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Lycée Henri IV à Paris : "Tout le lycée est de gauche"
Lycée Henri IV à Paris : "Tout le lycée est de gauche"
Hans Lucas via AFP

Zemmour à Stanislas, Mélenchon à Henri-IV : les futures "élites" de la nation votent radical

Premier scrutin

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Au collège Stanislas et au lycée Heni-IV, deux prestigieux établissements parisiens, certains lycéens fêtent leur majorité depuis peu, et pour la première fois, vont avoir la possibilité de glisser leur bulletin dans l’urne lors du scrutin présidentiel du 10 avril prochain. « Marianne » a voulu s’intéresser à leur orientation politique.

Dans ce premier volet, Marianne est allé à la rencontre des primo-votants de deux lycées d’élites parisiens. Une manière de situer politiquement les futures « gens qui réussissent », pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron. Dans la foulée de la publication par le ministère de l’Éducation nationale le 23 mars, des résultats du taux de réussite au bac des élèves de 2021, les médias tels que le Figaro, le Parisien ou l'Étudiant ont publié leur palmarès des meilleurs lycées en 2022. Et c’est loin d’être une surprise, on retrouve en tête d’affiche toujours les mêmes établissements, souvent parisiens. Parmi eux, le collège Stanislas et le lycée Henri-IV.

À « Stan », Zemmour triomphe

Dans le cossu sixième arrondissement de Paris, le Collège Stanislas se hisse systématiquement au premier rang des meilleurs lycées privés. Il nourrit les classes préparatoires les plus élitistes de la capitale. À la sortie des cours de la matinée, au croisement de la rue du Montparnasse et de la rue Notre-Dame-des-Champs, les élèves passent au compte-goutte sous la plaque dorée de la prestigieuse école.

« Vous êtes tombés sur les exceptions qui confirment la règle ici », confient Joséphine et Jeanne, deux copines de 19 ans qui viennent tout juste de terminer leur prépa médecine. « On doit être les seules à se considérer de gauche ici, vous allez trouver que des gens de droite et même d’extrême droite », avancent les deux filles, pour qui les profils de leurs camarades correspondent parfaitement à l’idée qu’elles se font de cet électorat. « C’est vrai que je suis un peu plus dans la norme ici », constate avec amusement leur ami Cyprien. Ce zemmouriste assumé porte un discours déjà bien rodé : « il est le seul qui a l’intelligence de regarder la France en face, même s’il est parfois un peu trop dur sur certains sujets comme la Russie, j’aime sa conception de l’histoire et des traditions. » Il n’a pour l’instant jamais rencontré ce candidat « charismatique et cultivé » qu’il admire, mais assure vouloir participer au grand rassemblement organisé par l'ex-polémiste au Trocadéro le 27 mars.

« Comme beaucoup de mes amis, je me suis beaucoup fait emmerder dans la rue et frapper, même dans le 6e », poursuit le jeune homme qui souhaite offrir à ses enfants « un avenir plus sûr avec plus de sécurité » et « moins d’idéologie ». Si des étudiants moins politisés avouent leur intention de voter Emmanuel Macron pour sa « bonne gestion des crises » plutôt que pour ses idées, la grande majorité des jeunes gens rencontrés en ce début d’après-midi semblent séduits par le discours choc et « sans complexes » de l’ancien polémiste.

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Comme pas mal de ses camarades du Collège Stanislas, Charles*, pantalon chino et raie sur le côté, vient d’une famille de « droite traditionnelle ». Le 10 avril, lui ira voter Zemmour sans hésitation, alors que son père, consultant pour de grands groupes pétroliers en Afrique, et sa mère (au foyer), choisiront Macron ou Pécresse. « Sur l’économie, il est vraiment de droite, pas comme Marine le Pen. Mais surtout ce n’est pas un politicien, on sent le vrai amour de la France chez lui », juge-t-il. Ses deux compères, âgés comme lui de 18 ans et catholiques pratiquants, reconnaissent que la balance politique penche ici franchement à droite. Les trois élèves en classes préparatoires école de commerce « pour viser HEC évidemment », ont conscience d’être « bien nés ». Cela ne les empêche pas d’appeler de leurs vœux le retour « d’une réelle instruction publique et méritocratique, comme pendant la troisième République. » Thomas*, justifie quant à lui son vote Zemmour « parce qu’il y a un réel enjeu bioéthique et qu’il est le seul à pouvoir arrêter tout ce qui est GPA et autres. »

Mélenchon-roi à Henri IV

En ce début d'année 2022, on se souvient du séisme qui avait ébranlé le prestigieux lycée de la montagne Sainte-Geneviève après l’annonce du changement de processus de recrutement de ses élèves, qui ne seront plus recrutés sur dossier. Qu’importe, l’établissement, ultra-demandé, conserve sa place sur le podium des meilleurs lycées publics de France.

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Devant l’enceinte du bâtiment, Billie* donne le ton : « Tout le lycée est de gauche, mais le week-end dernier, un mec a essayé d’organiser un rassemblement pro-Zemmour. Avec mon collectif "H4 deter", on l’a contré et on a empêché le tractage ». Élève en classe de terminale, son premier bulletin de vote ira pour Jean-Luc Mélenchon. « Je suis pour la révolution lance-t-elle. Même si je n’aime pas le personnage donc ce sera un vote utile mais pas désespéré ». Éloïse votera elle aussi, à tout juste 18 ans, pour le chef des Insoumis : « je suis d’une famille de gauche, socialiste, mais pour moi ce qui compte, c’est la fin de Ve République et la nationalisation de certaines entreprises privées. »

Titouan hésite : « Jadot, Hidalgo ou Mélenchon je ne sais pas encore ». L'écologie et le social, voilà les deux sujets de prédilection du jeune homme. « Je suis pour qu'on augmente le SMIC, qu'on taxe les riches et qu'on récupère l'argent pour le réinvestir dans un développement plus durable », développe-t-il. Ces mesures, il a vu qu'elles étaient portées par un certain nombre de candidats « grâce à Hugo Décrypte [un youtubeur] ça a vraiment une influence sur mes choix politiques », poursuit Titouan qui reconnaît l'influence grandissante des réseaux sociaux sur sa manière de s'informer.

Sa camarade Victoire, étudiante à la prépa CPES (Cycle pluridisciplinaire d’études supérieures) du lycée, fille de deux musiciens, fume sa cigarette roulée accoudée à une rembarde. Elle raconte comment l'année dernière, un cours avec « un prof très critique de la Constitution actuelle » l'avait « convaincu des failles du système actuel », ce qui justifie sa décision de voter Mélenchon aux prochaines élections en grande partie pour son projet de VIe République. De nombreux analystes avancent l’idée d’une radicalité politique plus importante dans la jeunesse par rapport aux générations précédentes. En 2017 déjà, l'institut BVA démontrait que les primo-votants (18-24 ans) avaient voté Jean-Luc Mélenchon à hauteur de 27 %, juste devant Marine Le Pen et Emmanuel Macron, tous les deux à 21 %. Les lycées d'élite sont aussi le reflet de cette tendance...

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

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