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La non stratégie économique de François Hollande

La non stratégie économique de François Hollande

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Volte-faces, imprécisions, cafouillages : la politique économique de François Hollande suscite de vives critiques, et beaucoup d'inquiétude dans un contexte de crise déjà anxiogène.

Mais pourquoi les socialistes ont-ils donc décidé d’enfourcher le cheval de bataille de la compétitivité des entreprises ? Assurément, ils ont été mal inspirés de s’emparer du dossier fétiche de la droite et des milieux d’affaires car, depuis qu’ils s’y sont risqués, ils multiplient les maladresses.
On aurait tort, pourtant, de railler l’Elysée ou Matignon au seul motif que ces changements de pied ou ces bévues font désordre. Car l’affaire révèle quelque chose de plus grave que de simples maladresses. Elle met surtout en évidence que la politique économique du gouvernement n’a pas de ligne directrice ni de source d’inspiration.
En d’autres temps, pour reprendre une formule qui fleure bon le marxisme, on aurait dit qu’elle ne s’inscrit pas dans une Weltanschauung – une vision du monde. Ou, si l’on préfère, une perspective de long terme.
Reprenons le film de ces derniers mois : on aura tôt fait de cerner la gravité du problème. D’abord, en janvier, François Hollande rejette la proposition de Nicolas Sarkozy visant à alléger le coût du travail, en transférant sur les consommateurs, via une hausse de la TVA, une partie des cotisations familiales à la charge des employeurs. Pour justifier son veto, le candidat socialiste avance de solides arguments. Primo, la TVA est un impôt injuste, qui risquerait en outre de peser lourdement sur un pouvoir d’achat déjà en chute libre. Secundo, dans son principe même, un transfert de charges à l’avantage des entreprises et au détriment des salariés ou des consommateurs ne se justifie pas.
A l’époque, François Hollande dénonce donc une « mystification économique », car le projet risque de peser sur la demande et de faire le lit de la récession, et une « faute sociale », car la bataille pour améliorer la compétitivité des entreprises n’exige en rien de réformer le mode de financement de la protection sociale. La voix du bon sens : améliorer la compétitivité des entreprises, évidemment ! Mais en dynamitant notre modèle social, jamais !
Mais, début juillet, brutal changement de cap : en ouverture de la conférence sociale, le nouveau chef de l’Etat prend l’exact contre-pied de ce qu’il avait affirmé six mois plus tôt et fait savoir que cette question du coût du travail figure parmi les priorités de son quinquennat et qu’il demande au gouvernement d’ouvrir un nouveau chantier, pour réfléchir aux nouvelles modalités de financement de la protection sociale. Sous-entendu : c’est une possible hausse de la CSG qui a maintenant les faveurs de la puissance publique, mais, sur le fond, le principe de la réforme resterait le même. Il s’agit toujours, en bref, d’organiser un gigantesque transfert de charges à l’avantage des entreprises.
Preuve de cette stupéfiante volte-face : dans la foulée, l’ancien patron d’EADS, Louis Gallois, est chargé par Matignon d’un rapport sur la question. Lequel dit au même moment à qui veut l’entendre qu’il est partisan – comme les cercles dominants de la droite ou des milieux d’affaires – d’un « choc de compétitivité », c’est-à-dire d’un transfert de charges sociales massif, de 30 à 50 milliards d’euros.
Et puis voilà qu’en cet automne, la danse de Saint-Guy recommence. Alors que la récession menace et que le chômage s’envole de manière vertigineuse, le gouvernement découvre un peu tard qu’il y a peut-être plus urgent à faire que de lancer cet immense Meccano. Et qu’il y a, en outre, mille et un autres moyens, plus intelligents et socialement moins sulfureux, de stimuler la compétitivité des entreprises – et notamment ce que les experts dans leur jargon appellent la « compétitivité hors prix ». Par exemple en favorisant la recherche et le développement ; ou encore en améliorant les systèmes de financement de l’industrie, par le truchement d’une nouvelle Banque publique d’investissement…
Où est donc, dans tout cela, la stratégie économique de François Hollande ? La faille principale, la voici : c’est qu’en vérité il n’y a pas de stratégie du tout. Faut-il conduire une politique de l’offre, avantageant les entreprises ? Ou alors une politique de la demande, épargnant les consommateurs et les salariés, sinon une politique de relance ? En d’autres époques, les socialistes se sont divisés sur ces questions, affichant avec passion leurs sources d’inspiration. Il y a eu les néokeynésiens, version 1981, partisans d’une relance par la consommation ; il y a eu les rocardiens, version 1988, adeptes d’une ouverture au libéralisme ; il y a même eu les ultralibéraux, version Dominique Strauss-Kahn ou Laurent Fabius à la fin des années 90, partisans d’une déréglementation échevelée.
Mais, dans le cas de François Hollande, on peine à l’affubler d’une quelconque étiquette. Epaulé par un ministre des Finances inconsistant, Pierre Moscovici, dont la parole ne porte pas, on ne sait pas bien où il va. Lui-même le sait-il, d’ailleurs ? Sans doute la politique économique actuelle est-elle d’inspiration sociale-libérale, plus à l’écoute des doléances patronales que des souffrances sociales. Mais cela n’est pas même assumé comme tel. D’où un sentiment de désordre et de cafouillage. Pour tout dire, un grand sentiment de gâchis.
Voilà la nouvelle politique économique : cap sur le brouillard !

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne