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Menaces nucléaires de Poutine : "Il faut garder la tête froide"
GRIGORY DUKOR / POOL / AFP)

Menaces nucléaires de Poutine : "Il faut garder la tête froide"

Entretien

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Ce dimanche 27 février, Vladimir Poutine annonçait le passage des forces de dissuasion nucléaire russes en « régime spécial d'alerte au combat » en pleine crise Russie-Ukraine. Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, analyse pour « Marianne » ce nouveau coup de menton du président russe.

Marianne : De nombreux commentateurs s'émeuvent de l'escalade dans laquelle s'engage Vladimir Poutine. La peur liée à une menace nucléaire n’est-elle pas précisément l’effet recherché par ses déclarations ?

Bruno Tertrais : Bien entendu. C'est pour cela qu'il faut garder la tête froide. Poutine veut nous impressionner, nous faire paniquer, pour enfoncer un coin dans la solidarité occidentale avec l'Ukraine. J'ajoute que s'il s'apprêtait à tirer il n'aurait pas fait cette mise en scène médiatisée à la télévision russe.

En outre, il faut aussi rappeler que la Russie « joue » moins de l'atout nucléaire que ce n'était le cas il y a encore dix ou vingt ans. Elle est en effet mieux assurée de sa puissance. Car agiter le nucléaire, c'est souvent une marque de faiblesse...

En termes capacitaires, quel est l'état du rapport de force aujourd'hui entre l'Otan et la Russie ?

Dans le domaine nucléaire – et contrairement au domaine classique – le rapport de forces numérique importe assez peu. Ce qui compte, c'est que chacune des deux parties a de quoi infliger de très sérieux dommages, et même des dommages « inacceptables » à l'autre, et cela dans toutes les circonstances.

Ramenée à sa dimension opérationnelle, l'augmentation du niveau d'alerte des forces de dissuasion russes signifie-t-elle qu'un palier important est atteint par rapport à une alerte « ordinaire » ?

La réponse est complexe, car l'échelle d'alerte russe est elle-même complexe. Disons qu'il a placé ses forces dans un état de disponibilité supérieur à ce qu'il était. Ce qui est très rare, mais c'est tout de même arrivé au temps de la Guerre froide.

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A mon sens, la prochaine étape est l'emploi ostensible de moyens « duaux » – qui peuvent emporter des charges classiques ou nucléaires – dans le but de « brouiller le seuil nucléaire » et, là encore, de nous effrayer. C'est un jeu dangereux. Mais il est rassurant que les pays occidentaux n'aient pas mordu à l’hameçon : ils n'ont pas décidé de jouer ce jeu. Et leurs forces restent à un niveau d'alerte relativement normal.

La dissuasion nucléaire n’est-elle pas l’une des raisons pour lesquelles le conflit ukrainien n’a pas basculé dans un conflit mondial ? N'oublions-nous pas un peu vite qu'il s'agit de notre « assurance vie » ?

La dissuasion reste un facteur de retenue. Si nous n'allons pas nous battre pour Kiev, c'est aussi parce que la Russie est nucléaire. Et si Moscou ne tente pas de nous agresser directement pour nous punir de notre soutien, c'est aussi parce que « nous » sommes nucléaires.

Selon vous, la notion « d’équilibre de la terreur » est-elle encore pertinente aujourd'hui ? Autrement dit, penser que Vladimir Poutine brandit la dissuasion nucléaire comme un instrument dans le rapport de force diplomatique sans véritable intention de déclencher un conflit atomique revient-il à plaquer sur le conflit ukrainien une grille de lecture « datée », héritée de la Guerre froide ?

Il n'y a jamais véritablement eu d'équilibre de la terreur. C'est une reconstruction a posteriori et un paradigme qui n'a jamais vraiment existé. Par ailleurs, ce que vous appelez une grille de lecture « datée » est en fait très « moderne » en Asie – je pense à l'Inde, à la Chine, au Pakistan, à la Corée du Nord...

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L'arme nucléaire a toujours été d'abord et avant tout un moyen politique. Mais ici Poutine joue de cette carte de manière coercitive. C'est rare et troublant, quoique conforme à ce que l'on comprend de sa vision du nucléaire.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne