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Comment les gouvernements ont massacré le luxe «made in France»

Comment les gouvernements ont massacré le luxe «made in France»

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Allons-nous bientôt sonner le glas de l'industrie française du textile, de la mode et du luxe ? Au moment où toutes les personnalités politiques prétendent vouloir sauver le « made in France », nous assistons paradoxalement à la disparition des derniers sites français de production. Récit d'un déclin industriel et économique par Francis Journot.

Lors d’un débat a propos du « made in France », organisé le 23 janvier 2012, au salon du prêt à porter Paris, Jean Pierre Mocho, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin depuis 12 ans et de l’Union française des industries de l’habillement pendant 6 ans, affirmait : « L'origine des produits reste secondaire pour les acheteurs (...) Le consommateur est plus attaché à sa marque qu'à son lieu de fabrication. Ça ne plaît pas à tout le monde, mais c'est un constat évident. »

Le Député européen et ancien directeur général du CREDOC (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie), Robert Rochefort, avait alors fait remarquer à Jean Pierre Mocho : « La filière a une part de responsabilité dans le problème actuel, vous avez fait perdre au consommateur la perception de la valeur réelle, et symbolique, des produits d'habillement. De fait, le made in France, si vous n'y croyez pas vous-même, ne sert à rien », puis il avait reproché « l'usage abusif du nom "Paris" comme marque de qualité. »

Il convient de souligner que Jean Pierre Mocho était en septembre 2011, le signataire d’un accord de coopération exclusif entre la France et la Chine, prévoyant notamment « la mise en œuvre d’une coopération industrielle, l’échange de stylistes, modélistes, techniciens et plus généralement d’expériences professionnelles et de formations ». En clair, la livraison à la Chine de ce qu’il reste de notre savoir faire !En 2010, le gouvernement a proposé, sans conviction, une charte de bonne conduite entre les griffes de prêt-à-porter et les façonniers, mais les grands groupes du luxe ont évidemment refusé de s’engager sur des quotas minimum de vêtements « made in France ». Les marques de luxe délocalisent discrètement depuis plusieurs années et aujourd’hui [la plupart d’entre elles fabriquent déjà une part importante de leur production hors de nos frontières. ]url:../../Luxe-le-made-in-Italie-ou-France-se-fabrique-a-Canton-et-a-Cracovie_a203164.html

Pourtant, en 2009, dans son rapport commandé par le ministère de l’industrie Un plan pour la façon française, Clarisse Perrotti Reille mettait en garde les donneurs d’ordres de la mode et du luxe :

« La question du savoir-faire français et de son rayonnement se pose avec une très vive acuité. Il ne faut pas s’y tromper, la façon française et notamment la Haute Façon constitue un enjeu stratégique majeur pour l’économie française. En effet, si par grand malheur, elle devait devenir anecdotique ou pire disparaître, le leadership mondial de la France en matière de mode, de créativité, de luxe en serait graduellement affaibli et, à terme, compromis (...) La filière de la façon comptait 6 000 employés fin 2008 et perd jusqu'à 1 000 emplois par an. »

Chaque mois, des façonniers ferment des ateliers et on peut craindre la disparition avant cinq années, de la plupart des 3 000 dernières ouvrières de la filière, alors qu’à son apogée, le secteur du textile habillement employait plus d’1 million de personnes et gênerait encore 2 ou 3 millions d’emplois indirects et induits.

Plusieurs siècles auront été nécessaires pour que la France bâtisse son leadership mondial en matière de mode et confère à Paris son statut de capitale mondiale de la Haute-Couture. Mais quelques années auront suffi aux marques de la mode et du luxe pour compromettre cette réputation et ruiner cet héritage.

Le salon « made in France » 2012 se tiendra les 28 et 29 mars et regroupera à peine 60 façonniers de l’habillement au lieu de 120 en 2008. On peut craindre que le salon de la Haute Façon 2012 soit l’une des dernières éditions de ce salon de l’excellence du savoir-faire français.

Selon le ministère de l’Économie et des finances, 5 % des vêtements vendus dans l’hexagone sont fabriqués en France. Ce chiffre déjà très bas est pourtant surestimé et la part des achats de vêtements effectués aujourd’hui par nos concitoyens, pourrait s’avérer encore inférieur.Lors de l’annonce de sa candidature, Nicolas Sarkozy nous a fait part de sa résignation face à la mondialisation :
« Le textile ne marche plus car il y a une concurrence effrénée en Inde et ailleurs », mais nous a néanmoins présenté la maroquinerie haut de gamme comme un secteur d’avenir.

Notre président s’est également félicité de son intervention pour former au métier de maroquinière — 93 des 340 salariées licenciées de Lejaby — mais n’a pas semblé regretter le gâchis de la disparition du savoir-faire du dernier fleuron français de la lingerie de luxe.
Cependant, selon Raymond Vacheron, responsable CGT textile : « À Lejaby, les salariées produisent sept soutiens-gorges de l’heure, et sur un soutien-gorge qui se vend 80 euros dans le commerce, seulement 2 euros servent à rémunérer le travail ! ». Même si l’on compte un coût de production plus réaliste de 10 ou 12 euros, on s’aperçoit que la délocalisation n’était pas inéluctable.

Par ailleurs, la maroquinerie haut de gamme qui, selon Nicolas Sarkozy, offre davantage de perspectives d’avenir que le textile, ne fournit qu’une dizaine de milliers d’emplois de production dans l’hexagone et la plupart des articles vendus en France, du bas au haut de gamme, proviennent d’Asie.
Les marques de maroquinerie fabriquant encore en France, sont rares : parmi les plus fameuses, Hermès, qui emploie 1 700 ouvriers, et Louis Vuitton (Groupe LVMH), dont les articles en toile cirée ornée du célèbre monogramme, génèrent 3 000 ou 4 000 emplois sur les sites de production implantés en France.

La concurrence effrénée et déloyale provoquée par le dumping monétaire, social et environnemental de pays en développement, n’est évidemment pas spécifique aux secteurs du textile et de la maroquinerie. Aujourd’hui, aucun secteur n’est épargné et faut-il pour autant renoncer définitivement à produire en France alors que notre déficit commercial a augmenté de 35 % en un an pour atteindre son record avec 70 milliards d’euros en 2011 et que l’on compte 1 million de chômeurs en plus depuis 5 ans ?
Certes non, et il existe des solutions pour [relancer l’industrie manufacturière des biens de consommation]url:../../Comment-creer-un-million-d-emplois-maintenant-_a215221.html , à condition bien sur, d’en avoir la volonté politique. La fabrication des articles de luxe, tant vantée par toutes les personnalités politiques comme l’un des atouts essentiels de la France au même rang que les nouvelles technologies, les produits innovants et les R&D, a été majoritairement délocalisée et ne représente que 25 000 ou 30 000 emplois de production en France. Si l’on rapporte ce chiffre à notre population active de 28 millions de personnes, cela ne représente qu’un chiffre dérisoire d’un emploi pour mille actifs.
Le secteur du luxe réalise un chiffre d’affaires proche de 50 milliards d’euros que se partagent quelques groupes qui créent peu d’emplois en France et contribuent peu à notre économie.
Pour exemple, LVMH, n°1 mondial du luxe, a réalisé en 2011, un chiffre d’affaires de prés de 24 milliards d’euros mais 77 % des 80 000 salariés du groupe sont employés hors de France. Soit, selon nous, moins de 7 000 ou 8 000 emplois manufacturiers dans notre pays.Les lobbies mondialistes qui ont préconisé et accompagné la délocalisation de l’industrie, sont souvent les interlocuteurs privilégiés des gouvernements et cette collaboration contre nature a renforcé la légitimité de ces groupes d’influence.
La reconnaissance providentielle de l’état, a ainsi fourni des moyens supplémentaires à ces inconditionnels partisans de la mondialisation et encore accéléré la délocalisation de l’industrie française.

Les dirigeants des organisations professionnelles de la mode et des autres secteurs industriels portent une lourde responsabilité dans la délocalisation de l’industrie française. Leur efficace lobbying pour la désindustrialisation coûtera des centaines de milliards d’euros à notre pays et la perte d’activité risque d’handicaper notre économie pendant plusieurs décennies.

Ces lobbies ont livré les industries patrimoniales à nos concurrents économiques et ainsi provoqué un chômage massif et des déficits publics colossaux.
Complices, nos gouvernements successifs, de droite ou de gauche, ont, au nom du dogme néolibéral du libre-échange, également trahi la confiance de nos concitoyens, ouvriers et consommateurs, en collaborant au démantèlement d’une industrie française patiemment construite et riche d’un savoir-faire appartenant au patrimoine national.


Francis Journot fait partie des mouvements associatifs Rendez-nous notre industrie ! et de Vêtements made in France qui sont des associations citoyennes indépendants et sans appartenance politique.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne