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Logement : la plainte des propriétaires immobiliers contre l'Etat est «regrettable»

Logement : la plainte des propriétaires immobiliers contre l'Etat est «regrettable»

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Une association de défense des propriétaires immobiliers attaque l'Etat pour concurrence déloyale. L'offre des logements sociaux empiéterait sur celle des propriétaires privés. Pour Philippe Murer, professeur de finance, cette fronde «regrettable» n'est pas justifiée.

L’UNPI, association de défense des propriétaires immobiliers, a décidé d’attaquer l’Etat français pour concurrence déloyale par le biais de la commission européenne. Cette association pense que le logement social HLM est en concurrence directe avec le logement privé et ce pour des personnes de mêmes catégories de revenus. En effet, l’Etat devrait fournir des logements sociaux uniquement aux 20% des personnes les plus pauvres.
Selon la cour des comptes «la France métropolitaine compte environ 4,5 millions de logements locatifs sociaux soumis à un loyer réglementé et ouvert aux ménages selon leurs ressources, soit 16% des 28 millions de résidences principales. En 2009, selon le ministère chargé du logement, 75 % des logements sociaux étaient construits là où n’existaient pas de besoins manifestes, et seuls 25 % l’étaient dans les zones les plus tendues.»
Il y a donc bien inadéquation entre offre et demande. Pour des raisons d’économies budgétaires, l’Etat n’a pas rétabli correctement la balance depuis. Les subventions au logement privé ont parfois aussi consisté à construire des logements neufs dans des zones inadaptés comme le savent de nombreux propriétaires malheureux.
L’UNPI s’attaque à une proportion de 16% de logements sociaux. Au vu des études commanditées par le secteur privé qui évoquent une pénurie de logements, estimées à un peu moins d'un million de logements en France, les propriétaires privés sont relativement peu lésés dans ce type de conjoncture.
Essayons de comprendre si cette attaque est justifiée et ses conséquences.
1 - L’appel à la concurrence «loyale»
L’UNPI a utilisé habilement le mot préféré de la Commission européenne : la concurrence, qui plus est déloyale. On pourrait croire que la concurrence déloyale ne pose aucun problème à la Commission quand on observe sa très grande mansuétude vis-à-vis des exportateurs chinois : ils bénéficient d’une absence de norme écologique contre des taxes Carbone en Europe, d’une monnaie massivement sous-évaluée, de travailleurs sans droits (les Mingong) et de l’absence de syndicats. En fait, il n’en est rien ! Un des articles phares du traité de Lisbonne est de construire une concurrence libre dans un Marché ouvert comme tout bon européen l’a consciencieusement appris.
L’UNPI joue sur du velours en attaquant ainsi l’Etat français mais ne risque-t-elle pas sciemment de faire rentrer le loup dans la bergerie ? Au moment ou le logement atteint des coûts prohibitifs et ou de nombreux ménages n’arrivent pas à se loger, la défense d’intérêts catégoriels ne paraît pas d’une légitimité absolue.
Qui sont les 20% de personnes les plus pauvres dont parle l’UNPI ?Les 20% des personnes les plus pauvres gagnent entre 786 euros et 1280 euros par mois.
La tranche de 20 à 40% gagne entre 1280 et 1500 euros par mois.
La tranche entre 40 et 60% gagne entre 1500 et 1800 euros par mois.

L’UNPI attaque l’Etat car il ne devrait s’occuper que des 20% des personnes les plus pauvres. Peut-on vraiment parler de gens favorisés qui ne devraient pas avoir accès au logement social ? De plus, la situation de cette tranche de la population est très différente selon qu’elle habite à Paris, dans de grandes villes ou dans des zones ou les loyers sont très bas.
Quand l’UNPI dit que 400 000 familles parmi les plus riches de France ont droit à un logement social, elle veut nous arracher des larmes mais de qui parle-t-elle ? De personnes touchant 2000 euros par mois et travaillant à Paris ?
Faut-il tirer sur les personnes gagnant 2000 euros par mois ce qui est somme toute faible à Paris ? Si cette personne a un enfant à charge, elle a ,dans une des villes les plus chères du monde, entre 1000 et 1400 euros pour vivre après déduction d’un loyer de 1000 euros pour un logement intramuros de 30 mètres carrés ou de 600 euros en banlieue proche. Ce n’est pas de la pauvreté, ce n’est pas de la richesse non plus lorsqu’on vit dans 30 mètres carrés, c’est juste de la décence.
En revanche, on ne peut que regretter que 50 000 personnes appartenant au décile le plus élevé bénéficient de logements sociaux si cette affirmation est vraie. Faut-il au nom de ceux-ci tirer sur tous les autres ?

Ce qu’oublie l’UNPI est que le logement n’est pas un Marché tant il est déterminé par l’Etat. Le privé ne peut ni créer de logement ou il le souhaiterait, ni créer la quantité de logement qu’il souhaiterait. En effet, dans tous les pays du monde qu’ils soient ultralibéraux ou communistes, l’Etat détermine les terrains ou peuvent être construits des logements pour des raisons qui peuvent être économiques, écologiques, d’aménagement du territoire etc.
La quantité de logements privés créés est déterminée par la volonté du secteur privé, ses possibilités de financement mais aussi l’encadrement des autorisations de construire plus ou moins souple par l’Etat.
La création de biens est donc toujours déterminée partiellement par l’Etat et les propriétaires privés en profitent de façon indirecte par une rareté relative des logements. De nombreuses familles françaises se sont enrichies pour la seule raison qu’elle possédait des terrains anciennement agricole qui sont devenus constructibles. On ne voit pas trop de solutions pour faire autrement, mais cela relativise les plaintes.
2 - Le prix de logement est partout déterminé par l’Etat
Cette affirmation paraît stupide et pourtant ! L’Etat se fixe un taux d’inflation optimal dans tous les pays correctement gérés. De cette politique d’inflation découle une politique de taux d’intérêt fixé par la Banque Centrale. Ainsi, en Europe, les taux d’intérêts fixés par la Banque Centrale impliquent des taux de prêt immobilier de 3,5 à 4,5% environ depuis une dizaine d’années.
Or, pour simplifier tout en restant réaliste, que fait un ménage quand il achète un bien dans une grande ville comme Paris ? Il compare l’avantage entre louer et acheter soit le prix du loyer annuel L et le coût d’achat d’un bien P. Imaginons que le loyer de l’appartement soit de 1000 euros par mois soit 12 000 euros annuel.
S’il peut emprunter à 4% et que le prix du bien P est supérieur à 300 000 euros, il aura le sentiment de « gaspiller » autant d’argent en loyer ,12 000 euros par an, qu’en payant un intérêt de 12 000 euros pour un emprunt de 300 000 euros à son banquier. Ce montant de 300.000 euros est le loyer annuel 12 000 divisé par 4% soit la relation approximative de P=L/4%. Cette approximation simpliste des ménages correspond dans les faits à une certaine réalité mathématique : quand on raffine le modèle de prix en utilisant un taux d’inflation, une durée de prêt variable etc., on arrive à des résultats comparables. Mais le but de cet article n’est pas de faire de longues démonstrations mathématiques.
On remarquera ainsi que les prix des appartements à Paris depuis 10 ans divisé par les loyers annuels nous donnent approximativement le taux d’intérêt.
Pour être plus réaliste, le prix va varier dans notre cas entre :
- un prix surévalué de 12 000/(4%) soit 200 000 euros avec une prime de risque nulle de 0%.
- un prix sous-évalué de 12 000/(4%+2%) soit 400 000 euros avec une prime de risque positive de 2%.
Dans le cas général, avec des taux d’intérêt de 4%, on trouve la formule P=25*L ou P=16.6*L.
On peut montrer que le prix des appartements est très généralement encadré par les 2 courbes suivantes :Le prix des appartements dépend donc bien du taux d’emprunt immobilier qui dépend lui-même des taux d’intérêt qui dépend lui-même de la politique d’inflation de l’Etat assigné à la Banque Centrale.
Si l’on souhaitait avoir des prix immobiliers plus sage, une acceptation d’un taux d’inflation de 5% avec des taux de 7% permettrait aux jeunes accédants d’acheter des biens 40% moins chers. En revanche, les personnes aisées possédant des appartements en plus de leur résidence principale, seraient perdantes symétriquement. L’UNPI en a-t-elle conscience ?
Le taux d’inflation actuellement fixé au niveau très bas de 2% pourrait l’être à 4% sans qu’on puisse accuser l’Etat de laxisme. Tout est affaire d’appréciation personnelle et d’effets de mode dépendant eux-mêmes de rapports de force dans la société. Pour le moment, il est clair que cette politique d’inflation très basse favorise énormément les propriétaires de nombreux biens.
Que coûte aux Français la construction d’un appartement en loi Scellier et la construction d’un logement social ?
En 2009, 65 000 logements neufs ont été construits en loi Scellier soit 2/3 des ventes dans le neuf. Les propriétaires privés ont donc bénéficié d’une distribution d’argent public pour un coût de 3,4 Milliards d’euros et ils achètent majoritairement avec des subventions.
En 2009, 92 000 logements HLM ont été construits. Le coût pour l’Etat est d’environ 2,5 Milliards d’euros de subventions ou de taxes non perçues.
Les propriétaires privés reçoivent plus de subvention en valeur absolue et des subventions deux fois plus fortes par logement neuf acheté que les HLM et trouvent à se plaindre ! Les deux modes de construction sont peut être complémentaires mais la balance pèse clairement du coté des propriétaires privés. L’Etat peut certainement faire mieux dans sa politique de logement social. Son manque de moyen n’est sans doute pas le seul problème.
Mais cette attaque de l’UNPI contre l’Etat est regrettable. Elle montre une inconscience de certains vis-à-vis des plus défavorisés et une volonté de se battre âprement au gain pour obtenir toujours plus. L’introduction de la Commission dans la politique de logement social de la France pourrait être une catastrophe en enlevant un des derniers filets de sécurité à des populations fragilisées.
Attaquer la main qui vous nourrit semble être malheureusement la devise de l’UNPI. La concurrence, placée au dessus de toutes valeurs et de toutes considérations, finit par consacrer la victoire du Marché sur l’Homme. Le logement est un besoin essentiel, vital de l’homme dans le tryptique: se nourrir, se vêtir, se loger. Il ne doit pas être considéré comme une simple marchandise.Philippe Murer est professeur de finance et membre du forum démocratique.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne