Accord pour protéger la haute mer : ce que l’on sait de ce traité vital pour les océans

Samedi soir, les 51 États membres de l’ONU sont parvenus à un traité pour protéger la haute mer, qui représente 60 % des océans et fournit la moitié de l’oxygène que nous respirons. Un accord historique.

Les pays en développement qui n'ont pas les moyens de financer de très coûteuses expéditions en eaux profondes se sont battus pour ne pas être exclus de l'accès aux ressources marines génétiques et du partage des bénéfices anticipés de leurs commercialisations. (Illustration). REUTERS/Kim Kyung-Hoon/File Photo
Les pays en développement qui n'ont pas les moyens de financer de très coûteuses expéditions en eaux profondes se sont battus pour ne pas être exclus de l'accès aux ressources marines génétiques et du partage des bénéfices anticipés de leurs commercialisations. (Illustration). REUTERS/Kim Kyung-Hoon/File Photo

    Il aura fallu attendre quinze ans pour que le « navire atteigne le rivage ». Pour que les 51 pays de l’ONU (Organisation des Nations unies) se mettent d’accord sur le premier traité international visant à protéger la haute mer et ses écosystèmes essentiels à la survie de l’humanité. Un texte d’une importance vitale.

    Qu’est-ce que la haute mer ?

    La haute mer commence là où s’arrêtent les zones économiques exclusives des États, qui s’étendent à maximum 370 km des côtes. La haute mer n’est donc sous la juridiction d’aucun État. C’est pourquoi elle a longtemps été ignorée dans le combat environnemental, au profit des zones côtières et de quelques espèces emblématiques. Pourtant, son étendue est vertigineuse : elle représente 60 % des océans, et près de la moitié de la planète.

    Avec les progrès de la science, on sait désormais à quel point il est vital de protéger ces océans profonds : ils foisonnent d’une biodiversité souvent microscopique, qui fournit la moitié de l’oxygène que nous respirons. Elle limite aussi le réchauffement climatique en absorbant une partie importante du CO² émis par les activités humaines.

    Mais les océans s’affaiblissent : ils sont victimes de ces émissions (réchauffement, acidification de l’eau…), des pollutions en tout genre et de la surpêche.

    En quoi consiste ce traité ?

    Le contenu exact du texte n’a pas encore été publié. Il doit encore être formellement adopté, signé puis ratifié. Mais lorsque le traité entrera en vigueur, il permettra de créer des aires marines protégées dans ces eaux internationales. Malgré l’importance cruciale de la haute mer, seules 1 % de ses eaux font l’objet de mesures de conservations.

    Puisque la haute mer représente plus de la moitié des océans, le traité est jugé indispensable pour espérer protéger 30 % des terres et des océans de la planète d’ici 2030, comme s’y sont engagés l’ensemble des gouvernements de la planète en décembre.

    Il introduit également l’obligation de réaliser des études d’impact sur l’environnement des activités envisagées en haute mer. Car les discussions n’ont pas tourné qu’autour de la sauvegarde de la biodiversité, loin de là : il a beaucoup été question d’exploitation des ressources et… d’argent.

    Longtemps coûteux à explorer, ces abysses regorgent d’espèces dont les industries pharmaceutiques et cosmétiques espèrent tirer des molécules miracles. Mais comment partager les bénéfices (anticipés) de ces ressources qui n’appartiennent à personne ? L’enjeu était crucial pour les pays en développement, qui n’ont pas les moyens de financer de très onéreuses recherches et expéditions. Lors des débats, ils se sont battus pour ne pas être exclus de l’accès à ces ressources marines génétiques, ni du partage des bénéfices.



    Ce (gros) chapitre a d’ailleurs cristallisé les tensions, jusqu’à la dernière minute. Pour renforcer la confiance Nord-Sud, l’Union européenne a promis 40 millions d’euros pour faciliter la ratification du traité et sa mise en œuvre initiale.

    Selon le média belge RTBF, le traité prévoit également la création d’un « secrétariat distinct », qui ne sera pas placé sous l’égide des Nations unies à New York pour « éviter le lobbying ». La Belgique se serait portée candidate pour le recevoir à Bruxelles.

    Pourquoi tant d’attente ?

    Le traité est l’aboutissement de plus de 15 ans de discussions, dont quatre années de négociations formelles. La troisième et « dernière » session marathon à New York, a finalement été la bonne, ou presque.

    Les délégués ont finalisé le texte au contenu désormais gelé sur le fond. Mais il sera formellement adopté à une date ultérieure après avoir été passé au crible par les services juridiques et traduit pour être disponible dans les six langues officielles de l’ONU.

    Les réactions

    Certains militants l’ont salué comme étant un tournant décisif pour la protection de la biodiversité. « C’est un jour historique pour la conservation et le signe que dans un monde divisé, la protection de la nature et des personnes peut triompher sur la géopolitique », a déclaré sur Twitter Laura Meller, de Greenpeace.

    « C’est une avancée historique pour la protection des océans, ajoute Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. Les pays doivent ratifier ce traité rapidement pour qu’il entre en vigueur. » « ENFIN un traité pour protéger la haute mer ! » se réjouit Claire Nouvian, présidente de l’association Bloom, qui œuvre pour les océans.

    François Chartier, le chargé de campagne « océan et pétrole » chez Greenpeace, souligne toutefois que « tout reste à faire » en matière de lutte contre l’exploitation minière en eaux profondes.

    L’association Sea Shepherd se montre encore plus perplexe quant à la pertinence de ce traité : « Bien mais quand on voit le mal qu’on a à préserver les eaux côtières de la surexploitation, la première question qui s’impose est : quels moyens pour faire respecter des mesures de protection dans des zones aussi lointaines et qui appartiennent à tout le monde ? », écrit-elle, entre autres, sur Twitter.

    Les instances politiques, elles, s’en félicitent chaudement, tout comme Emmanuel Macron. « Nous n’avons rien lâché pour y arriver : l’engagement qui a été pris cette nuit à New York est historique ! (…) C’est plus de la moitié de la surface de la planète que nous allons protéger », a réagi le président de la République sur Twitter.

    L’accord est « un moment historique pour nos océans », a salué ce dimanche le commissaire européen à l’Environnement, Virginijus Sinkevicius, se disant « très fier » de ce résultat.

    « Ce jour marque l’aboutissement de plus d’une décennie de travaux préparatoires et de négociations internationales dans lesquelles l’UE a joué un rôle clé, a-t-il souligné. Nous franchissons une étape cruciale pour préserver la vie marine et la biodiversité qui sont essentielles pour nous et pour les générations à venir. »

    Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a félicité les délégués, selon un de ses porte-parole qui a déclaré que cet accord est une « victoire pour le multilatéralisme et pour les efforts mondiaux visant à contrer les tendances destructrices qui menacent la santé des océans ».