14 m de haut, 160 tonnes de plantes... On a visité la plus grande ferme verticale de France

Jungle, entreprise installée à Château-Thierry (Aisne), se revendique comme la plus grande ferme verticale et connectée de France. Une dizaine de projets similaires ouvriront d’ici 2027.

Epaux-Bézu (Aisne), le 27 juin. La ferme est un condensé de technologie qui permet de cultiver de nombreuses plantes dans un entrepôt. LP/Olivier Corsan
Epaux-Bézu (Aisne), le 27 juin. La ferme est un condensé de technologie qui permet de cultiver de nombreuses plantes dans un entrepôt. LP/Olivier Corsan 

    Depuis les fenêtres du train qui nous mène de Paris à Château-Thierry (Aisne) défilent des centaines d’hectares de céréales et de légumes. Une mosaïque de vert et de blond assommée par la chaleur où s’activent les tracteurs et systèmes d’irrigation. Drôle de contraste lorsqu’on découvre, dans une zone industrielle au cœur d’un complexe rassemblant plusieurs usines, la ferme verticale de l’entreprise Jungle.

    Cette société, fondée en 2016, affirme avoir créé le plus grand complexe du genre en France. Chaque année, 160 tonnes de plantes sont produites sous un immense hangar de 4 000 m2. Des salades, des herbes aromatiques, des fleurs destinées à la grande distribution mais aussi à l’industrie de la parfumerie et des cosmétiques.



    Le tout sans utiliser le moindre insecticide, fongicide ou herbicide. En reproduisant artificiellement la lumière du soleil et en arrosant avec une quantité d’eau minime. Quand le cofondateur et président de Jungle, Gilles Dreyfus, nous ouvre les portes de ce concentré de technologie, où les graines sont cultivées sur des plateaux superposés et déplacés par ordinateur, ce n’est pas le mot « ferme » qui nous vient à l’esprit.

    Epaux-Bézu (Aisne), le 27 juin. La ferme verticale reproduit la lumière ainsi que la température naturelle la plus adaptée à la culture de chaque plante.
    Epaux-Bézu (Aisne), le 27 juin. La ferme verticale reproduit la lumière ainsi que la température naturelle la plus adaptée à la culture de chaque plante. LP/Olivier Corsan

    N’allez d’ailleurs pas imaginer le patron en salopette d’agriculteur ni avec de la terre sous les ongles. Cet ancien banquier privé, plus à l’aise dans le milieu de la finance qu’à arpenter un champ de blé, cultive le look « cool mais chic » des patrons de start-up. Sa « boîte » a d’ailleurs remporté l’an dernier le prix French Tech Agri20 qui récompense des sociétés innovantes en matière d’agriculture.

    Cool mais chic

    Le seul lien évident avec la nature, ici, est… Olfactif. Lorsqu’on pénètre dans la serre verticale de 14 m de haut, des effluves de plantes nous assaillent. Des milliers de graines de laitue, de persil, de basilic ou de coriandre grandissent dans de petits cubes en copeaux de bois ou en fibres de coco, tous remplis de tourbe. Le fameux substrat qui remplace la terre dans laquelle ces légumes et aromates poussent naturellement à l’extérieur.

    Dans un air ambiant saturé de chaleur (25 °C) et d’humidité (à 95 %), cinq millions de plants sont cultivés annuellement. À chaque rangée, un tuyau en PVC est utilisé pour irriguer les espèces végétales et leur fournir la quantité exacte d’eau assortie de nutriments et de sels minéraux dont elles ont besoin pour pousser. « Une caméra infrarouge nous permet de détecter d’éventuels pathogènes et de vérifier si la plante croît de la bonne manière », explique le fermier 2.0.

    Gilles Dreyfus, président de Jungle.
    Gilles Dreyfus, président de Jungle. LP/Olivier Corsan

    Pour que la photosynthèse s’effectue, des leds colorées éclairent les rangées de salades et d’aromates. Il y a là du rose, du bleu, du vert. « Les humains voient la lumière du soleil en jaune ou blanc, mais les plantes la perçoivent en sept couleurs avec 22 pigments distincts, explique Gilles Dreyfus. Chaque variété végétale a besoin d’un spectre de couleur ou d’intensité différente. »

    Jungle, la bien nommée, affirme « se calquer » au plus proche de ce qui se fait au sein de la nature pour concevoir ses plantes. « On reproduit par exemple la température qui convient le mieux au basilic, le taux d’humidité idoine et nous allons jusqu’à simuler la puissance du vent qui, en pleine nature, donne de la force à la plante pour développer sa structure racinaire », ajoute le cofondateur de la ferme verticale de Château-Thierry.

    Ferme ou usine ?

    Ferme qui, avouons-le, fait davantage penser à une usine à plantes qu’à une exploitation agricole classique. Au vu de la place limitée utilisée sous le hangar pour faire croître le basilic et la salade, le rendement semble plutôt flatteur puisque Jungle revendique 400 m2 de surface nette de culture. « Nous y faisons aussi pousser des fleurs et des plantes rares destinées aux cosmétiques », s’enorgueillit le patron, très fier d’avoir conçu dans ses labos le premier extrait naturel de muguet qui sera prochainement intégré dans un parfum.

    La ferme verticale se veut une solution pour mettre en place une agriculture durable à grande échelle.
    La ferme verticale se veut une solution pour mettre en place une agriculture durable à grande échelle. LP/Olivier Corsan

    Lorsqu’on l’interroge sur l’intérêt de ce type de ferme, sans lien racinaire avec les terres extérieures qui font la fierté de l’agriculture française, Gilles Dreyfus déroule ses arguments avec un débit de mitraillette : « 99 % d’économie d’eau par rapport à des cultures en plein champ, 100 % de récupération de l’eau de pluie, quatorze récoltes par an pour le basilic contre trois en agriculture traditionnelle et des produits conçus localement alors que 70 % des herbes aromatiques sont aujourd’hui importées. »

    500 fermes de ce type ont déjà éclos dans le monde, notamment aux États-Unis, en Chine, à Singapour et en Allemagne. « Nous ne disons pas que ces fermes sont l’avenir de l’agriculture mais qu’elles font partie de la solution, souligne le patron de Jungle, qui tient absolument à nous parler de la Centella asiatica. « Une plante aux vertus cicatrisantes qui est en train de s’éteindre à Madagascar et dont nous avons réussi à sécuriser des plants mères afin de créer des boutures, ajoute Gilles Dreyfus. Nous la vendons à une société japonaise qui en extrait les principes actifs et les utilise pour des huiles essentielles. »