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Sebastian Rotella : voyage chez les barbouzes et barbus

Sebastian Rotella : voyage chez les barbouzes et barbus

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De l'Argentine à l'Irak, en passant par la France et l'Espagne, le journaliste du "Los Angeles Times" fait suivre à son héros la trace des réseaux du terrorisme islamiste. L'actualité récente confère au "Chant du converti" la force d'un docu-fiction particulièrement à jour sur les ressorts du djihadisme comme sur les ambiguïtés des politiques mises en œuvre pour le combattre.

>>> Article paru dans Marianne daté du 17 octobre
Indubitablement, passionnément, Sebastian Rotella est journaliste, ce beau métier à l'agonie dont on dit aujourd'hui tant de mal. De simple copy boy* au Chicago Sun Times au statut de grand reporter reconnu par ses pairs, il en a gravi tous les échelons et aimé toutes les facettes. Les journalistes frustrés ou médiocres font rarement de bons romanciers. Quand il a publié son premier livre, Triple Crossing, paru en France en 2012, Rotella n'a pas connu ce genre de déboire, immédiatement salué pour ses qualités de prosateur digne des meilleurs page-turners américains, mais aussi pour ses vertus d'« éclaireur de réel ». « Lire Rotella équivaut à porter des jumelles de vision nocturne : vous apercevez des choses dont vous ignoriez jusqu'à l'existence », s'enthousiasmait alors le critique du New York Times. Triple Crossing explorait un univers, invisible pour le commun des mortels, sur lequel Rotella a longuement enquêté pour le compte du Los Angeles Times : la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, ses trafics en tout genre, la puissance des cartels, leurs relais dans des forces de police corrompues, mais aussi l'expansion irrésistible des réseaux narco à travers l'Amérique latine.
Docu-fiction
Avec son deuxième roman, il élargit la focale et saute les frontières, de l'Argentine à l'Irak, en passant par la Bolivie, la France et l'Espagne. Dans son viseur cette fois, les réseaux du terrorisme islamiste, autre territoire sombre de la « mondialisation heureuse » que Rotella a pareillement observés, du Maghreb à l'Arabie saoudite, lors de ses six années passées à Paris comme chef du bureau du LA Times. Pour incarner la complexité de cette toile d'araignée qui prospère aux confins du terrorisme international et des mafias converties aux méthodes du management moderne, Rotella a repris le personnage de Valentin Pescatore, le jeune flic dur à cuire, tourmenté et idéaliste au cœur de l'intrigue de Triple Crossing. « Je l'aime bien, il va où je suis allé mais franchit aussi les limites que le journaliste doit se fixer. » L'action, l'impact direct sur le monde réel, du moins l'illusion de pouvoir faire « bouger les lignes ».
Pour les paresseux, disons simplement que l'histoire oppose Pescatore à un ami de sa jeunesse marginale à Chicago, Raymond Mercer, autrefois trafiquant de seconde zone, mais, tel un Tapie de la zone, capable d'embobiner à peu près n'importe qui. L'ancien fêtard s'est converti à l'islam, parle d'identité et d'impérialisme occidental. Son rôle dans des attentats sanglants, ses liens avec diverses factions, prétendument concurrentes, de l'islamisme radical, mais aussi les services de renseignements américains ou français, vont se dévoiler peu à peu.
L'actualité récente confère au Chant du converti la force d'un docu-fiction particulièrement à jour sur les ressorts du djihadisme comme sur les ambiguïtés des politiques mises en œuvre pour le combattre. C'est aussi, à nouveau, une réflexion sur la frontière, au cœur de l'expérience personnelle de Rotella, fils d'émigrés (père italien, mère espagnole) grandi à Chicago, qui s'est toujours perçu comme autre, et qui, d'une certaine manière, interroge ici ce qui peut encore rapprocher « sales Français » et « maudits Arabes ».
* Dans les salles de rédaction, les copy boys organisaient la copie transmise par les reporters de terrain.
Le Chant du converti, de Sebastian Rotella, Liana Levi, 400 p., 20 €.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne