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Liu Xia est attendue à Berlin, après huit années d'assignation à résidence.
Liu Xia est attendue à Berlin, après huit années d'assignation à résidence.
Handout / Shenyang Municipal Information Office / AFP

Chine : Liu Xia, la veuve de Liu Xiaobo, a enfin pu quitter Pékin

Libération

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L’artiste chinoise était assignée à résidence sans raison officielle depuis 2010, année où son époux, l'opposant politique Liu Xiabo, s’était vu attribuer le prix Nobel de la paix. Il est mort en 2017 d'un cancer alors qu'il purgeait une peine de prison pour "subversion".

A trois jours de l’anniversaire de la mort de son mari, Liu Xia accède enfin à la liberté. Alors que son époux, le dissident et prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, est mort l'an dernier en détention, l’artiste de 57 ans a réussi à quitter le territoire chinois. La poétesse a embarqué ce mardi 10 juillet dans un vol pour Helsinki, a ainsi annoncé l'un de ses proches. Elle est attendue à Berlin, où l’accueillera son ami Liao Yiwu, également poète et rescapé des camps de rééducation.

"Cette fois ça ne fait aucun doute, Liu Xia prend l'avion pour Berlin."

A en croire son entourage, Liu Xia avait perdu tout espoir de voir à nouveau un jour au-delà des quatre murs de son domicile pékinois, où elle vivait recluse depuis près de huit ans. De guerre lasse, elle envisageait de se laisser mourir pour faire de son décès un acte militant. "Je ne crains plus rien maintenant. Si je ne peux pas partir, je mourrai simplement chez moi. Xiabo est déjà parti, il n’y a plus rien pour moi dans ce monde. Mourir est plus facile que vivre - il n’y a rien de plus facile pour moi que de protester avec la mort", avait-elle déclaré à son ami Liao Yiwu lors d’une conversation téléphonique. Plusieurs soutiens et amis avaient appelé, en vain jusqu'à présent, les autorités chinoises à la libérer pour lui permettre d’accéder à un suivi médical en raison d’une dépression sévère.

Liu Xia ne reverra pas son mari avant sa mort

Editrice, photographe et peintre, Liu Xia n’était pourtant pas une opposante politique. "Elle n’était pas dans notre groupe de dissidents, elle ne voulait pas prendre part à nos discussions politiques", assure un de ses amis proches. Enfermée de manière arbitraire et sans condamnation, elle a tenté de faire pression sur les pouvoirs publics. En 2013, elle publie une lettre ouverte destinée au président de la République de Chine : "Monsieur le président, je suis privée de ma liberté. Pourtant personne ne m'a dit pourquoi je suis assignée à résidence. J'en conclus que dans ce pays, c'est un 'crime' d'être l'épouse de Liu Xiaobo".

Être "femme de", c’est en effet ce qui a valu à l’artiste chinoise ces huit années de résidence surveillée. Car son conjoint Liu Xiaobo, qu’elle avait épousé en 1998, était un adversaire du pouvoir. Président du Centre chinois indépendant (PEN), il avait été placé en détention en 2008 pour avoir cosigné un manifeste critiquant l’autoritarisme du pouvoir chinois. Il sera condamné l’année suivante à 11 ans de prison pour "incitation à la subversion du pouvoir d’Etat". En lui attribuant en 2010 le prix Nobel de la paix, l’Académie avait salué sa "lutte longue et non-violente pour les droits humains fondamentaux en Chine". Pour Liu Xia, c'est le début du cauchemar : le 8 juin 2010 marque pour elle le début de son maintien en résidence surveillée. Son mari, diagnostiqué d’un cancer du foie, mourra le 13 juillet 2017 sans qu'elle ait jamais pu le revoir.

L'Allemagne s'est engagée pour la libération de Liu Xia, qui intervient au lendemain d'une rencontre à Berlin entre le Premier ministre chinois Li Keqiang et la chancelière Angela Merkel. La chancelière, qui a plusieurs fois évoqué publiquement la question des droits de l'homme en Chine, a semble-t-il soulevé le cas de Liu Xia lors d'une visite à Pékin en mai dernier, lors de laquelle elle a rencontré des épouses d'avocats emprisonnés.

"Une immense bonne nouvelle pour tous ceux qui sont attachés à la défense des droits en Chine, et à la figure de son mari, Liu Xiaobo, prix Nobel de la Paix, que Pékin avait laissé mourir", s'est réjoui sur Twitter le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire. Mais la victoire n’est pas encore totale : "Il faut maintenant que cesse le harcèlement de la famille de Liu Xia restée en Chine", rappelle la branche britannique d’Amnesty International.

"C’est vraiment génial que Liu Xia soit enfin en capacité de quitter la Chine après avoir tant souffert pendant toutes ces années. Mais il est toujours inquiétant que son frère Liu Hui soit encore gardé en Chine. Liu Xia risque de ne pas pouvoir parler, de peur de nuire à la sécurité de son frère", développe le chercheur d’Amnesty International et spécialiste de la Chine, Patrick Poon. Liu Hui avait été condamné en 2016 pour fraude immobilière. Une affaire considérée par de nombreux militants comme un moyen de maintenir la pression longtemps exercée sur Liu Xia.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne