19 milliards d'euros dédiés à "la réparation" d'un système alimentaire qui encourage obésité, diabète et cancers

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  • Nicolas Bricas, chercheur au Cirad et titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du Monde.
    Nicolas Bricas, chercheur au Cirad et titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du Monde. MIDI LIBRE - VM
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Dans un rapport présenté au centre Epidaure de l'ICM à Montpellier réalisé à plusieur mains, intitulé "l’injuste prix de notre alimentation, quels coûts pour la société et la planète ?", les pauvres, les oiseaux et les agriculteurs partagent des statistiques glaçantes !

"Les pauvres meurent plus tôt, les oiseaux ont vu leur population s’effondrer de 36 % en 30 ans, et les agriculteurs ont un métier surexposé au suicide".

Par ces mots qui introduisent leur rapport, chercheurs et associations donnent le ton. Malnutrition, agriculteurs sous le seuil de pauvreté, diminution des exploitants agricoles, émissions de gaz à effet de serre…

Des coûts exorbitants pour la société et la planète

L’alimentation entraîne des coûts cachés – et exorbitants- pour la société et pour la planète.

Pour répondre aux questions sur l’évolution possible des systèmes alimentaires vers des modes de production plus justes et durables, la délégation du Secours Catholique-Caritas France de l’Hérault, le réseau CIVAM, centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural et la Fédération Française des Diabétiques ont organisé une présentation au centre Epidaure de l’ICM de Montpellier, de l’étude que les quatre associations ont réalisée en commun, avec des chercheurs et des collecteurs de données.

"De la fourche à la fourchette, chacune lutte au quotidien contre les désordres et les carences constatées au sein de leur public", indique Jean-Marie Brugeron, président du Secours Catholique héraultais, "que sont la précarité, l’obésité, le diabète, la dégradation des conditions de vie et de travail des agriculteurs".

Un coût d’impacts négatifs de 19 Md d'euros

Dans un système paradoxal, qui tout en organisant les conditions d’un désastre alimentaire s’évertue à le réparer à grands coups de milliards, "c’est le serpent qui se mord la queue", commente Nicolas Bricas, chercheur au Cirad et titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du Monde.

"Les dépenses publiques qui subventionnent et soutiennent notre système alimentaire sont de 48,3 milliards d’euros. 59 % proviennent de l’État, donc non seulement nous le subissons, mais nous le finançons", relève Jean-Marie Brugeron.

S’agissant du coût des impacts négatifs du système alimentaire français, celui-ci avoisine les 19 Md d’euros. "C’est ce que nous dépensons pour compenser ses dysfonctionnements, soit le double du budget alloué pour la planification écologique en 2024 !".
En tête de gondole, vient l’impact sur la santé avec 12,3 Md d'euros.

"Une double peine pour les plus précaires", pour qui l’alimentation est devenue une variable d’ajustement par rapport aux dépenses courantes. Obésité, diabète et cancers forment un trio d’avenir : "les diabétiques ont augmenté de 160 % et l’OMS parle d’épidémie pour l’obésité", souligne le professeur Jacques Bringer, doyen et membre de l’Académie de Médecine.

Quelques recommandations

Le rapport préconise quelques recommandations au niveau local et national.
Des maisons solidaires
Comme la MESA de Lyon, c’est à la fois une épicerie bio, un café-restaurant à prix solidaires et une cuisine partagée. C’est un lieu pour aider les habitants à mieux manger. Pensé et validé par les personnes du quartier, ouvert à toutes et tous. A développer !
Des caisses alimentaires communes
La première est née à Montpellier en 2022. Chaque mois 400 citoyens cotisent selon leurs moyens et leurs souhaits de 1 à 250 euros et reçoivent en échange 100 euros de monnaie locale pour leurs achats alimentaires dans un réseau de commerces choisis par un comité citoyen. La caisse subventionne une partie de la somme pour les personnes ayant de faibles ressources.

Des milliards investis dans la publicité qui encourage l'obésité

L’obésité est pourtant "fortement encouragée" par les milliards investis dans la publicité. "C’est 1 000 fois le budget du programme qui finance les campagnes comme le très connu 5 fruits et légumes par jour !", souligne Nicolas Bricas. Face à tant d’injonctions contradictoires, le message fait chou blanc.

L’impact environnemental est tout aussi délétère, avec 3,4 Md d'euros pour la gestion des déchets, la dépollution de l’eau, etc. Ici aussi tous les voyants sont au rouge ! Vient ensuite l’impact social, avec 3,4 Md d'euros "pour compenser la faiblesse des rémunérations du secteur agricole".

Des choix d’un autre temps

L’épais rapport se conclut par une lueur d’optimisme, démontrant qu’il n’y a pas de fatalité, mais que tout est volonté politique. "Les choix qui ont été faits, s’ils étaient pertinents à une époque, doivent aujourd’hui, radicalement changer".

"Changeons de boussole !"

"Sur un tel sujet, il faut arrêter d’opposer les acteurs, les producteurs aux consommateurs. Les agriculteurs subissent eux memes des conséquences sanitaires, du fait des pesticides. L’alimentation doit s’inscrire dans une démarche démocratique. On ne peut pas laisser à des acteurs industriels, économiques, puissants, le soin de traiter ces questions. Le citoyen doit s’investir. La précarité, la santé et l’environnement ne s’opposent pas, mais sont étroitement liés. C’est pourquoi nous militons pour une politique globale de l’alimentation", souligne Jean-Marie Brugeron, président du Secours Catholique 34.

Des leviers existent ! Est-il possible d’utiliser autrement ces milliards consacrés à faire tourner le système ? "Avec une boussole différente, qui ferait à la fois intervenir les préoccupations sociales, qualitatives et environnementales. On ne peut pas culpabiliser le consommateur, et encore moins le consommateur pauvre. La prévention est intéressante quand elle est ciblée, l’impact est bien plus fort".

Au plan national, 8 millions de personnes sont en insécurité alimentaire et font des arbitrages nocifs pour leur santé. L’Hérault est caractérisée par une forte précarité, notamment dans l’arrière-pays. Le taux de pauvreté est de 19,4 % contre 14,9 % en France. Le niveau de vie médian a baissé de 10 % en deux ans, suite à l’inflation, passant de 797 euros par mois en 2021 à 715 euros  en 2023. "Les 8500 ménages que nous avons accompagnés dans l’Hérault disposent de 23 euros par jour pour payer loyer, factures, alimentation, vêtements".

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