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Disulfuro-bis(fer tricarbonyle)

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Disulfuro-bis(fer tricarbonyle)
Image illustrative de l’article Disulfuro-bis(fer tricarbonyle)
Structure du disulfuro-bis(fer tricarbonyle)
Identification
Synonymes

disulfurobis(tricarbonylfer)

No CAS 14243-23-3
Propriétés chimiques
Formule C6Fe2O6S2
Masse molaire[1] 343,881 ± 0,021 g/mol
C 20,96 %, Fe 32,48 %, O 27,92 %, S 18,65 %,

Unités du SI et CNTP, sauf indication contraire.

Le disulfuro-bis(fer tricarbonyle), ou disulfuro-bis(tricarbonylfer), est un composé organofer de formule chimique (µ-S2)(Fe(CO)3)2 utilisé comme précurseur pour la synthèse de clusters fer-soufre. Introduit comme synthon par Dietmar Seyferth (en), il est couramment utilisé pour réaliser des modèles de clusters H des hydrogénases [FeFe][2]. La réactivité de cette molécule provient de son dianion [(µ-S)2(Fe(CO)3)2]2−, dans lequel la charge électrique est portée essentiellement par les atomes de soufre.

Synthèse et propriétés

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La synthèse du disulfuro-bis(fer tricarbonyle) a été publiée pour la première fois en 1958 à partir de pentacarbonyle de fer Fe(CO)5 et de polysulfure de sodium (en)[3] :

Synthèse originale du disulfuro-bis(fer tricarbonyle).

Le S2(Fe(CO)3)2 rouge vif produit se forme avec S2(Fe(CO)3)3[4]. La molécule présente un cluster Fe2S2 tétraédrique déformé. Le composé se sublime à 40 °C, fond à 46,5 °C et se décompose à 70 °C[4].

Dans le cluster neutre, les deux atomes de soufre sont liés et forment un ligand pontant disulfure (µ-S2)2−. Dans le dianion, la liaison soufresoufre est rompue, ce qui donne deux ligands pontants sulfure (µ-S)2−. La manière la plus simple d'obtenir le dianion [(µ-S)2(Fe(CO)3)2]2− consiste à réduire le (µ-S2)(Fe(CO)3)2 avec du triéthylborohydrure de lithium LiEt3BH[5].

Le spectre infrarouge de la molécule (µ-S2)(Fe(CO)3)2 présente trois pics correspondant à trois fréquences liées aux groupes carbonyle, ce qui indique que ces ligands ne sont pas équivalents[3]. Son spectre ultraviolet-visible présente de nombreux pics, dont un à 449 nm correspondant à la bande de transfert de charge (en) métal → ligand. Des études par RMN du carbone 13 sur le couplage entre isotopes de fer 57 et de carbone 13 ont montré que les ligands carbonyle s'échangent rapidement entre clusters[6].

Structure et liaisons

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La structure cristalline de S2(Fe(CO)3)2 a été publiée pour la première fois en 1965[7]. Le cluster Fe2S2 forme un tétraèdre bien qu'une structure « en papillon (en) » avec une liaison soufresoufre rompue et un caractère diradical n'ait pas une énergie significativement plus élevée[8],[9]. Le diamagnétisme du composé a reçu plusieurs explications, impliquant une liaison ferfer et une liaison soufresoufre. Dans les premières études, conformément à l'interprétation de la géométrie octaédrique par une hybridation d2sp3, on avait proposé que la liaison métalmétal soit une liaison banane, mais l'orientation de cette liaison posait problème[10]. À la suite de l'avènement de la chimie numérique avec des approches telles que la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT) et Atoms in Molecules (ATAIM), cette liaison et sa topologie ont été explorées en profondeur, et certains modèles privilégient une liaison ferfer non linéaire[8],[10],[11]. Ces calculs indiquent cependant que l'angle de liaison est probablement plus proche de 15° que des 130° initialement proposés[10].

Les études numériques indiquent que la plus haute orbitale moléculaire occupée (HOMO) du composé est liante au niveau de la liaison ferfer et significativement délocalisée tandis que l'orbitale moléculaire libre la plus basse (LUMO) est une liaison σ soufresoufre localisée. La réactivité du disulfuro-bis(fer tricarbonyle), essentiellement concentrée au niveau de ses atomes de soufre, s'explique ainsi largement en considérant les orbitales frontières de la molécule[8].

S2(Fe(CO)3)2 est un précurseur utilisé dans la synthèse de divers composés fer-soufre multinucléaires. La réactivité du composé commence souvent par le clivage de la liaison soufresoufre du disulfure (µ-S2)(Fe(CO)3)2 pour donner le dianion [(µ-S)2(Fe(CO)3)2]2−, bien qu'on connaisse également des voies de synthèse directe depuis le cluster neutre.

Réactions avec le dianion

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Le traitement du disulfuro-bis(fer tricarbonyle) (µ-S2)(Fe(CO)3)2 avec du triéthylborohydrure de lithium LiEt3BH permet d'obtenir facilement le dianion [(µ-S)2(Fe(CO)3)2]2−[5] :

Réduction du disulfuro-bis(fer tricarbonyle) en dianion par le triéthylborohydrure de lithium.

Le dianion formé peut ensuite être mis à réagir avec un halogénoalcane pour donner un thiolate d'alcane cyclique[12]. Les thiolates d'alcanes cycliques peuvent être utilisés comme précurseurs pour activer des électrocatalyseurs pour la production d'hydrogène en s'inspirant des hydrogénases [FeFe][13] :

Addition d'un pont éthylène entre les deux atomes de soufre.

Le dianion peut également être traité avec deux halogénoalcanes différents pour donner une espèce alkylée asymétrique[2] :

Addition d'un halogénoalcane différent sur chaque atome de soufre.

Outre les réactifs organiques électrophiles, le dianion [(µ-S)2(Fe(CO)3)2]2− peut être traité avec des réactifs minéraux ou organométalliques pour insérer divers hétérométaux[4],[14].

Réactions avec le composé neutre

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Le disulfuro-bis(fer tricarbonyle) est électrophile au niveau de la liaison soufresoufre, ce qui signifie qu'il peut être traité par des réactifs carbanioniques tels que des réactifs de Grignard ou des organolithiens. Ces réactifs (notés RM ci-dessous) permettent la fonctionnalisation asymétrique des deux atomes de soufre.

Fonctionnalisation asymétrique à l'aide de réactifs carbanioniques.

La photochimie permet d'émuler les réactions du dianion avec l'espèce neutre. (µ-S2)(Fe(CO)3)2 absorbe la lumière à 450 nm, qui correspond à la bande de transfert de charge (en) métal → ligand depuis la plus haute orbitale moléculaire occupée (HOMO) au niveau du fer vers l'orbitale moléculaire libre la plus basse (LUMO) au niveau du soufre. HOMO étant une orbitale liante de la liaison ferfer et LUMO étant une orbitale antiliante de la liaison soufresoufre, l'injection HOMO → LUMO d'un électron a pour effet d'affaiblir les deux liaisons.

Activation photochimique.

Grâce à sa nature temporaire de dianion au niveau des atomes de soufre, la molécule neutre peut subir des réactions d'addition oxydante avec de petites molécules organiques[8],[15] :

Réactions photochimiques.

Réactions avec le dérivé dithiol

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On a pu produire des modèles synthétiques de clusters H d'hydrogénases [FeFe] notamment en traitant le dianion [(µ-S)2(Fe(CO)3)2]2− avec de l'acide trifluoroacétique CF3COOH, ce qui donne le dérivé dithiol (en) (µ-SH)2(Fe(CO)3)2 qui peut à son tour être mis à réagir avec du carbonate d'ammonium (NH4)2CO3 dans le polyoxyméthylène pour former un modèle structurel de cluster H[14].

Modélisation du cluster H d'hydrogénase [FeFe].

Précurseur pour la production électrocatalytique d'hydrogène

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Outre la réalisation de modèles synthétiques de cluster H d'hydrogénase [FeFe], on a étudié l'activité catalytique de ces hydrogénases. Le cluster thiolate de propyle cyclique dérivé de (µ-S2)(Fe(CO)3)2 joue le rôle de précatalyseur produisant de l'hydrogène H2 lorsqu'il est traité avec un acide dans une cellule d'électrolyse[13]. Ce système peut permttre d'élucider les détails de la production d'hydrogène par les hydrogénases [FeFe].

Précurseur électrocatalytique pour la production d'hydrogène.

Notes et références

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  1. Masse molaire calculée d’après « Atomic weights of the elements 2007 », sur www.chem.qmul.ac.uk.
  2. a et b (en) Yulong Li et Thomas B. Rauchfuss, « Synthesis of Diiron(I) Dithiolato Carbonyl Complexes », Chemical Reviews, vol. 116, no 12,‎ , p. 7043-7077 (PMID 27258046, PMCID 4933964, DOI 10.1021/acs.chemrev.5b00669, lire en ligne).
  3. a et b (de) W. Hieber et J. Gruber, « Zur Kenntnis der Eisencarbonylchalkogenide », Zeitschrift für anorganische und allgemeine Chemie, vol. 296, nos 1-6,‎ , p. 91-103 (DOI 10.1002/zaac.19582960111, lire en ligne).
  4. a b et c (en) Dietmar Seyferth, Richard S. Henderson et Li Cheng Song, « Chemistry of µ-dithio-bis(tricarbonyliron), a mimic of organic disulfides. 1. Formation of di-µ-thiolate-bis(tricarbonyliron) dianion », Organometallics, vol. 1, no 1,‎ , p. 125-133 (DOI 10.1021/om00061a022, lire en ligne).
  5. a et b (en) Dietmar Seyferth, Richard S. Henderson et Li-Cheng Song, « The dithiobis(tricarbonyliron) dianion: Improved preparation and new chemistry », Journal of Organometallic Chemistry, vol. 192, no 1,‎ , C1-C5 (DOI 10.1016/S0022-328X(00)93341-2, lire en ligne).
  6. (en) Silvio Aime et Domenico Osella, « Iron-57 satellites in 13C NMR spectra: an aid to elucidation of “hidden-processes” in the dynamics of metal carbonyls », Journal of Organometallic Chemistry, vol. 214, no 2,‎ , C27-C30 (DOI 10.1016/S0022-328X(00)86637-1, lire en ligne).
  7. (en) Chin Hsuan Wei et Lawrence F. Dahl, « The Molecular Structure of a Tricyclic Complex, [SFe(CO)3]2 », Inorganic Chemistry, vol. 4, no 1,‎ , p. 1-11 (DOI 10.1021/ic50023a001, lire en ligne).
  8. a b c et d (en) Luca Bertini, Piercarlo Fantucci et Luca De Gioia, « On the Photochemistry of the Low-Lying Excited State of Fe2(CO)6S2. A DFT and QTAIM Investigation », Organometallics, vol. 30, no 3,‎ , p. 487-498 (DOI 10.1021/om100799z, lire en ligne).
  9. (en) Federica Arrigoni, Giuseppe Zampella, Fanjun Zhang, Husain N. Kagalwala, Qian-Li Li, Toby J. Woods et Thomas B. Rauchfuss, « Computational and Experimental Investigations of the Fe2(μ-S2)/Fe2(μ-S)2 Equilibrium », Inorganic Chemistry, vol. 60, no 6,‎ , p. 3917-3926 (PMID 33650855, PMCID 8100967, DOI 10.1021/acs.inorgchem.0c03709, lire en ligne).
  10. a b et c (en) Michael B. Hall, Richard F. Fenske et Lawrence F. Dahl, « Nonparameterized molecular orbital calculations of ligand-bridge Fe2(CO)6X2-type dimers containing metal-metal interactions », Inorganic Chemistry, vol. 14, no 12,‎ , p. 3103-3117 (DOI 10.1021/ic50154a048, lire en ligne).
  11. (en) Louis J. Farrugia, Cameron Evans, Hans Martin Senn, Mikko M. Hänninen et Reijo Sillanpää, « QTAIM View of Metal–Metal Bonding in Di- and Trinuclear Disulfido Carbonyl Clusters », Organometallics, vol. 31, no 7,‎ , p. 2559-2570 (DOI 10.1021/om2011744, lire en ligne).
  12. (en) N. Kambe, Category 5, Compounds with One Saturated Carbon Heteroatom Bond: Sulfur, Selenium, and Tellurium, 1re  éd., Georg Thieme Verlag, Stuttgart, 2008, DOI 10.1055/b-003-125755 (ISBN 978-3-13-118921-9).
  13. a et b (en) Frédéric Gloaguen, Joshua D. Lawrence et Thomas B. Rauchfuss, « Biomimetic Hydrogen Evolution Catalyzed by an Iron Carbonyl Thiolate », Journal of the American Chemical Society, vol. 123, no 38,‎ , p. 9476-9477 (PMID 11562244, DOI 10.1021/ja016516f, lire en ligne).
  14. a et b (en) Li-Cheng Song, « Investigations on Butterfly Fe/S Cluster S-Centered Anions (μ-S)2Fe2(CO)6, (μ-S)(μ-RS)Fe2(CO)6, and Related Species », Accounts of Chemical Research, vol. 31, no 1,‎ , p. 21-28 (PMID 15654733, DOI 10.1021/ar030004j, lire en ligne).
  15. (en) R.B King et T.E Bitterwolf, « Metal carbonyl analogues of iron–sulfur clusters found in metalloenzyme chemistry », Coordination Chemistry Reviews, vol. 206-207,‎ , p. 563-579 (DOI 10.1016/S0010-8545(99)00251-9, lire en ligne).