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«Aimer, boire et chanter» Un dernier Resnais pour la route

«Aimer, boire et chanter» Un dernier Resnais pour la route

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La même troupe, le même univers tourbillonnant et le réveil des sentiments endormis. L'ultime film du cinéaste disparu est un véritable coup de force narratif et cinématographique.

On peut y voir un signe. L'affiche d'Aimer, boire et chanter, d'Alain Resnais, dessinée par Blutch, montre six personnages anxieux, serrés les uns contre les autres. Au-dessus d'eux plane un ange sans ailes en complet veston, comme une menace, ou une promesse.
Alain Resnais n'est plus là, mais son film, drôle et cruel, crépitant d'audaces formelles, tout vibrant de l'amour pour des acteurs fidèles, abat gaiement les frontières entre théâtre et cinéma, en adaptant pour la troisième fois une pièce d'Alan Aykbourn (après Smoking, No Smoking et Cœurs), et parle pour lui, parle de lui, de l'inaliénable liberté de son imaginaire. La campagne riante du Yorkshire, trois maisons un peu éloignées les unes des autres, dont on ne connaîtra que les façades, parfois simplement crayonnées, et les jardinets.
Mais chaque maison, où des toiles peintes remplacent les portes, reflète cependant, par de simples détails, le statut social de ses occupants. Trois couples. Heureux ? Malheureux ? Normaux. Ni jeunes, ni vieux. A leur mi-temps. Colin, brave médecin rural (Hippolyte Girardot), et sa tornade de femme, Kathryn (Sabine Azéma), qui boit des petits coups en douce. Ils font du théâtre amateur avec Tamara (Caroline Silhol), épouse trompée et cependant satisfaite de Jack (Michel Vuillermoz), homme d'affaires nanti.
Un peu à l'écart vit la blonde Monica (Sandrine Kiberlain, délicieuse recrue de la troupe Resnais), récemment appariée au fermier Simeon (André Dussollier). C'est alors qu'on apprend que George est atteint d'un cancer foudroyant et n'a sans doute plus que quelques semaines à vivre. Quel George? Le George de chacun et de chacune. Ami d'enfance, amant lointain, mari ancien, George est cher à tous, à toutes surtout ! Coup de force narratif foudroyant, on ne le verra jamais, mais son agonie programmée va provoquer une irrésistible pagaille affective collective ! George devient le catalyseur des conflits endormis, le révélateur des rêves inassouvis, le perturbateur magnifique d'existences provinciales assagies. George a décidé d'un voyage à Tenerife, son dernier voyage... On connaît des destinations plus grisantes, pas pour les trois femmes, qui se sentent pousser un voile d'infirmière.
Qui va-t-il y emmener ? Kathryn croit qu'elle est l'élue. Tout comme Tamara. Et Monica également. Embrasement de jalousies croisées, quiproquos en cascade, désarroi des hommes. Mais il ne s'agit pas d'un banal vaudeville, c'est bien plus fort, et bien plus beau : c'est bien à George, l'invisible à nos yeux, l'absent si présent, que l'on doit le réveil violent des sentiments, que nos trois couples assoupis vont se sentir à nouveau... vivants.
Il ne faut jamais raconter la fin. Mais, il y a un signe. Une très jeune fille en noir pose une carte postale sur une tombe. Cette carte représente un ange encore, il a des ailes cette fois, mais aussi une tête de mort. On entend alors la valse de Strauss donnant son titre au film : «Sachons aimer, boire et chanter/C'est notre raison d'exister...» A Alain Resnais, pour la vie.
Aimer, boire et chanter d'Alain Resnais.
En salles.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne