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Natacha Polony : "Plus d'enquêtes, plus de débats, plus de mordant… Pourquoi nous repensons 'Marianne'"

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Face à la puissance des oligarchies et à la mécanique mortifère qui détruit la démocratie, le projet politique d'un journal d'investigation et d'engagement, capable de fédérer ceux qui croient encore au gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, est plus nécessaire que jamais. C'est ce qui nous a conduits à repenser « Marianne » pour que sa voix porte encore davantage, annonce Natacha Polony, directrice de la rédaction du magazine.

« La dictature, c’est "ferme ta gueule". La démocratie, c’est "cause toujours"… » Jamais le vieil adage n’a été aussi vrai. Ce n’est pas le silence qui nous menace mais le trop-plein. La saturation d’insignifiance. Une double mécanique mortifère détruit la démocratie : le déferlement d’informations sans hiérarchie ni recul et le sentiment chez une part croissante des citoyens qu’ils n’ont plus de prise sur la marche du monde.

Et puisque nous n’y pouvons rien, se disent-ils, autant chercher l’apaisement. Autant se replier sur le divertissement. À quoi sert encore un journal ? À l’heure des smartphones, de ChatGPT et des contenus vidéo, à l’heure des bulles cognitives et du déferlement des pulsions, tout dans cet objet semble s’opposer à la pente naturelle de l’humanité connectée.

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Le monde craque, les empires s’affrontent de plus en plus violemment, certains en France et ailleurs rêvent de guerre, la société est traversée par des tensions et des haines qui la déchirent, des risques existentiels se font jour, que ce soit à travers le dérèglement climatique ou l’extension incontrôlée de l’intelligence artificielle. Mais tout cela se mêle avec la dernière polémique à la mode, avec la nouvelle tendance de consommation. Et les médias eux-mêmes sont lancés dans une course à l’audience qui les installe comme auxiliaires des réseaux sociaux plutôt que comme instruments du débat démocratique.

Se concentrer sur l'essentiel

Marianne, dans sa charte fondatrice, en 1997, entendait s’opposer au « pancapitalisme », au « conformisme » notamment d’une « ex-gauche parisienne et bourgeoise néosoixante-huitarde ralliée au néolibéralisme le plus dogmatique », à l’« impérialisme du profit pour le profit » au « démantèlement des acquis du progrès social », au « repli nationaliste » et à la « globalisation » pour défendre la « nation républicaine » intégrée à l’Europe des peuples, le « primat de la raison », le libéralisme contre l’oligarchie, le pluralisme et l’universalisme contre le consumérisme et l’enfermement communautaire. Pourquoi ? Parce que ce positionnement, entre gauche républicaine, gaullistes sociaux et démocrates humanistes, était « comme le tiers état en 1789 : potentiellement majoritaire dans le pays, représentant politiquement fort peu de choses et, médiatiquement, quasiment rien ».

Les oligarchies sont plus puissantes que jamais, les outils de décérébration sont à l’œuvre pour rendre impossible toute forme de démocratie, mais le projet politique d’un journal d’investigation et d’engagement, capable de fédérer ceux qui croient encore au gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, est plus nécessaire que jamais. C’est ce qui nous a conduits à repenser Marianne pour que sa voix porte encore davantage.

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Face à la fatigue informationnelle et au trop-plein, nous choisissons d’évacuer le superflu et de nous concentrer sur l’essentiel, les clefs de compréhension des grands bouleversements de l’époque, le dévoilement des mécanismes destructeurs de la démocratie et des processus oligarchiques, le décryptage des phénomènes qui passent en dessous des radars médiatiques et sur lesquels Marianne fut toujours en pointe : désindustrialisation, abandons de souveraineté, fragilisation des classes populaires, recul des services publics, désertification des territoires, financiarisation de l’économie, inféodation aux multinationales et dérégulation généralisée, retour de l’obscurantisme et obsession identitaire…

Critiquer, c'est vouloir transformer

Un Marianne, surtout, qui refuse l’aberration du modèle actuel de la presse, fondé sur la dépendance aux annonceurs et l’augmentation délirante des prix. Parce que nous savons que le pouvoir d’achat des Français est grignoté de toute part, et parce que nous ne renonçons pas à nous adresser à tous, nous baissons notre prix à 3,50 €. Et nous faisons le pari que le développement de nouveaux formats numériques – vidéos, podcasts, grandes séries d’enquêtes –, ne se fait pas au détriment du papier mais vient compléter un travail journalistique dont le but principal est de vivre de son lectorat.

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En effet, nous sommes convaincus qu’une presse libre, refusant ce conformisme qui est l’autre nom de la soumission aux puissants, peut retrouver la confiance des citoyens. Une presse critique ? Oui, parce que critiquer, c’est vouloir transformer, et parce que cette femme cheveux au vent et dépoitraillée qui orne notre une est la Liberté guidant le peuple et que nous en sommes fiers. Nous croyons que la presse n’est pas là pour suivre les options politiques que la fatalité impose (et risque d’imposer en 2027) ni pour choisir son camp dans l’empire du moindre mal mais pour rendre possible l’émergence d’options politiques qui correspondraient enfin aux attentes des citoyens.

« La vérité n’a pas de maître », affirme notre une. Nous n’en sommes pas les propriétaires mais notre travail est de la faire émerger et d’en tirer notre indépendance, contre le prêt-à-penser, contre la facilité, contre les compromissions. Contre la tentation, aussi, de flatter les lecteurs dans leurs possibles préjugés et de leur donner à lire ce qu’ils attendent.

Un journal, au contraire, doit être l’antidote aux bulles cognitives des algorithmes et faire le pari de l’intelligence, du second degré, de l’impertinence, parfois de la légèreté ou de l’ironie. Dans une époque où de grands titres renoncent aux dessins de presse pour ne pas « offenser » tel ou tel groupe de pression, le rire est aussi l’affirmation de la liberté (et souvent du courage), et Marianne est fier de ses dessinateurs et de leur mordant.

Ce nouveau Marianne, qui entend marier la passion des idées et la mesure des arguments, est le fruit de notre ferveur et de la vôtre.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne