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Chirurgie de la hernie inguinale avec prothèse : « J’ai mis les pieds en enfer »

Arnaud
Arnaud Denis, comédien de théâtre, a vécu un calvaire de huit mois après avoir subi une chirurgie avec prothèse pour réparer sa hernie. Comme des milliers d'autres patients dans le monde, il incrimine le dispositif médical implantable. © Bruno Perroud
Vanessa Boy-Landry

Arnaud Denis, comédien de théâtre, a vécu un calvaire de huit mois après une banale opération de sa hernie. Comme des milliers d’autres patients dans le monde, il incrimine le « filet » (prothèse) qu’on lui a implanté. Un témoignage fort.

« Douleurs épouvantables », « perte de poids », « dépression »… Arnaud Denis, comédien de théâtre, a vécu une véritable descente aux enfers à la suite d’une banale chirurgie de l’aine. Opéré d’une hernie inguinale, en juillet 2023, l’acteur explique que son cauchemar a démarré, trois semaines après l’intervention chirurgicale, alors qu’il répétait le rôle de Valmont dans « Les liaisons dangereuses », une pièce qu’il a mise en scène et dont la programmation démarrait à la rentrée. « Les douleurs étaient si fortes que j’ai dû me retirer du projet au bout d’une semaine », se souvient-il. Arnaud n’est toujours pas remonté sur scène.

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Douleurs, nausée, acouphènes, troubles de l’éjaculation…

Cloué au lit par une fatigue chronique invalidante, le comédien de 40 ans a vu sa santé se dégrader, au fil des semaines, y compris sa fonction sexuelle : « J’avais des douleurs abdominales de plus en plus intenses, une nausée permanente, des acouphènes, des tremblements… Des troubles de l’éjaculation… J’ai perdu 17 kilos en trois mois. » Aujourd’hui, Arnaud souhaite alerter sur les complications graves liées aux « filets » utilisés dans la chirurgie des hernies. Des risques dont les patients ne seraient pas bien informés.

Prothèses ou
Prothèses ou "filets" utilisés dans le traitement de la hernie inguinale. © DR

La hernie inguinale concerne 1 homme sur 4

De quoi parle-t-on exactement ? D’un dispositif médical utilisé depuis des décennies dans le traitement des hernies. Appelé « treillis », « voile », « maille », « filet », ou « plaque », il s’agit d’une prothèse synthétique (polypropylène), de taille variable, le plus souvent employé dans la chirurgie de la hernie inguinale, une pathologie qui touche un homme sur quatre. L’acte chirurgical consiste à réintégrer dans l’abdomen la partie de l’organe qui se trouve piégée dans le canal inguinal (où passe le cordon qui relie l’abdomen aux testicules) et à placer un filet. En créant localement une réaction inflammatoire, la prothèse stimule la croissance du tissu cicatriciel (fibrose), ce qui renforce la paroi abdominale.

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Personne ne vous dit qu’en cas de problème, il sera très compliqué, voire impossible de retirer la prothèse

Arnaud Denis

150 000 « cures » de hernie inguinale sont réalisées chaque année, en France. Par voie ouverte ou mini-invasive (cœlioscopie), cette chirurgie avec prothèse est le traitement de référence car elle limite à 2 % le risque de récidive contre 10 à 15 % pour la technique avec sutures. « Ce qu’on ne vous dit pas, c’est que la récidive n’est rien en comparaison des risques liés à l’implantation d’un morceau de plastique dans le corps. On ne vous prévient pas qu’en cas de problème, il sera très compliqué, voire impossible de le retirer complètement », lance Arnaud.

Des mois d’errance médicale

Après l’opération, l’acteur s’est senti livré à lui-même. Chirurgiens digestifs, urologues, gastro-entérologues… Arnaud passe de spécialiste en spécialiste. « Les chirurgiens ne veulent pas s’occuper des complications et vous orientent vers des spécialistes qui, eux, n’y comprennent rien. Pour être pris en charge dans un centre antidouleur, il faut compter 9 mois d’attente, en général. Ils ne connaissent pas les douleurs inguinales. On vous shoote et basta. Voilà la solution proposée par l’AP-HP ! » Des mois d’errance médicale sans que jamais une complication liée à la prothèse ne soit suspectée.

Avec le temps, la prothèse durcit, peut se fendre et devenir blessante

Arnaud Denis

C’est un groupe privé, sur Facebook, qui lui permet de tenir le coup : 4 000 membres « du monde entier » incriminent le filet utilisé dans la chirurgie des hernies. « J’ai découvert qu’ils avaient les mêmes symptômes que moi ! C’est là que j’ai compris l’enfer dans lequel j’avais mis les pieds, sans le vouloir… Il y a beaucoup de situations désespérées… Les problèmes surviennent parfois des années après l’opération. Avec le temps, la prothèse peut migrer ou durcir. Se fendre et blesser les tissus avoisinants. Il y a des gens dont le filet érode l’os du pubis et qui se retrouvent avec des problèmes de hanche… Je discute avec une personne qui ne peut pas être opérée d’un cancer de la vessie à cause de deux prothèses, qui empêchent l’accès. Personne ne parle de cela, en France », s’indigne le comédien.

Le taux de complications pourrait concerner entre 12 et 30 % des patients

À l’international, les plaintes des patients émergent. Aux États-Unis, des dizaines de milliers de procès pour dommages corporels sont en cours. En Grande-Bretagne et en Australie, des enquêtes sociales ont révélé que la majorité des patients interrogés n’avaient pas été assez informés des risques de complications graves de la chirurgie herniaire.

Dans un documentaire diffusé sur la BBC, fin 2018, on voit des patients isolés, incapables de marcher ou de travailler depuis qu’ils ont été opérés. D’autres, devenus suicidaires. D’après ce reportage, le taux de complications pourrait concerner entre 12 et 30 % des patients. « Les personnes souffrant de complications ont besoin d’aide, pas de silence, avait aussitôt réagi le porte-parole du Collège royal de chirurgie. Il faut également procéder à un examen continu des données pour s’assurer que les études précédentes n’ont pas négligé un problème grave et généralisé ».

Fin 2018, l’Australie a décidé, « avant l’Europe », de classer « à risque élevé » le treillis chirurgical en raison « des graves préoccupations associées à l’utilisation de ces dispositifs ».

Des complications similaires à celles des implants vaginaux

Ces complications rappellent les dommages causés par les implants vaginaux, des dispositifs médicaux fabriqués dans le même matériau que les implants herniaires. Les patients opérés d’une hernie sont-ils exposés aux mêmes dommages qu’ont subi des milliers de femmes dans le monde ? Destinés au traitement de l’incontinence urinaire (bandelettes) et de la descente d’organe (implant de renfort), les implants vaginaux sont désormais interdits en Grande-Bretagne et aux États-Unis et ne peuvent plus, en France, être proposés en première intention.

Il ne faut pas faire d’amalgame entre les différents dispositifs médicaux implantables

Pr David Moszkowicz

« Aux États-Unis, il y a des avocats spécialistes des hernies inguinales, des gens qui s’intéressent aujourd’hui aux polluants qu’il peut y avoir dans les filets. Les Américains ont peur des prothèses PIP (implants mammaires) et font des amalgames entre les différents dispositifs médicaux implantables », met en garde le Pr David Moszkowicz, chef de service de chirurgie digestive à l’hôpital Louis-Mourier (AP-HP) et secrétaire de la Société française de chirurgie pariétale. « Le phénomène de migration et d’érosion de l’implant vaginal (bandelettes) est un phénomène réel, bien connu des urologues et des gynécologues. Les prothèses utilisées dans la paroi abdominale ne sont pas au contact direct des organes et ne posent pas ce genre de problème. »

Les problèmes sont dus, non pas au matériel, mais à la pathologie, au terrain du patient et à la technique employée

Pr David Moszkowicz

Le chirurgien l’assure, les dispositifs médicaux utilisés pour la chirurgie des hernies sont « ultra-étudiés, validés et recommandés ». « Depuis l’affaire des prothèses PIP, le système de validation est de plus en plus contraignant. Dans la majorité des cas, les problèmes rencontrés sont dus, non pas au matériel, mais à la pathologie elle-même, au terrain du patient et à la technique employée. » Dans la chirurgie des hernies de l’aine, c’est essentiellement « le risque des douleurs chroniques qui peuvent être très invalidantes et concernent 6 à 8 % des patients », explique-t-il, en précisant qu’il est moins important lorsque l’opération est réalisée par cœlioscopie.

Le retrait de la prothèse nécessite souvent plusieurs opérations

Le Pr Moszkowicz ajoute que le risque pour le cordon spermatique est faible et lié à l’acte chirurgical lui-même et que l’infection de la prothèse (improprement appelée « rejet » ou « allergie ») est un risque exceptionnel (0,35 % des cas) mais peut nécessiter le retrait de l’implant. Une demi-douzaine de services, en France, savent le faire « correctement », explique-t-il. Mais pour le patient, cela peut prendre plusieurs années… Jusqu’à dix ans ! « Il arrive parfois que le patient soit mal orienté par un chirurgien qui ne sait pas faire. Le plus souvent, c’est long parce que la prothèse est très incrustée et que son retrait nécessite plusieurs opérations. Mais on y arrive ! »

Une intervention chirurgicale très risquée

Arnaud, lui, est parti « sauver sa peau » à New York. Le 11 avril, il était entre les mains d’un spécialiste du Mount Sinaï Hospital, un centre spécialisé dans l’explantation des prothèses de paroi avec assistance robotique (Da Vinci). Une chirurgie de haute précision pour une intervention particulièrement délicate. « La prothèse est tellement collée aux vaisseaux sanguins et aux nerfs que vous risquez des complications graves, des séquelles à vie », explique le comédien.

J’ai payé 45 000 euros pour sauver ma santé et ma carrière.

Arnaud Denis

C’est une troisième consultation chez un nouvel urologue, en février, qui a mis en évidence ce qu’il craignait depuis plusieurs semaines : le testicule situé du côté de la prothèse présente un début d’atrophie car il n’est plus correctement vascularisé. C’est dû à la pression de la prothèse sur le cordon spermatique : il faut retirer le filet. Ses compagnons d’infortune lui conseillent d’aller aux États-Unis. « J’avais un sentiment terrible de mort imminente depuis des mois… J’ai payé 45 000 euros pour sauver ma santé et ma carrière. »

L’intervention chirurgicale, qui a duré trois heures, est une réussite. La prothèse a été explantée sans dommage pour les tissus ni le cordon spermatique. Deux semaines après l’opération, toutes les douleurs d’Arnaud ont disparu et sa fonction sexuelle est rétablie. « C’est miraculeux ! Ce chirurgien m’a sauvé la vie », lance le comédien. Aujourd’hui, Arnaud est en train de créer une association de victimes des prothèses herniaires. Depuis son message d’alerte sur Facebook, en décembre, il dit recevoir trois à quatre messages par jour. « Des patients qui souffrent et qui sont abandonnés par le système médical. »

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