Bombe nucléaire, glace carbonique, entonnoirs géants : peut-on stopper les ouragans ?

Depuis les années 1940, des scientifiques ont imaginé différentes techniques pour affaiblir ou détourner les cyclones. Sans aucun succès.

    Ils sont imprévisibles et destructeurs. Les phénomènes cycloniques sèment la mort et la désolation. L'ouragan Irma, l'un des plus violents jamais survenus dans l'Atlantique, prend le chemin de la Floride, après avoir rasé plusieurs îles des Caraïbes. L'ouragan José, placé en catégorie 4, pourrait lui aussi frapper dans les prochains jours.


    Compte tenu de la dangerosité des tempêtes tropicales, des scientifiques, pour la plupart américains, ont très tôt imaginé des solutions pour affaiblir leur intensité. Dispersion de produits chimiques dans les nuages, passage d'avions supersoniques, pose d'entonnoirs géants dans l'océan pour refroidir l'eau …. A ce jour, aucune de ces techniques n'a pu prouver son efficacité face aux forces déchaînées de la nature. 

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    Les scientifiques se concentrent désormais uniquement sur l'observation des cyclones et de leur itinéraire, sans essayer d'intervenir dans le but, illusoire, de modifier quoi que ce soit dans le phénomène. Sage décision. Car en essayant de perturber un ouragan, le risque est de créer des effets encore plus catastrophiques.

    La diffusion de glace carbonique

    Après la Seconde Guerre mondiale, le programme Cirrus, financé par l'armée américaine et la firme General Electric, vise à projeter de la glace carbonique (dioxyde de carbone, aussi appelée glace sèche) au-dessus d'un ouragan. La glace sèche, souvent utilisée dans le monde du spectacle pour créer un effet de brouillard, est censée modifier l'enveloppe nuageuse. En 1947, un avion largue 36 kg de glace au-dessus d'un cyclone dans l'Atlantique. Les scientifiques observent des modifications dans l'apparence des nuages. Mais le lien de cause à effets est impossible à reproduire... Cette tentative, peu concluante, donne le coup d'envoi à d'autres recherches plus ambitieuses.

    L'ensemencement des nuages avec de l'iodure d'argent

    Lancé peu après Cirrus, le projet Stormfury, financé par le gouvernement américain de 1962 à 1983, constitue l'expérience la plus célèbre pour tenter de diminuer la violence des cyclones tropicaux. Les chercheurs pensent alors que le fait d'«ensemencer» les nuages avec de l'iodure d'argent aurait pour effet de réduire la violence des vents, tout en désagrégeant le cyclone. L'ensemencement des nuages est parfois utilisé pour disperser le brouillard, diminuer la grosseur des grêlons ou augmenter la quantité de précipitations. Mais son efficacité est sujette à débats.

    Des expériences in situ ont lieu sur les ouragans Esther (1961), Beulah (1963), Debbie (1969) et Ginger (1971). Les premiers résultats semblent encourageants : dans certains ouragans «traités», la vitesse des vents faiblit. Quelques-uns semblent changer de trajectoire. Mais ces conclusions sont battues en brèche par d'autres observations. Il apparaît que les ouragans peuvent baisser en intensité naturellement, si bien que l'efficacité de l'iodure d'argent est impossible à prouver.

    Sceptiques sur les résultats obtenus, le gouvernement et l'armée américaine décident d'arrêter les frais. Le programme Stormfury a toutefois permis de mieux comprendre la physique des nuages, d'améliorer la collecte de données et les instruments de mesure.

    L'explosion nucléaire

    Bon sang mais c'est bien sûr! Et si on lâchait une bombe atomique pour «souffler» un ouragan naissant? Heureusement, aucun pays au monde n'a mis à exécution cette idée aussi dangereuse que vouée à l'échec. Premièrement, comme le souligne un article de Météo France, l'arme atomique produirait des retombées radioactives qui, prises dans les alizés, causeraient des problèmes environnementaux dévastateurs.

    Deuxièmement, les calculs démontrent que même la plus puissante des bombes nucléaires dégagerait une énergie infime comparée à celle déployée par un ouragan. A pleine puissance, un cyclone virulent dégage l'équivalent de cinq bombes atomiques par seconde ! Et la totalité de l'énergie utilisée par l'humanité en une année correspond à moins de 20% de celle d'un grand cyclone. Bref, même en larguant toutes les bombes nucléaires du monde en même temps sur un cyclone, cela ne stopperait pas la course du phénomène.

    Les avions supersoniques

    Arkady Leonov, professeur à l'université d'Akron (Ohio), a théorisé une méthode consistant à faire voler des avions supersoniques autour de l'oeil de l'ouragan. Selon lui, l'énergie déployée lors du passage du mur du son à certains endroits précis de l'ouragan suffirait à refroidir l'air et à modifier sa structure. Hugh Willoughby, un professeur de l'Université de Floride, juge cette idée absurde. Non seulement le vol d'avions supersoniques n'aurait que peu d'effet, mais il mettrait la vie des pilotes en danger, a-t-il expliqué au magazine «Popular Science».

    Des entonnoirs géants dans l'océan pour refroidir l'eau

    En 2009, l'entreprise Intellectual Ventures a rendu public le procédé «Salter Sink», né dans l'imagination de ses ingénieurs. L'idée : placer de gigantesques entonnoirs dans l'océan pour dévier les courants d'eau chaude, où les ouragans puisent leur énergie. En disposant plusieurs de ces entonnoirs dans les couloirs empruntés par les ouragans, le fondateur Nathan Myhrvold assure que ceux-ci pourraient être freinés dans leur développement. Mais les biologistes y voient surtout un moyen de perturber profondément l'éco-système. Voire d'accentuer le dérèglement climatique, car les courants chauds et froids sont censés se réguler naturellement. Ce projet est resté à l'état de modélisation numérique, sa réalisation nécessitant des milliards de dollars d'investissement.

    Conclusion : seules les actions indirectes ont de l'effet

    Au rayon des curiosités, des inventeurs ont travaillé sur des solutions de refroidissement des eaux grâce au nitrogène ou en utilisant de très grandes pompes sous-marines... Le traitement au laser ou la diffusion de micro-ondes depuis l'espace pour orienter la trajectoire du cyclone ont aussi germé dans certains esprits audacieux.

    Mais en l'absence de technologie pour modifier et prévoir les ouragans, les humains en sont réduits à en anticiper les causes et les effets. La lutte contre le réchauffement climatique, qui donne naissance à des cyclones toujours plus violents, et l'aménagement de constructions anti-cycloniques dans des zones moins exposées, sont, pour l'instant, les seules actions possibles pour tenter de prévenir leurs dégâts.