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« Le couple n’avait pas l’habitude de voyager alors ils ont forcément suivi les conseils qu’on leur avait prodigués. Mais par qui ? », s’interroge aussi leur avocat espérant que certains éclaircissements pourront être apportés par le juge en charge de l’affaire.
« Le couple n’avait pas l’habitude de voyager alors ils ont forcément suivi les conseils qu’on leur avait prodigués. Mais par qui ? », s’interroge aussi leur avocat espérant que certains éclaircissements pourront être apportés par le juge en charge de l’affaire.
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Assassiné en Haïti où ils étaient venus adopter, un couple de Français a-t-il été victime d'un guet-apens ?

L'affaire du dimanche

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Alors qu’ils s’apprêtaient à rencontrer leurs deux futurs enfants dans une agence d’adoption à Port-au-Prince, en Haïti, Alexandre et Mélina Raymond sont assassinés devant leur hôtel en novembre 2019. Sans aucune information durant deux ans, leurs proches espèrent obtenir des réponses après la nomination récente d’un juge d’instruction français.

Quatre ans qu’ils se rongent les sangs, qu’ils ressassent et se demandent quelles erreurs ou manigances ont conduit au meurtre d’Alexandre et Mélina. Et comment cela a-t-il pu se produire malgré leur tempérament si prudent. Delphine Grech, une proche cousine d’Alexandre, porte la parole de sa famille et sa douleur aussi. « Ils étaient si heureux de partir adopter. L’été précédant leur départ, ils avaient organisé une grande fête et nous avaient montrés les photos des enfants. Ils nous avaient aussi parlé des prénoms qu’il leur avait choisis. Ils avaient préparé leur chambre, tout était prêt pour les accueillir », confie-t-elle à Marianne. En 2019, dans le village de Saint-Martin-d’Ardèche, la nouvelle de l’adoption de deux petits Haïtiens par des enfants du pays est un évènement. Alexandre, 44 ans, commercial, et Mélina, 41 ans, vendeuse en matériaux de construction, sont nés ici et sont entourés de toute leur famille, parents, cousins, oncles et tantes. Un cocon douillet dont ils sortent peu. « Ils n’ont jamais beaucoup voyagé, ni très loin. Le plus loin, c’était en Écosse », déclare maître Stéphane Babonneau, leur avocat, à Marianne.

Mariés depuis douze ans, les deux Ardéchois constituent un couple « solide » et uni, malgré leurs difficultés à devenir parents. « Pendant quatre ans, ils avaient suivi un programme de PMA [procréation médicalement assistée] mais cela n’avait pas fonctionné alors ils s’étaient tournés vers l’adoption », explique Delphine Grech. Depuis 2013, ils étaient accompagnés par l’AFA, l'Agence française de l’adoption, à laquelle ils avaient confié leur souhait de recueillir deux enfants d’une même fratrie dans leur foyer. Une longue procédure qu’ils étaient impatients de voir aboutir. « Il a fallu constituer le dossier sur toute la famille, prendre des photos, être présents pour la visite de leur maison, se rendre à Paris pour différents entretiens avec l’agence et puis ils ont obtenu l’agrément ».

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En juillet 2019, on leur annonce qu’un frère et une sœur de 3 et 5 ans les attendent à Port-au-Prince, en Haïti. « Ils étaient très heureux. Pour eux, c’était la base d’un couple d’avoir des enfants, ils y tenaient énormément. » Le départ prévu en août et reporté à trois reprises pour des raisons administratives et le couple décolle finalement le 24 novembre 2019 à destination d’Haïti. « Ils devaient rester quinze jours pour les rencontrer, prendre le temps de faire connaissance, mais ils ne devaient pas repartir avec eux cette fois-ci. » Avant cette échéance, des consignes de sécurité leur sont prodiguées : pas de déplacements autres que ceux prévus entre leur hôtel et les locaux de l’agence d’adoption. Il leur est aussi demandé de venir avec une somme d’argent liquide – « plusieurs milliers d’euros » – pour régler « des frais de crèche des enfants, l’hôtel, et le chauffeur sachant que la carte bleue n’était pas acceptée sur place », détaille maître Stéphane Babonneau. Somme qu’on leur conseille de camoufler dans une ceinture pour éviter d’être braqués. Instable politiquement, le pays est, en effet, en proie à des violences quotidiennes, des guerres de gangs armés et des attaques en pleine rue.

Enquête éclair

Malgré ce contexte, Alexandre Raymond ne voulait pas céder à la panique. « Je ne vais quand même pas prendre un gilet pare-balles ! » avait-il rétorqué un jour à sa famille. « Mélina était plus inquiète, mais tous les deux avaient tout de même confiance en l’organisation du voyage et se pensaient en sécurité », rapporte leur cousine. Pourtant dès leur arrivée, l’escorte policière annoncée pour les protéger est absente. Seul le chauffeur aguerri et déjà embauché par l’AFA pour ces circonstances, les attend devant l’aéroport. Il les prend en charge à bord de son pick-up et se dirige vers leur hôtel. Il est alors prévu que les Français déposent leurs bagages puis qu’ils rejoignent la crèche où se trouvent leurs enfants. Mais durant le trajet, ils sont suivis par trois hommes à mobylettes. Devant l’hôtel, les poursuivants encerclent le véhicule et une fusillade éclate. « L’un d’eux s’en est pris à Mélina qui était assise côté passager, elle s’est mise à crier alors il lui a tiré dessus. Mon cousin, assis à l’arrière, a voulu lui porter secours, il est sorti de la voiture et ils l’ont tué aussi. »

À Saint-Martin-d’Ardèche, l’annonce de leur décès est un drame. « Je ne voulais pas y croire, mais quand la gendarmerie m’a demandé de venir à la mairie, j’ai compris. » Les corps des Ardéchois sont rapatriés un mois plus tard et inhumés dans leur village natal le 21 décembre 2019. Puis durant deux ans, c’est le silence. Malgré l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris au lendemain du meurtre, aucune information n’est transmise aux proches du couple. « Ils ont été écartés de l’enquête, ils sont restés dans l’obscurité totale », confirme maître Babonneau à Marianne. Si bien qu’ils demeurent hantés par les mêmes questions : qui a fait ça ? Pourquoi ? Était-ce un guet-apens ? Une erreur dans l’organisation du séjour ? « On a tous été suivis par des psychologues pour faire face », confie Delphine.

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Ils écrivent alors au président de la République et reçoivent le 24 août 2020 l’assurance que leur dossier est « suivi avec beaucoup d’attention » dans un courrier adressé par la cheffe de cabinet du ministre des Affaires étrangères, qui stipule également qu’une juge haïtienne enquête bien sur la mort d’Alexandre et Mélina Raymond. Sur les conseils de leur avocat, le père d’Alexandre dépose plainte avec constitution de partie civile en février 2021. « Une façon d’accéder au dossier », précise leur avocat. Les proches du couple découvrent ainsi une enquête menée de façon « éclair » par la police haïtienne. Les trois auteurs du meurtre auraient été identifiés grâce à un renseignement anonyme, peuvent-ils lire. « Deux seraient morts et le troisième est en fuite », déplore Delphine Grech : une foule de ses questions ne trouvent pas de réponse dans ces investigations.

Manigance ?

« Tout n’est pas clair. Je veux savoir qui est fautif. Qui leur a demandé de venir avec cet argent ? Durant toute la procédure d’adoption, ils ont fait de nombreux virements en Haïti. Au point que leur banquier leur avait dit au bout d’un moment "ça suffit". C’était soi-disant pour un médecin là-bas, pour soigner des enfants. Moi, j’ai plutôt l’impression qu’ils étaient des bonnes poires. Comment se fait-il qu’on les ait laissés partir dans un tel chaos ? Dès le premier jour, l’ambassade de France nous a indiqué qu’ils ignoraient la présence de mon cousin et sa femme en Haïti. Ils ne l’ont su qu’après l’annonce de leur mort. Sinon, ils auraient pris des précautions, m’ont-ils dit.  On ne sait pas non plus si ces hommes étaient là par hasard ou si c’était prémédité. Est-ce que quelqu’un a manigancé tout ça ou ils ont tout simplement été mal encadrés, protégés ? » se demande-t-elle au même titre que le reste de sa famille.

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« Le couple n’avait pas l’habitude de voyager alors ils ont forcément suivi les conseils qu’on leur avait prodigués. Mais par qui ? », s’interroge aussi leur avocat espérant que certains éclaircissements pourront être apportés par le juge en charge de l’affaire, « très expérimenté dans les dossiers internationaux ». Dans cette attente, la famille Raymond se mobilise pour continuer à évoquer leurs disparus. « Mon oncle a 86 ans. Alexandre était son fils unique. Il veut des réponses. Il fait difficilement le deuil parce qu’il est en colère et révolté. Il est en grande souffrance psychologique. Savoir ce qui s’est réellement passé, ce qui a causé la mort de son fils, c’est son dernier but dans la vie… »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne