Accueil

Société Éducation
Une classe d'école, image d'illustration
Une classe d'école, image d'illustration
Hans Lucas via AFP

Élève blessée à Chambéry : Anna Chloé maintient devant les enquêteurs avoir été "poussée"

Racisme ?

Par

Publié le

La collégienne de 11 ans grièvement blessée au visage après avoir fait une chute dans la cour de son collège à Chambéry a maintenu, mercredi, sa version des faits : elle a été poussée par un élève, sur fond de harcèlement raciste. Le principal de l'établissement et le procureur de la République de Chambéry rejettent pourtant fermement ce déroulé des faits.

Agression raciste ou simple chute ? Depuis une semaine, un incident survenu dans un collège catholique à Chambéry est à l'origine d'une très forte indignation sur les réseaux sociaux, qui a conduit au placement du principal sous protection policière. Le 15 décembre, Anna Chloé, une collégienne de 11 ans d'origine camerounaise, s'est grièvement blessée au visage en chutant dans la cour de l'établissement privé catholique, sous contrat avec l'Éducation nationale. Sur Facebook, sa mère a dénoncé une agression raciste dans une publication devenue virale. Elle a porté plainte.

Entendue par les enquêteurs mercredi 22 décembre, Anna Chloé a maintenu ses propos. Selon son avocat, contacté par Marianne, la jeune fille, qui ne peut identifier son agresseur, est certaine d'avoir été poussée. « Elle se trouvait dans les rangs pour aller en classe et c'est là qu'un garçon lui a donné deux coups, explique maître Fabien Ndoumou. Il l'a traitée de "grosse p*te". Anna Chloé a voulu aller en parler au surveillant, le garçon l'a retenue par le bras et une troisième personne l'a poussée. »

Un agresseur non identifié

L'adolescente tombe alors la tête la première sur un banc en acier. Elle assure que ce n'est pas le garçon qui l'a insultée qui l'a poussée mais « quelqu’un d'autre dans son dos », précise Me Ndoumou. Selon la version de la collégienne, un surveillant s'est ensuite occupé d'elle, sous les rires de certains élèves encore présents dans la cour. « Ce surveillant avait déjà séparé les deux collégiens lors d'un précédent avec même garçon », a indiqué l'avocat.

Devant la gravité des blessures, Anna Chloé est conduite à l'hôpital. Dès son réveil, elle dit à sa mère avoir été poussée. Aux policiers mercredi, elle explique même que « si [elle] était tombée toute seule, [elle] aurait eu des égratignures sur les deux bras en essayant de [s]e protéger ».

L'établissement et le parquet démentent

Mais l'avocat du directeur du collège, Me Pierre Perez, indiquait sur BFMTV mardi 21 décembre qu'Anna Chloé avait « menti ». « L'enfant a menti : elle a eu un petit accrochage avec un garçon de sa classe qui lui aurait tapé sur le bras, a-t-il expliqué. Cet enfant est parti et Anna Chloé a voulu rejoindre sa classe, elle est tombée à 4 mètres d'un surveillant, qui a été entendu [par la police]. Tous les enfants disent qu'il ne s'est absolument rien passé. »

Une version reprise dès dimanche par le procureur de Chambéry, Pierre-Yves Michau. Évoquant « plusieurs témoignages », il avait affirmé que l'adolescente était « seule » à cet endroit de la cour au moment de sa chute. Selon le parquet à l’AFP, « quand la mère est venue déposer plainte au commissariat, elle a dit ignorer si sa fille était tombée toute seule ou si elle avait été poussée, et elle a indiqué que sa fille elle-même ne pouvait pas le dire ».

Une vidéosurveillance qui « n'enregistre pas »

La mère explique avoir demandé à visionner les images des caméras de vidéosurveillance, ce qui lui aurait été refusé. « Il y a deux vieilles caméras dans la cour, qui n'enregistrent plus parce qu'elles ne sont plus en état. L'endroit où est tombée l'enfant n'est pas dans le champ des caméras », a répondu sur BFMTV l'avocat du directeur de l'établissement.

À LIRE AUSSI : Loi sur les directeurs d'école : un "pas en avant" ou une dérive managériale ?

« Leur version a changé. Ils ont d'abord expliqué à ma cliente que les images s'effaçaient automatiquement au bout de 24 heures. Puis, lorsqu'ils ont compris qu'ils auraient dû sauvegarder les images de ce jour-là, ils ont décidé d'expliquer que les caméras étaient défectueuses », estime Me Fabien Ndoumou, qui continue d'exiger que les images des caméras soient versées au dossier.

Des « violences verbales racistes et même physiques »

Lors d'un rassemblement de soutien, dimanche place de la République à Paris, la mère de l’adolescente avait évoqué une altercation survenue « il y a deux semaines » avec un camarade, que sa fille aurait frappé après avoir été traitée de « sale nègre ». Anna Chloé aurait rapporté à sa mère, et désormais à son avocat, avoir également subi d'autres insultes : « sale noire », « sale négresse », « va te laver ». Sa mère fait état, dans la publication partagée sur Facebook, de ces « violences verbales racistes et même physiques » que subirait sa fille « depuis la rentrée » et qui seraient à l'origine des faits.

Le parquet a pourtant estimé qu'« à ce stade, il n'y a aucune trace de harcèlement quelconque, à aucun moment ». Le procureur précise que l'élève avait en revanche été visée par une plainte pour « menaces » envers une camarade. Le rectorat a confirmé n'être « pas informé à ce stade » d'éventuels faits de racisme à l'encontre de l'élève. Pourtant, selon Me Ndoumou, Anna Chloé a bel et bien signalé ces faits à son établissement et notamment à la CPE du collège : « La petite m’a donné les noms des personnes à qui elle a signalé les agressions dont elle était victime. Elle m'a aussi dit avoir compris que ces gens-là ne la prenaient pas au sérieux. »

Le directeur porte plainte

Après que l'affaire a provoqué une vague d'indignation sur les réseaux sociaux, l'adresse personnelle du principal du collège a été diffusée. Il a été placé sous protection policière en raison des menaces de mort qu'il a reçues « en nombre », selon Me Pierre Perez. Il a indiqué que son client allait porter plainte contre la mère d'Anna Chloé. « Elle a jeté mon client en pâture sur les réseaux sociaux sans s'assurer que sa gosse ne mentait pas, on ne peut pas laisser passer ça », a-t-il indiqué, évoquant « 300 lettres de menaces de mort ».

Pour l'avocat de la mère d'Anna Chloé, cette plainte n'est qu'une « diversion ». « Il y a eu une forte réaction de la communauté noire – et au-delà d'ailleurs. Mais qu'ils nous montrent la preuve qu'on a divulgué l'adresse du directeur, ma cliente ne la connaît pas cette adresse ! C'est de la pure diversion, uniquement pour orienter l'opinion vers une autre affaire. »

Devant les proportions prises par l'affaire, plusieurs personnalités publiques ont affirmé leur soutien à l’adolescente. Cyril Hanouna a notamment déclaré avoir l’intention de « faire le maximum pour tenter de faire bouger les choses » à la rentrée. « On ne la lâchera pas elle et sa famille ! », a-t-il ajouté. Le présentateur Christophe Dechavanne a pour sa part fait part de sa « honte » : « Félicitations à l’établissement et trouver les trouducs qui ont blessé cette petite… honte sur leur tête », a-t-il tweeté.

« Bien sûr cette enfant a toute notre solidarité, tout notre appui ainsi que sa famille. Maintenant, nous devons regarder quelles ont été réellement les circonstances », a indiqué Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Éducation nationale, dès dimanche sur BFMTV. Le lendemain, la mère d'Anna Chloé, interrogée par France 3 Alpes, assurait avoir « confiance en la justice française et aux valeurs de la France ».

À LIRE AUSSI : Collégienne blessée à Chambéry : accident ou agression raciste ?

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne