Covid-19 : la Cour des comptes demande à l’Etat de récupérer le trop-perçu des aides liées à la pandémie

Dans son rapport annuel, la Cour des comptes révèle une bonne gestion globale de la crise par l’État. Mais dans l’urgence et faute d’une préparation suffisante, des aides ont été trop largement versées. Les magistrats exhortent l’État à récupérer les sommes indues.

La Cour égratigne notamment la gestion des aides accordées au secteur du sport, qui ont été versées sans cibler la situation financière des clubs concernés. (Illustration) LP/Olivier Boitet
La Cour égratigne notamment la gestion des aides accordées au secteur du sport, qui ont été versées sans cibler la situation financière des clubs concernés. (Illustration) LP/Olivier Boitet

    Emmanuel Macron l’a reçu en mains propres ce mardi soir. Le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a remis le dernier rapport annuel du quinquennat réalisé par le gendarme des finances publiques. Le rapport, épais de 702 pages, s’est concentré sur la gestion de la crise sanitaire par l’État : des prisons aux Ehpad, du versement des aides publiques à l’approvisionnement alimentaire pendant le confinement, en passant par la situation des étudiants… Ce qu’il en ressort ? Un satisfecit plutôt général. Selon les magistrats de la Cour des comptes, qui retracent précisément chaque thématique, si l’État n’avait pas suffisamment anticipé à une telle crise, les administrations ont globalement su s’adapter. Avec, toutefois, quelques trous dans la raquette.

    Mal équipés, les agents de l’État ont géré comme ils ont pu

    Exemple à la Direction générale des finances publiques (DGFiP) où les inspecteurs des impôts n’avaient pas d’application de gestion pour instruire les reports de paiement d’impôts directs octroyés aux entreprises. Conséquence de ce « suivi interne imparfait », comme l’indiquent les magistrats de la Cour dans le rapport : le montant de 3,6 milliards d’euros de reports annoncé est incertain. « La Cour regrette la fiabilité et la précision insuffisantes de ces données de suivi eu égard aux enjeux, précise le document. De plus, ces données ont été présentées par le gouvernement sans être assorties des réserves suffisantes sur leur fiabilité et leur signification. La DGFiP devrait donc s’assurer de disposer des outils de suivi permettant d’obtenir des informations fiables et précises sur les dispositifs mis en œuvre, même en période de crise. »

    Et si les agents ne disposaient pas de logiciels ad hoc pour gérer correctement toutes les aides mises à la disposition des entreprises, c’est aussi parce que leur matériel était hors d’âge. « Alors que l’ensemble des administrations devaient avoir migré sous Windows 10 avant le 14 janvier 2020, la DGFiP n’avait pas terminé cette opération à la mi-mars 2020, déplore la Cour des comptes. Et de nombreux ordinateurs fonctionnaient encore sous Windows 7. »

    La plupart des agents, d’ailleurs, étaient amenés à « utiliser leur équipement personnel alors qu’ils pouvaient être conduits à traiter des données sensibles et que les cyberattaques ont fortement augmenté pendant la crise ». Principalement à cause d’un manque de matériel, « une proportion importante d’agents a été placée en autorisation spéciale d’absence ». Résultat, la DGFiP a été classée parmi les cinq administrations fiscales de l’OCDE pour lesquelles « le nombre d’agents ne pouvant pas télétravailler ou ne pouvant pas être redéployés allait jusqu’à 50 % ». En urgence, la DGFiP a acheté 54 000 ordinateurs portables pour équiper ses agents.

    Des aides distribuées sans contrôles ?

    Pour répondre à l’urgence, l’État a massivement sorti le carnet de chèques, promettant des contrôles a posteriori. Mais pour les magistrats, « les aides accordées n’ont généralement pas été assorties de précautions suffisantes pour éviter les effets d’aubaine et limiter les risques de fraudes ». Il est donc temps d’ajuster le tir pour récupérer rapidement les sommes versées à tort. Exemple avec le fonds de solidarité (institué fin mars 2020 pour aider les entreprises en difficulté), où la Cour « exhorte le gouvernement à récupérer les sommes indûment versées et d’engager des poursuites pénales ».

    Mais la liste de versements un peu hasardeux — où plusieurs aides ont compensé le même manque à gagner — est très longue. Les magistrats citent par exemple la communauté d’agglomération de la région de Compiègne (Oise) qui « a spontanément versé une indemnité de 200 000 euros à la société de promotion du Compiégnois et d’exploitation du Tigre (une salle de spectacle). Cette dernière, qui a également bénéficié de mesures nationales de soutien à l’économie, est ainsi parvenue à dégager en 2020 un résultat excédentaire près de sept fois supérieur à celui de 2019 ».



    La Cour n’est également pas tendre avec l’État dans sa gestion du secteur du sport qui a multiplié les aides variées pendant des mois sans cibler la situation financière des clubs pros et amateurs. « Positive dans son principe, cette dynamique de financement public n’a pas fait l’objet d’une concertation ni d’une coordination, ce qui a conduit à la multiplication des dispositifs en faveur de structures, souvent petites (…), tacle le rapport. Au final, les mesures fédérales et le soutien des collectivités territoriales ont pu recouper les objectifs des mesures nationales, entraînant un effet de cumul. »

    Ehpad, masques, médicaments… des faiblesses préexistantes

    Le rapport, qui passe au crible de nombreux secteurs impactés par la crise sanitaire, montre que certaines difficultés (précarité de la vie étudiante, fort taux de chômage des jeunes, difficulté de recrutement dans les Ehpad…) ont été accentuées par la pandémie. Sans que les mesures mises en place en urgence par l’État — comme le dispositif 1 jeune 1 solution — ne parviennent à les enrayer.

    Et si ces défauts conjoncturels pèsent évidemment dans le bilan effectué par les magistrats, c’est bien l’endettement de la France qui inquiète le plus. Pour s’en sortir dans les années à venir, les magistrats proposent d’infléchir « le rythme de la dépense » en ciblant certains secteurs prioritaires : « le système de retraite, l’Assurance maladie, la politique de l’emploi, les minima sociaux et la politique du logement ».