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Huit mois après la révolte, la colère couve toujours dans le monde paysan

La colère des agricultures est toujours d’actualité notamment à propos des promesses non tenues du début d’année.
La colère des agricultures est toujours d’actualité notamment à propos des promesses non tenues du début d’année.  CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Promesses politiques non tenues, météo catastrophique pour les cultures… La situation est extrêmement tendue dans les campagnes et risque à nouveau d’exploser.

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Moindres récoltes, recrudescence de virus, loi d’orientation agricole en jachère, poursuite des négociations du Mercosur, normes environnementales et administratives pléthoriques… Autant de raisons qui exacerbent la colère des paysans. Huit mois après la jacquerie, qui avait vu se dresser de nombreux barrages de tracteurs sur les routes du pays, leurs nerfs sont toujours à vif même si, pour l’instant, les actions ne se sont pas encore matérialisées. « La situation est extrêmement tendue et risque à nouveau d’exploser une fois les travaux des champs achevés », prévient Arnaud Rousseau, patron de la FNSEA. Les travailleurs de la terre sont en effet occupés à vendanger, à ramasser les betteraves sucrières ou à récolter le riz, en attendant les ensilages de maïs et les semis de blé à l’automne. 

Si les pouvoirs publics ne sont pas responsables des conditions météorologiques excessivement humides, ils le sont en revanche pour les promesses non tenues lors du conflit du début d’année. « Le sentiment de frustration des agriculteurs est tel que si le nouveau premier ministre n’agit pas en urgence, la mobilisation peut recommencer », alerte Arnaud Rousseau. « La question est de savoir quand… », ajoute Céline Imart, agricultrice dans le Tarn, élue eurodéputée (LR) en juin. Elle est à l’origine, avec la FNSEA et les JA de son département, de ce mouvement de pancartes d’entrées de villes renversées, visibles partout en France ces mois derniers. Une action « pour exprimer qu’on marche sur la tête en agriculture », rappelle-t-elle en soulignant que « dans de nombreuses communes, elles n’ont pas été remises à l’endroit ».

Sept dossiers sur le haut de la pile

Aussi ce dossier devrait-il être sur le haut de la pile de Michel Barnier et de son (ou sa) futur ministre de l’Agriculture s’ils veulent calmer les esprits. Aux demandes structurelles initiales se sont ajoutées des récriminations conjoncturelles. Elles peuvent être regroupées en 7 domaines.

Il y a la question de la trésorerie, en premier lieu. « Nous avons besoin de prêts bonifiés pour passer le cap des mauvaises récoltes de blé estivales et celles à venir des betteraves. Sans oublier les vendanges, en baisse de 18 % en moyenne  », souligne le patron de la FNSEA. Rien que pour le blé tendre, la céréale la plus produite en France, l’addition est lourde. « Avec un rendement moyen de 6 tonnes à l’hectare et un prix de vente stable autour de 200 euros la tonne de blé, les céréaliers perdent cette année 50 euros par tonne vendue, chiffre Arthur Portier, consultant chez Argus Media. Au total, pour une ferme de 150 hectares, le manque à gagner est de 45.000 euros, ce qui correspond en moyenne au revenu d’une année. » En outre, les céréaliers ne pourront pas se rattraper sur les betteraves à sucre, implantées en complément du blé. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le temps pluvieux a entraîné une baisse des rendements.

Manque de vaccins

Du côté des élevages ovins et bovins, le numéro un de la FNSEA attend que le gouvernement mette à disposition des éleveurs davantage de vaccins. « Il nous en faut d’urgence pour traiter les différentes crises sanitaires, dont la fièvre catarrhale ovine  et la maladie hémorragique épizootique (MHE) », insiste-t-il. 

Le gouvernement a mis du temps à se positionner auprès des producteurs de vaccins, d'autres producteurs européens sont passés avant

Céline Imart, agricultrice et eurodéputée

Les éleveurs ovins, réunis en congrès cette fin de semaine à Troyes, regrettent que les pouvoirs publics n’aient pas pris conscience plus tôt de l’ampleur de l’épizootie qui touche toute la France. « Les commandes de vaccins pour les sérotype 8 et 3 ont été sous estimées. C’est très difficile pour en avoir, regrette Frédéric Gontard, éleveur et président de la Fédération nationale ovine dans la Drôme. Il faut attendre 41 jours d’incubation après la première injection pour que l’animal soit immunisé, c’est un peu tard pour cette saison. » 

Quant à la prédation du loup, si elle est passée au second plan, elle reste une source de fortes inquiétudes pour les éleveurs. Pour la MHE, seules 2 millions de doses sont disponibles en France alors qu’il en faudrait 30 millions. « Le gouvernement a mis du temps à se positionner auprès des producteurs de vaccins, d’autres producteurs européens sont passés avant », déplore Céline Imart.

Gestion de l’eau

Autre front de discorde : la gestion de l’eau et l’absence des mesures concrètes promises pour simplifier la création de retenues collinaires ou de réserves de substitution. Le ministre démissionnaire de l’Agriculture, Marc Fesneau, avait chargé les préfets d’identifier 1000 projets prioritaires. Pour l’instant, aucun n’est sorti de terre. Il faut dire que les associations environnementalistes font tout pour retarder la création de ces lacs ou étangs. Quand ces sites existent déjà, elles déposent des recours pour limiter leur utilisation. À leurs yeux, c’est une privatisation de l’eau de pluie. Pour les agriculteurs, il s’agit d’arroser les plantes qui vont servir à nourrir les Français. 

Rien que cette semaine, l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM) a dû se défendre à deux reprises devant le tribunal administratif : lundi à Pau et mercredi à Poitiers. Les ONG ont demandé à l’État de revoir à la baisse les capacités maximales qu’il avait autorisées aux agriculteurs pour irriguer leurs cultures. De quoi énerver sérieusement les paysans concernés. « On n’en peut plus de toutes ces règles et normes qui sont de plus en plus contraignantes chez nous, alors que ce n’est pas le cas chez nos concurrents, peste Franck Laborde, président de l’AGPM. Le risque est grand que les tracteurs ressortent des fermes pour aller manifester sur les routes. »

Pas d’interdiction de molécule sans solution

En ce qui concerne l’utilisation de produits phytosanitaires, le gouvernement avait promis que « l’interdiction de certaines molécules ne devait plus se faire sans solution ». Un engagement du premier ministre démissionnaire, Gabriel Attal, dans l’une de ses 67 propositions, en janvier dernier. Là encore, les mesures concrètes se font attendre. Certaines filières, comme les endiviers, sont dans l’attente d’une solution technique pour remplacer le Bonalan, un herbicide interdit dès l’année prochaine. 

Nous avons une épée de Damoclès au-dessus de la tête à chaque récolte désormais, cela dépend de la pression des insectes pendant la saison

Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves

Les betteraviers n’ont toujours pas trouvé la molécule idéale pour remplacer les NNI (néonicotinoïdes), un insecticide tueur de pucerons, dont une formule par aspersion est encore autorisée en Europe mais pas en France. « La surtransposition des réglementations européennes, notamment en termes d’utilisation de pesticides par les autorités françaises, nous pénalise, regrette Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves. Nous avons une épée de Damoclès au-dessus de la tête à chaque récolte désormais, cela dépend de la pression des insectes pendant la saison. » 

Dans la riziculture, les 170 producteurs de Camargue ont échappé au pire. En mai dernier, les associations écologistes ont demandé à la justice d’interdire l’utilisation temporaire, octroyée par le ministère de l’Agriculture, de l’Avanza, un traitement contre les mauvaises herbes. Les paysans ont finalement eu gain de cause dans un contexte compliqué. « Il ne reste aux producteurs de riz français que 8 molécules autorisées, alors que les Italiens et les Espagnols en ont entre 18 et 21, s’énerve Marc Bermond, trésorier du Centre français du riz, agriculteur dans le Gard. Dans les pays asiatiques, ils en disposent d’au moins 34, dont des molécules hautement cancérigènes interdites en Europe depuis quinze ans, dénonce-t-il. On en retrouve en particulier dans le riz basmati commercialisé, et personne ne dit rien. »

Des contrôles encore trop nombreux

Sur le plan des contrôles administratifs et environnementaux, là encore, la frustration est grande. Patrick Lévêque, président de la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, pointe du doigt le zèle tricolore. « Lors de la crise agricole, en janvier dernier, le gouvernement avait annoncé vouloir limiter les contrôles, avec un ou deux seulement par exploitation et par an, rappelle-t-il. Dans la réalité, c’est impossible, compte tenu des règlements imposés par le législateur et du nombre de structures étatiques qui supervisent leur mise en œuvre. Il faut faire un travail de fond pour les réduire et être au niveau des autres pays européens. » 

Dans le Gard voisin, département où les actions ont été violentes l’hiver dernier, l’Office français de la biodiversité (OFB) semble avoir entendu les consignes nationales d’apaisement. « À une époque, on voyait arriver des gardes de l’OFB, l’arme à la ceinture, en position un peu cow-boy, explique Marc Bermond. Depuis la crise agricole, on a une approche département par département. Dans le Gard, c’est mieux, il y a beaucoup plus de pédagogie en amont. »

Le Mercosur à nouveau sur le devant de la scène

Au niveau européen, le dossier des accords de libre-échange entre des pays d’Amérique du Sud et l’Union européenne, mis en sourdine pendant les élections des eurodéputés, revient sur le devant de la scène. Il attise également les inquiétudes des paysans. « Les pays du Mercosur sont déjà les premiers fournisseurs de l’Union européenne en viande bovine et en viande de poulet. L’ajout de contingents supplémentaires d’animaux, nourris au soja déforestant et traités avec des antibiotiques activateurs de croissance, interdits en UE, ne ferait qu’aggraver la situation », écrivent conjointement trois présidents de filières à Michel Barnier. Il s’agit de Jean-François Guihard pour l’Interprofession du bétail et viandes (Interbev), Jean-Michel Schaeffer pour les volailles de chair (Anvol) et Alain Carré, président de l’Abis (betteraves à sucre). « Quant au sucre, les nouvelles concessions envisagées à droits de douane nuls représenteraient la production de 7 sucreries européennes. » 

La loi d’orientation agricole doit être votée

Enfin, la loi d’orientation agricole, qui avait suscité de nombreux espoirs dans la profession, est au point mort. « La dissolution de l’Assemblée nationale de juin dernier a arrêté son examen. Au sein des Jeunes agriculteurs, on comptait sur elle pour améliorer le quotidien des paysans, assure Rémi Dumas, président JA de l’Hérault, viticulteur à Saint-Geniès-des-Mourgues. Il faut reprendre les discussions parlementaires. L’agriculture devrait être considérée comme d’intérêt général majeur, comme l’est également l’environnement. Cela permet de limiter les recours des ONG vis-à-vis de nos projets structurants. Il faut aussi faciliter la transmission des exploitations et l’installation des jeunes. »

Autant dire que, pour faire avancer tous ces dossiers, le monde paysan attend de pied ferme le nouveau gouvernement. Peut-être auront-ils un début de réponse à leurs revendications lors du Salon international de l’élevage, le Space, à Rennes, la semaine prochaine, avec la venue éventuelle du nouveau ministre de l’Agriculture…

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24 commentaires
  • Sans-dents

    le

    Il n'y a pas un seul dossier qu'E. Macron n'ait méthodiquement massacré !
    La vaste majorité du monde agricole reconnaît qu'il s'est bien fait avoir par les promesses lénifiantes d'E. Macron et de G ? Attal, lors des dernières manifestations. Récoltes obligent.
    Mais ces maigres récoltes sont engrangées, et le monde agricole semble chaud bouillant ...

  • Kieu56

    le

    Et les retards de paiement de l etat concernant les MAEC , plus d un an pour ma part!!!!

  • pascal 3547

    le

    Un peu étonnant quand même d'apprendre que les céréaliers qui ont vendu leur production deux à quatre fois le prix habituel pendant deux ans n'aient pas pris soin de se ménager des moyens d'investissement ! Cela devrait permettre à des acteurs avisés de passer une mauvaise année 2024...

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