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Toute ressemblance... ne serait pas fortuite

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Toute ressemblance... ne serait pas fortuite

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Boris Vian crachait sur les tombes. Jean-Claude Pirotte, sur son visage. C'est un peu la même chose : sa tombe, c'était son corps qui le faisait tant souffrir. Portrait craché, un titre drôle et provocateur inspiré par son reflet dans la glace. Alors il parle de lui à la troisième personne. «Je est un autre» : et l'autre va mourir. Bientôt. Pirotte mettait de la poésie dans son vin et de l'ivresse dans ses vers. La paralysie faciale qui le défigurait l'empêchait de fumer à sa guise, mais il persistait. Excès de tabac, de vin, de liberté, il faut bien mourir de quelque chose. Mais Pirotte aimait croire que c'est un excès de poésie qui l'emporterait puisque la poésie l'emporte toujours à la fin. Un cancer du rein l'obligeait depuis longtemps à se déplacer avec prudence, lui l'avocat en cavale devenu poète par effraction. Il appartenait, comme il l'écrit, à «la communauté fraternelle des cancéreux». Il se battait contre la maladie, mais plus encore «contre le cancer des âmes qui se répand plus vite encore que celui des organes du corps». La maladie l'empêchait de bouger, mais pas de s'évader. D'ailleurs, dans son Portrait craché, il oublie bien vite de parler de ce corps dans lequel il est incarcéré. Il a rassemblé autour de lui les recueils de poésie qui ont nourri ses jours et ses insomnies. Les livres sont sa famille d'adoption et les poèmes sont pour lui autant de souvenirs d'enfance. Jean-Claude Pirotte n'attendait pas la mort. Il est entré en elle comme il est entré un jour dans la clandestinité : par choix. Par goût de l'évasion aussi. Il a choisi de s'absenter de la fureur du dehors. Il aimait citer un vers de Mellin de Saint-Gelais : «Et puis de nous ne reste qu'une fable...» Celle de Pirotte se dira en vers, mais elle n'aura pas de morale. Et elle aura le joli reflet d'un vin d'Arbois.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne