Prix bas, qualité, rentabilité… comment le discount secoue la grande distribution

Les hards discounters d’hier, Lidl ou Aldi, allient désormais prix bas et qualité. Leur succès bouscule les enseignes classiques qui réagissent. A l’image de Carrefour qui vient de lancer sa marque discount Supeco.

 Ce qui fait le succès des enseignes discounts, c’est désormais le rapport qualité prix : l’heure est aux aliments sains, aux produits du terroir…
Ce qui fait le succès des enseignes discounts, c’est désormais le rapport qualité prix : l’heure est aux aliments sains, aux produits du terroir… LP/Olivier Corsan

    Martial et Henriette, tous deux retraités, apprécient les crustacés « toujours frais ». Sylvain, serveur, vient exprès de Vincennes (Val-de-Marne) « pour tout, parce que c'est moins cher ». Quant à Danièle, cadre à la retraite, elle vante l'époisses « Saveurs des régions » et les chouquettes à 8 centimes pièce. Bienvenue dans le nouveau Lidl parisien (XIIe), ouvert en juin, dont le succès est notamment assuré par le bouche-à-oreille.

    Dès l'entrée, les articles bios et les fleurs accueillent le client, qui ne peut louper le rayon fruits et légumes - « livraison quotidienne » assurée -, où les produits sont entassés, mais proprement, dans des cartons. Il y a là des batavias à 79 centimes, des concombres à 89 centimes, des girolles de Lituanie aussi. Au rayon viande, les escalopes de dinde partent à 6,69 € le kilo tandis qu'en face, douze flans s'offrent pour 1,32 €. Ici, une kyrielle de marques distributeurs (Cien notamment) mais aussi des produits de marque (Pringles, Père Dodu, Apéricube, Danette). Un rayon boulangerie, aussi, avec viennoiseries chaudes. Et des poissons estampillés « pêche durable ».

    Finies les courses punitives

    Décidément, les hards discounters d'autrefois ont fait long feu. Finis, les entrepôts glauques où des caisses étaient empilées à même le sol. Terminées, les courses quasi punitives, ambiance Allemagne de l'Est des années 1970. Les discounters ont changé d'oripeaux, et même de nom : désormais, on parle « d'enseignes à dominante marque propre », qui recouvrent des réalités différentes.

    Fin août, Carrefour a inauguré son premier Supeco à Valenciennes (Nord). Intermarché vient de revoir son concept Netto. Dans le non-alimentaire, le néerlandais Action et le danois Normal (dont le succès repose sur « des produits normaux à des prix anormaux »), cartonnent.

    Les discounters sont nés dans les années 1990. Le premier magasin était un Aldi à Croix, dans le Nord. Pendant très longtemps, ils ont taillé des croupières à la grande distribution, jusqu'à atteindre 14 % du marché vers 2008 ! Mais la loi LME, votée en 2008 sous la présidence Sarkozy, a redonné de la compétitivité aux distributeurs classiques et signé le point de départ d'une féroce guerre des prix bas.

    Les clients veulent le prix et la qualité

    « On allait dans le mur », reconnaît un ancien hard discounter. Lors de cette bataille, Ed, puis Dia sont balayés, tandis que 25 % des magasins discount disparaissent entre 2014 et mi 2019, selon l'institut IRI.

    Ceux qui s'en sortent sont ceux qui ont su se réinventer. Certes, à l'heure où 11 % des ménages disent ne pas s'en sortir, et où « 15 à 20 % d'entre eux ont de vrais soucis de pouvoir d'achat », rappelle Frédéric Valette de la société d'études Kantar, le prix reste un critère déterminant, pour moult retraités, mais aussi pour un nombre croissant de jeunes et de familles monoparentales. Une enseigne qui force trop sur les étiquettes perd ses clients. « Le sujet prix n'a jamais disparu, c'est l'ADN des enseignes », confirme Olivier Macard, du cabinet de conseil EY.

    Mais au-delà du prix, ce qui fait le succès du moment, c'est le rapport qualité-prix. L'heure est aux aliments sains, aux fruits de saison, aux produits du terroir, à l'origine France. Les mots de l'époque sont transparence, confiance, Yuka, et, bien sûr, Nutri-Score. Le discount, d'accord, mais responsable, et source de plaisir…

    Des prix rabotés à l'os

    Petit à petit, à côté des marques distributeurs, les produits de marque ont été réintroduits, car les consommateurs y étaient attachés. Les services, aussi, deviennent incontournables : la boulangerie, le boucher qui tient son rayon sont appréciés.

    Lidl, notamment, est le symbole de cette mue, couronnée de succès en très peu de temps : l'enseigne allemande représente désormais 6 % des parts de marché, contre 5,3 % en 2017. 400 000 nouveaux clients ont franchi la porte de l'enseigne en août 2019. La clé du succès? De nouveaux services, donc, mais aussi une vraie exigence en termes de qualité (les produits sont goûtés tous les mardis). Un côté caverne d'Ali Baba, aussi, avec des promotions alléchantes (la machine à coudre, le robot de cuisine, etc.)

    Leur modèle économique : des prix rabotés à l'os et un petit nombre de références choisies (1 700 en tout pour les 1 500 magasins ; soit près de dix fois moins que dans une grande surface traditionnelle) permettent de commander en grandes quantités. « Quand un fournisseur est sélectionné, on ne commande pas deux palettes mais des camions entiers », confirme Michel Biéro, le directeur exécutif Achats et marketing de Lidl France.

    Une rentabilité comparable

    Très discret mais très puissant avec ses 881 magasins, l'autre allemand, Aldi, a lui aussi misé sur des process raccourcis et un petit nombre de références pour serrer ses tarifs au maximum.

    Et ça marche, d'autant que la population type s'est élargie. Il n'est plus honteux pour les classes moyennes de traîner les enfants dans les allées de Netto ou de Lidl, notamment lorsque des casques de ski sont mis en vente…

    Malgré leurs prix très serrés, les discounters affichent une rentabilité comparable à celles des enseignes classiques. « Dans la grande distribution, la marge nette, une fois tous les coûts déduits, se situe entre 1 et 2 % (NDLR Du chiffre d'affaires global), et le taux de rentabilité rapporté aux capitaux investis est compris entre 8 % et 15 % », estime Olivier Macard, de EY.

    En un an (entre fin août 2018 et fin août 2019), le chiffre d'affaires du discount en France s'est lui élevé à 12 milliards d'euros. Les enseignes françaises (Netto, Leader Price, etc.) chutent de 7,3 % tandis que les allemandes (dont Lidl et Aldi) font un bond de 6 %. (Données IRI)

    Les acteurs du discount cherchent à se renforcer, comme le prouvent les discussions en cours entre Aldi et Leader Price. Endetté, le groupe Casino pourrait se délester de l'enseigne où il est le moins solide pour se concentrer sur ses points forts (l'e-commerce avec Cdiscount et le premium avec Monoprix), tandis qu'Aldi, en pleine croissance, y gagnerait (notamment) un maillage territorial bien plus dense. Dans ce secteur en pleine recomposition, les uns et les autres n'ont pas fini d'avancer leurs pions.