Anesthésiste de Besançon : le Dr Péchier aurait empoisonné son patient pour se forger un alibi

Sur les 24 cas qui lui sont imputés, un seul concerne l’un de ses patients, le dernier de la série. Une mise en scène selon les enquêteurs. La preuve de son innocence selon le médecin.

 Le Dr Frédéric Péchier, anesthésiste à Besançon (Doubs), est soupçonné de 24 cas d’empoisonnements, dont neuf mortels.
Le Dr Frédéric Péchier, anesthésiste à Besançon (Doubs), est soupçonné de 24 cas d’empoisonnements, dont neuf mortels. LP/OLIVIER LEJEUNE

    Il est le dernier de la série. Il est aussi - exception notable - le seul et unique patient ayant été endormi par Frédéric Péchier lui-même le jour de son opération et du malaise cardiaque qui a failli lui coûter la vie.

    Jean-Claude Gandon, 72 ans, compte parmi l es 24 cas d'empoisonnements, dont neuf mortels, imputés à ce jour à cet anesthésiste de Besançon (Doubs). Le médecin est suspecté d'avoir, de 2008 à 2017, sciemment pollué des poches de perfusion pour provoquer des complications, toujours chez les patients de ses collègues.

    Toujours, sauf une fois : ce 20 janvier 2017, c'est bien Frédéric Péchier, qui subit, et pour la première fois, un « événement indésirable grave » (EIG), lorsque Jean-Claude Gandon fait un arrêt cardiaque en pleine opération. Un incident que les enquêteurs suspectent en réalité d'avoir été mis en scène par le Dr Péchier lui-même pour détourner les soupçons.

    Le bon antidote

    À l'époque, la clinique Saint-Vincent est en effet dans la tourmente : elle vient de découvrir qu'une patiente de 36 ans, qui a failli mourir neuf jours plus tôt, a été empoisonnée au potassium. Or, en interne, tout le monde se souvient que Frédéric Péchier, venu à la rescousse, avait miraculeusement administré le bon antidote à la patiente, qui souffrait d'une complication rarissime et indétectable à ce moment-là… Tout le monde sait aussi que la clinique a prévenu la vice-procureur de la République, et qu'une enquête policière a été ouverte, le 19 janvier.

    Dès le lendemain, survient l'EIG de Jean-Claude Gandon. Et le Dr Péchier, décidément malchanceux, trouve ce jour-là plusieurs poches percées dans son chariot d'anesthésie. Pour le médecin, l'acte de malveillance ne fait aucun doute. Les enquêteurs, eux, sont plus circonspects. Les parties civiles, elles, évoquent un « EIG alibi ».

    Des poches percées

    D'abord parce que la veille au soir, le docteur Péchier a demandé à l'infirmière de venir plus tard, pour s'occuper lui-même de la préparation du matériel. Ensuite parce qu'il ordonne ce matin-là à une infirmière stagiaire de poser une poche de paracétamol en début, et non en fin d'intervention - un non-sens médical. Elle s'en étonne mais s'exécute, et constate que la poche fuit. Un banal incident pour la jeune femme, qui la jette et en prend une autre. Toutefois, lorsqu'elle en parle au Dr Péchier, elle s'étonne de son insistance à vouloir vérifier tout le chariot d'anesthésie. C'est là qu'il découvre trois autres poches percées… Plusieurs, en plus de celle administrée à Jean-Claude Gandon, révéleront un taux anormal de mépivacaïne, un anesthésique local.

    Une autre infirmière se souvient, elle, l'avoir vu le praticien prendre ce jour-là une poche de paracétamol dans une autre salle que la sienne. Il s'était alors justifié en lui disant qu'il « se passait quelque chose » et qu'il lui expliquerait « plus tard ». Mais d'après les enquêteurs, à ce moment précis, l'anesthésiste n'avait pas encore été informé qu'une poche fuyait… Autre fait confondant quelques jours plus tard, il évoque avec un confrère, avant même le retour des analyses, la présence de mépivacaïne. Confronté à cet élément, il dira que son collègue « a dû confondre ».

    « Une façon de se victimiser »

    Au chapitre des bizarreries, il y a aussi ce nombre élevé de seringues, dont une partie non étiquetées, retrouvées dans la poubelle. Deux d'entre elles ont manifestement servi à injecter la mépivacaïne. En raison de la désinfection des salles, et de l'absence d'anomalie la veille au soir, la pollution n'a donc pu avoir lieu qu'entre 6h30 et 7h4o, et n'être le fait que du Dr Péchier, ou de l'infirmière stagiaire. « On veut me faire porter le chapeau », lâche pourtant l'anesthésiste en garde à vue, persuadé d'être victime d'un complot.

    « Cet EIG avec des poches trouées grossièrement est une façon pour le Dr Péchier de se victimiser, réagit Me Frédéric Berna, avocat des Gandon. Mais au lieu de le dédouaner, cela ramène au contraire les soupçons vers lui », estime l'avocat. « Il n'y a pour moi qu'un seul empoisonnement à ce jour : le cas Gandon, rétorque Me Randall Schwerdorffer, avocat du praticien. Or n'importe qui pouvait avoir accès à ces poches, soit tard le soir, soit tôt le matin. Quelqu'un a voulu le désigner. »