010 chez Laurent Ruquier dans le télécrochet de l'humour « On n'demande qu'à en rire », Jérémy Ferrari a fait du chemin. Son récent spectacle était dans le top 5 des one-man-show les plus vus en 2016 (avec Jeff Panacloc, Eric Antoine...). Quelque 250 000 spectateurs se sont déplacés en seulement un an et demi. Comme en histoire, il y a les causes profondes et les raisons immédiates de son succès. D'abord, un travail immense, un spectacle exigeant. Puis une intervention remarquée face à Manuel Valls sur le plateau de « On n'est pas couché », un an environ après l'attentat de Charlie Hebdo – « Moi, je ne suis pas en guerre contre les musulmans », balance-t- il alors au Premier ministre. Sa carrière décolle. Le 15 novembre prochain, Jérémy Ferrari reprendra sa tournée des grandes salles françaises, telle une rock star. Nous sommes allés, nous aussi, travailler notre sujet. Nous l'avons rencontré, il y a quelques jours, dans un temple du savoir : la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou (Paris 4e).

    Travail de fond

    « Le savoir, c'est le pouvoir, et je voudrais que tout le monde s'en saisisse » (Christophe Meireis pour Le Parisien Magazine)

    Votre livre passe en revue un siècle de guerres. Comment l'avez-vous préparé ?

    Jérémy Ferrari Il est composé à 30 % de textes non utilisés dans mon one-man-show, et à 70 % de nouvelles recherches. Que ce soit pour mes spectacles ou pour ce bouquin, la méthode est la même : depuis quatre ans, je travaille avec un professeur de géopolitique de la Sorbonne, Jean-Antoine Duprat. J'ai aussi rencontré des photographes de guerre, des cadres de l'ONU et de l'Otan, d'anciens généraux, des légionnaires, des profs... Ensuite, j'ai une équipe qui bosse avec moi : Mickaël Dion, qui gère ma société de production, et Inès Lavieuville, qui vient de nous rejoindre. Ils font un travail de recherche et de documentation, puis je trie. Et je leur demande parfois de creuser certains domaines.

    Le conflit israélo-palestinien, la colonisation, la seconde guerre mondiale... Vous ne craignez pas de faire des erreurs en abordant de tels sujets ?

    Je vérifie tout mille fois ! Toutes les infos ont trois sources différentes. Ensuite, oui, quand j'écris dix lignes sur une période qui a duré trois cents ans, c'est sûr qu'on va me tomber dessus. Mais c'est aussi un livre d'humour !

    Quel est le but de ce livre, justement ?

    D'abord, de faire rire. Mais aussi de désacraliser le savoir. Le savoir, c'est le pouvoir, et je voudrais que tout le monde s'en saisisse. Je veux dire aux lecteurs : « Arrêtez de penser que c'est trop compliqué pour vous. » Ce livre est une manière différente et modeste d'intéresser les gens à leur histoire.

    C'est parce que vous avez arrêté l'école à 16 ans que vous vous plongez dans les bouquins d'histoire aujourd'hui ?

    J'ai arrêté en seconde, avec pas grand-chose. Quand je me suis retrouvé sur un plateau avec des journalistes ou des auteurs comme Isabelle Alonso, Yann Moix ou Pierre Bénichou, j'ai eu des complexes. Donc oui, ça me pousse à étudier mes sujets à fond.

    Pourquoi cet intérêt pour la guerre ?

    Le sujet est dans l'actualité, et je trouve qu'on ne s'intéresse pas assez à ce que font nos dirigeants hors des frontières. Et puis j'ai toujours entendu parler de la guerre d'Algérie, de la colonisation, sans vraiment connaître ces périodes. J'ai voulu comprendre.

    Dans un chapitre, vous donnez les versions officielles et officieuses de la colonisation. N'est-ce pas une distinction un peu manichéenne ?

    Je n'ai pas trouvé un seul exemple de pays qui soit parti s'installer dans un autre pays pour l'y aider. Pas un exemple non plus de nation qui ait respecté les cultures locales. Il y avait une violence inouïe. Encore aujourd'hui, on envoie des humanitaires dans des pays dont on pille les ressources. .

    Le rire coup-de-poing

    Affiche de son spectacle (SP)

    On a beaucoup parlé de vous en janvier 2016 quand vous avez interpellé Manuel Valls sur le plateau de Laurent Ruquier. Etes-vous politiquement engagé ?

    Je ne suis pas militant. Je n'ai pas de parti. Mais, pardon pour le cliché, les injustices me révoltent. Il y a beaucoup de sujets qui me font réagir. Avec Manuel Valls, on m'avait déconseillé de l'ouvrir. Mais c'était plus fort que moi ! Je voulais savoir pourquoi un dictateur comme Ali Bongo, le président du Gabon, avait été invité à défiler le 11 janvier 2015 (lors de la marche organisée à la suite de l'attentat de Charlie Hebdo, NDLR).

    Qu'est-ce qui vous fait réagir ?

    Que l'histoire des costumes de François Fillon suscite plus de polémiques que ses prises de position extrêmes sur le mariage gay ou l'IVG qui sont, pour moi, plus dangereuses.

    Vous votez ?

    Non. Je ne crois pas à la politique comme elle se pratique aujourd'hui.

    Alors, vous adhérez au projet de Jean-Luc Mélenchon d'une VIe République ?

    J'ai du mal à croire à un révolutionnaire qui se réveille à 60 ans. C'est facile de dire quand tu as, comme lui, 1 million d'euros de patrimoine : « Allez, on partage tout. » Ben oui, il te reste quinze ans à vivre, tu n'en as plus rien à faire ! Mélenchon, il a un fantasme de lui-même et de la révolution. Je ne crois pas qu'il soit vraiment en colère. C'est un bon stratège qui a senti que les gens en avaient ras le bol.

    Et Nuit debout ?

    Qui peut se permettre de passer ses journées place de la République à Paris ou de perdre deux jours pour aller manifester ? Les salariés de la SNCF, oui. Mon père, qui tenait un magasin d'alimentation à Charleville-Mezières, non. Aujourd'hui, il travaille, à 52 ans, dans la sécurité de supermarché. Il est content, il a eu un CDI. Ma mère aussi bosse dans un supermarché.

    Quelle est votre manière de vous engager alors ?

    J'essaye de proposer une date gratuite au Zénith de Paris à la fin de l'année pour les gens dans le besoin. Un public qui n'a pas les moyens de se payer une place de spectacle. Nous voulons aussi distribuer le DVD de mon spectacle en indépendant (hors circuit TF1 Vidéo ou autres, NDLR) pour qu'il soit moins cher.

    L'humour noir en héritage

    (Christophe Meireis pour Le Parisien Magazine)

    D'où vous vient cette faculté de rire du pire ?

    De ma mère. A chacun de ses anniversaires, je lui offre une couronne mortuaire avec un petit mot : « Un an de moins... » Un jour, quand j'étais petit, une cliente alcoolique est venue se « recharger » en bouteilles, dès le matin, dans le magasin de mes parents. Et elle s'est cassé la figure dans les rayons. J'ai demandé à ma mère pourquoi la dame buvait. Elle m'a répondu : « T'as vu la tête qu'elle a ? Que veux-tu qu'elle fasse d'autre ? »

    Vous emmenait-elle voir des spectacles ?

    Non, mais le théâtre, c'était à la maison. Le soir, ma mère me racontait des histoires en improvisant à partir de deux mots que je devais lui donner. Une fois, elle me lance : « Ton père sort de prison ! » Je savais que c'était faux. Elle avait déjà instauré ce rapport artistespectateur entre nous. Elle enchaîne : « Et puis il a un tatouage dans le dos. Tu ne l'as jamais vu car il met une crème pour le cacher, mais il a décidé de te le montrer ce soir. » Donc elle appelle mon père et lui dit : « Hein, tu vas lui montrer ton tatouage ? » Mon père n'est au courant de rien, mais il la connaît, donc il répond « oui ». Ils partent dans la salle de bains. Ma mère lui fait croire qu'elle lui dessine un aigle géant dans le dos, mais elle lui gribouille un petit poulet ridicule. Quand j'ai vu ce petit poulet entre ses omoplates, je suis parti dans un fou rire ! Elle a développé mon imaginaire et mon goût pour l'humour noir.

    Vos vannes, corrosives et politiquement incorrectes, ne vous ferment-elles pas aujourd'hui les portes de la télé ou de la radio ?

    Si, bien sûr ! Avec Cyril Hanouna (en 2013, il a été chroniqueur de « Touche pas à mon poste », NDLR), c'est ce qui s'est passé. Au départ, tout allait bien. Puis on a commencé à avoir des problèmes avec des associations. Petit à petit, Hanouna n'a plus ri à mes vannes sur le plateau. Enfin, l'équipe a voulu relire mes textes en amont. Donc je suis parti. A Europe 1, ça a été pire : j'avais été engagé pour une chronique quotidienne dans la matinale. On a fait deux essais pendant l'été 2016. Je voyais les cadres blêmir et m'expliquer qu'il fallait y aller mollo. Or ce n'est pas mon credo. Donc j'ai dit non.

    Vous allez mettre en scène le spectacle de Philippe Croizon, cet homme amputé des bras et des jambes qui a traversé la Manche à la nage en 2010. Pourquoi ?

    Parce qu'il a un sens de l'humour décapant. Il rit de lui-même, de son drame, de ses malheurs et c'est exactement mon genre. C'est un type extraordinaire.