Accueil

Culture Littérature
Louis Aragon, 1980. APESTEGUY/SIPA
Louis Aragon, 1980. APESTEGUY/SIPA
APESTEGUY/SIPA

Le "mentir-vrai" d'Aragon

Livres

Par

Publié le

La biographie écrite par Pierre Daix, tout comme le récit fictionnel de Gérard Guégan, font du poète et écrivain communiste le roi de l'ambiguïté.

>>> Article paru dans Marianne daté du 27 mars Louis Aragon s'était fait le chantre du « mentir-vrai ». Parce que le mensonge est la grande affaire de sa vie. Il est né dedans. Il a grandi élevé par une mère qu'il croyait être sa sœur et par un père qu'il croyait être son parrain. Son roman familial est en soi une saga. La réécriture des faits n'est pas chez lui un art poétique, mais une véritable deuxième peau. Le mensonge était l'avenir de cet homme.

Son biographe récemment disparu, Pierre Daix, revient dans Aragon retrouvé sur les mensonges des années de jeunesse du poète et sur son propre travail de biographe, sans cesse remis en question. Avec beaucoup d'honnêteté, il avoue sa complicité involontaire dans l'écriture d'une vie façonnée par Aragon lui-même.

Les publications récentes de correspondances intimes éclairent d'un jour nouveau les années sombres de la jeunesse du poète. Sombres à cause de la guerre et parce qu'Aragon s'y dissimule. Ses deux grandes amitiés de jeunesse, avec André Breton puis avec Drieu la Rochelle, furent autant l'objet d'une réécriture soigneuse que ses amours clandestines. Ses relations tumultueuses avec Breton sont elles-mêmes marquées par la duplicité : Aragon, malgré les oukases de son ami surréaliste contre le roman, continue d'écrire ce qui deviendra Anicet. Comme il taira à Breton son amitié naissante avec Drieu la Rochelle. Plus tard, lorsqu'il rompra avec l'écrivain devenu gênant politiquement, non seulement il gommera l'importance de cette amitié sulfureuse, mais il oubliera de dire que, si la rupture fut officiellement consommée pour des divergences idéologiques, elle fut en vérité d'abord motivée par l'amour d'une femme, Eyre de Lanux.

Pris à son propre piège

Même lorsque Aragon se confie, et peut-être surtout à ce moment-là, il ment par omission. « Il reconstruit », comme il le dit lui-même, ce monde qui lui a échappé. Ou celui qu'il veut livrer à la postérité. Etre le biographe d'Aragon, écrit Pierre Daix, c'est « forcer les serrures des prisons bâties contre lui par ceux qu'il juge les siens, mais où lui-même s'enferme ». Et, pour cela, le biographe, après ses faux témoignages, doit se faire le complice d'une évasion posthume en nous livrant de nouvelles clés.

Nous sommes en 1952. Une autre époque mais les mêmes ambiguïtés. Aragon est maintenant au comité central du Parti communiste. Dans le piquant Qui dira la souffrance d'Aragon ? Gérard Guégan prend Aragon à son propre jeu en récrivant un épisode de sa vie. Comme si la fiction pouvait seule s'approcher de la vérité d'une vie qui fut si romanesque.

L'auteur y tient la chronique d'une rencontre amoureuse entre le poète et Mahé, un apparatchik du Parti communiste, en poste à Moscou, venu à Paris le temps d'un procès politique. Les manœuvres politiciennes appartiennent à la petite histoire du Parti et les détails de leur histoire d'amour appartiennent au roman. Guégan mêle les histoires, la grande et la petite ; la vraie et la rêvée, les mots d'auteur et les fausses répliques, pour analyser des sentiments qui révèlent les contradictions du poète, des postures qui éclairent ses blessures. L'amant d'Aragon veut comme épitaphe sur sa tombe : « Je n'ai fait que passer/C'en valait la peine ». Et le poète pourrait presque compléter : « Je n'ai fait que mentir/Pour cacher ma peine ».

Aragon retrouvé, 1916-1927, de Pierre Daix, Tallandier, 224 p., 19,90 €.
Qui dira la souffrance d'Aragon ?, de Gérard Guégan, Stock, 273 p., 19,50 €.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne