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Dans le pays bigouden, ici au Guilvinec (Finistère), les élus locaux redoutent la destruction de 700 emplois liés à la pêche.
Dans le pays bigouden, ici au Guilvinec (Finistère), les élus locaux redoutent la destruction de 700 emplois liés à la pêche.
FRED TANNEAU / AFP

Brexit, crise énergétique, écologie : Pourquoi l'activité des marins-pêcheurs est-elle en péril ?

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Le plan de sortie de flotte acté par le gouvernement en réponse aux conséquences du Brexit va amener à la destruction de 90 bateaux français, dont la moitié en Bretagne, où les élus locaux craignent une crise sociale et économique. Les marins-pêcheurs doivent en plus faire face à la flambée de l'énergie et à l'interdiction prochaine du chalutage de fond.

90 bateaux de pêche français vont partir à la casse dans les prochaines semaines. La saignée va être particulièrement vive en Bretagne, qui concentre la moitié de ces navires à disparaître. La destruction de ces navires est programmée dans le cadre d'un « plan de sortie de flotte », présenté par le gouvernement le 17 février dernier, pour faire face aux conséquences du Brexit. Après une bataille diplomatico-commerciale de plus d'un an entre Paris et Londres, arbitrée par Bruxelles, la France a obtenu 1 054 licences de pêche du Royaume-Uni et des îles anglo-normandes, permettant aux titulaires de continuer à pêcher dans leurs eaux, comme avant le Brexit.

Mais certains sont restés sur le carreau. En réponse, l'État et la Commission européenne proposent aux armateurs de certains bateaux sélectionnés de recevoir une indemnisation contre la destruction de leurs navires. En Bretagne et ailleurs, l'occasion a souvent été saisie pour liquider de vieux bateaux, gourmands en carburant et peu rentables.

Risque pour les emplois à terre

Mais les conséquences sociales risquent d'être lourdes. L'inquiétude est vive dans le pays bigouden, à la pointe sud du Finistère, où la pêche est un poumon économique et un symbole très fort. « Le Pays bigouden, ce n’est pas la Baule ni Saint-Tropez, la pêche, c’est son identité, son origine. Quand on va casser 20 bateaux, chez nous, c’est 500 emplois qui vont partir, 120 à 150 marins qui n’auront plus de bateau pour aller en mer mais c’est surtout les nombreux emplois à terre qui vont être impactés : mareyage, transport, chantier naval, avitaillement… », tempêtait ainsi Stéphane Le Doaré, le président de la communauté d'agglomération du sud du pays bigouden, lors de ses vœux de début d'année, rapportés par le Télégramme.

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Puisqu'un emploi en mer en engendre trois ou quatre à terre, 700 emplois seraient en danger dans le pays bigouden selon les élus locaux, qui organisent une manifestation ce samedi 25 février. Ces derniers redoutent notamment que cette crise économique ne détériore la vie locale, dans une région de plus en plus concernée par la multiplication des résidences secondaires.

Ce plan n'est pas inédit et il rappelle un mauvais souvenir. Au début des années 1990, le « plan Mellick » (du nom du ministre de la Mer Jacques Mellick) avait sonné la fin d'une période de prospérité pour la pêche bretonne. Bruxelles demandait alors des coupes dans les flottilles, menacées alors par l'augmentation trop importante du nombre de navires et la concurrence européenne. Les ports s'étaient vidés. Dans le pays bigouden, Le Guilvinec, deuxième plus important port de France, avait notamment perdu 93 bateaux entre 1991 et 1995. La crise avait déclenché un vaste mouvement social, marqué par l'incendie accidentel du Parlement de Bretagne à Rennes en 1994.

Décisions européennes

Les conséquences du Brexit ne sont pas le seul nuage qui plane au-dessus de la tête des marins-pêcheurs. Une autre préoccupation majeure vient de la Commission européenne, qui a dévoilé un plan pour « verdir » la pêche dans les eaux communautaires ce mardi 21 février. D'ici 2030, Bruxelles prévoit notamment d'interdire le chalutage de fond dans les aires marines protégées, lesquelles sont amenées à se multiplier au large des côtes françaises. La Commission accède, en partie, aux demandes des écologistes qui pointent du doigt ces techniques de pêche jugées gourmandes en carburant et dangereuses pour les fonds marins, où certaines populations de poissons s'abritent et se reproduisent. Mais son plan ne convainc pas les principaux intéressés. Les ONG écolos regrettent que l'interdiction ne soit que progressive, quand elles la voulaient immédiate. « C'est trop peu, trop lent (..) loin du calendrier urgent qu'il faudrait » a réagi la coalition d'ONG écologistes Our Fish.

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De l'autre côté, les marins-pêcheurs craignent un désastre pour l'emploi. « Cette attitude est irresponsable. Exclure les engins de fond de toutes les aires marines protégées, c’est mettre à mort la filière européenne et française de la pêche sans aucune considération des impacts réels », estime Olivier Le Nézet, le président du Comité national des pêches dans un communiqué. Selon lui, les emplois de 4 350 marins sur 1 200 navires seraient menacés en France. Et, surtout, la mesure voulue par Bruxelles risquerait de laisser « la porte grande ouverte à encore plus d’importations des pays tiers comme la Chine, la Russie ou la Norvège », alors que la France importe déjà 75 % du poisson qu'elle consomme.

Pour les marins, la mesure risque aussi d'accroître les tensions en mer, entre pêcheurs. Ces derniers mois, la presse locale relate déjà de plus en plus d'altercations, notamment au large des côtes du Finistère, entre des pêcheurs « franco-espagnols » (dont les bateaux sont immatriculés en France mais armés et utilisés par des Espagnols) et des pêcheurs bretons, qui rechignent à voir leurs confrères affluer sur leurs zones de pêche pour éviter les zones protégées.

Croisée des chemins

Autre ombre au tableau, et pas des moindres : le prix durablement élevé du carburant. L'hiver dernier, la flambée des cours du gasoil avait suscité une grève des professionnels de la pêche. Et la colère n'est pas retombée, alors que certains bateaux ont été contraints de rester à quai. En réponse, l'État a débloqué une aide financière, qui doit prendre fin en mai. Mais il faudra bientôt repenser la flotte, en privilégiant notamment des bateaux plus petits et moins consommateurs.

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Dernier enjeu : l'état de la ressource. Dans son dernier rapport, l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer) note que si « l'état des populations pêchées dans l'Hexagone s'est largement amélioré en 20 ans, le dernier bilan montre une stagnation depuis 5 ans des volumes de poisson débarqués provenant de populations en bon état ». Actuellement, un peu plus de la moitié du poisson débarqué dans l'Hexagone provient de stocks exploités de manière durable. Or, au niveau européen, la Politique commune de la pêche (PCP), vise un objectif de 100 % de pêche durable, qui sera « difficile à atteindre dans un futur proche », selon l'Ifremer.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne