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Emmanuel Macron, le 21 juillet 2023
Emmanuel Macron, le 21 juillet 2023
AFP / Julien de Rosa

La France snobée par les BRICS ? "C’était un ballon d’essai"

Essaye encore

Par , avec Laurence Dequay

Publié le

Emmanuel Macron avait fait savoir l'envie de la France d'y participer. Dans le souci de préserver un consensus entre ses pays membres, les BRICS, le groupe de puissances émergentes a préféré tenir Paris à l’écart d’un sommet auquel Vladimir Poutine participera à distance.

Ce sera pour une prochaine fois. Peut-être. Alors qu’est prévu du 22 au 24 août le sommet annuel des BRICS, cénacle qui rassemble les grandes puissances émergentes, son pays organisateur a fait savoir que la France ne serait pas la bienvenue à Johannesburg. Même en simple observatrice, même représentée par sa ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, et non par Emmanuel Macron lui-même. La cheffe de la diplomatie sud-africaine, Naledi Pandor, a déclaré en conférence de presse qu’« aucune invitation n’a été envoyée en ce sens ».

Brésil, Russie, Inde, Chine et leur hôte, l’Afrique du Sud, resteront donc entre eux… avec la soixantaine d’autres pays conviés à l’événement. À première vue, un revers pour Paris. Sauf qu’en matière diplomatique, les choses sont toujours plus complexes qu’il n’y paraît. Dès le printemps, l’Elysée a bien senti que la France aurait du mal à trouver sa place à ce sommet, qui se voit avant tout comme un pôle de résistance à l’hégémonie américaine.

Ne pas s’enfermer dans le camp occidental

À un interlocuteur qui échange avec lui courant mai sur ce dossier, un conseiller de la cellule « diplo » d’Emmanuel Macron fait cet aveu : « Ça ne va pas être facile à négocier. » Dans l’esprit du président de la République, il faut pourtant perpétuer autant que nécessaire la politique de « non alignement » suivie par ses prédécesseurs. Notamment vis-à-vis des États-Unis.

Selon le vétéran diplomate Maurice Gourdault-Montagne, ancien sherpa de Jacques Chirac et ambassadeur de France en Chine, le président a cette intuition : « Oui, nous sommes l’allié des États-Unis, que ce soit dans la guerre en Ukraine ou ailleurs, mais il faut que l’on sorte de l’enfermement dans le camp occidental, ne pas se laisser embarquer. » Par exemple, dans les tensions qui opposent Washington et Pékin sur la question taïwanaise.

Ambiguïtés sur la guerre en Ukraine

En l’espèce, la tentative de s’inviter chez les BRICS a buté – de manière prévisible – sur la guerre en Ukraine, dans laquelle la Russie est impliquée au premier chef. Moscou a fait savoir qu’une participation de la France, étant donné son soutien à Kiev et son appartenance à l’Otan, serait « inappropriée » aux yeux de la diplomatie russe. Laquelle a d’ailleurs dû résoudre l’équation de sa propre représentation : Vladimir Poutine peut-il se rendre à Johannesburg, alors qu’il est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre ? Le maître du Kremlin suivra finalement le sommet à distance.

« Sur la guerre en Ukraine, les BRICS sont quand même très ambigus », rappelle un ministre français au fait de ces questions. Pas surprenant : ces pays entretiennent des liens plutôt étroits. Rien qu’en février, l’Afrique du Sud a effectué des manœuvres militaires conjointes avec les armées russes et chinoises. « Le consensus, chez les BRICS, c’est très important, décrypte Maurice Gourdault-Montagne. Et inviter la France risquait de rompre ce consensus, surtout quand ils s’apprêtent à accueillir de nouveaux membres. »

Griefs des pays émergents

Parmi les candidatures, il y a l’Algérie, l’Iran, l’Argentine, l’Egypte… De quoi renforcer le poids d’une organisation dont l’un des objectifs est de mettre fin à la suprématie du dollar dans le commerce mondial. Ce grief, les présidents du Brésil et de l’Afrique du Sud ont pu l'exprimer à Paris les 21 et 22 juin dernier, au sommet pour un « nouveau pacte financier ». « La question du climat devient une plaisanterie si nous ne changeons pas les accords de Breton Woods, ne réformons pas la Banque mondiale et le FMI, qui ne répondent pas aux aspirations du monde », s’est même emporté Inácio Lula, qui souhaite également que le Conseil de sécurité de l’ONU soit plus représentatif des nouveaux équilibres du monde.

Autre reproche, cette fois exprimé par Cyril Ramaphosa, président sud-africain : le fait de s’être sentis « comme des mendiants » durant la pandémie de Covid, d’avoir été obligés de quémander des vaccins auprès des occidentaux. Bref, pas de quoi paver la voie à un accueil à bras ouverts de la France fin août. D’après notre ministre cité plus haut, point de camouflet à voir dans cet événement. « Ils voulaient garder leur format indépendant, entre pays émergents. Avoir parmi eux une grande puissance occidentale comme la France, c’est moyen. Ils sont les héritiers des formats un peu tiers-monde de jadis, analyse-t-il. L’anomalie aurait été d’y participer. Mais ç’aurait été un beau coup. » Maurice Gourdault-Montagne, d'après qui la volonté des BRICS de maintenir leur consensus l'a emporté sur leurs rapports avec Paris, conclut : « On peut dire que c'était un ballon d'essai. »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne