Gilets jaunes : la garde à vue d’Eric Drouet était-elle justifiée ?

Cette figure des Gilets jaunes a été interpellée mercredi soir à Paris alors qu’elle voulait rendre hommage aux blessés et disparus du mouvement avec des dizaines d’autres personnes.

 Le Gilet jaune Eric Drouet doit déjà comparaître en juin pour des faits datant du 22 décembre.
Le Gilet jaune Eric Drouet doit déjà comparaître en juin pour des faits datant du 22 décembre. FRANCOIS GUILLOT/AFP

    Cet événement, il le préparait depuis une semaine et disait publiquement avoir « besoin de monde qui n'aura pas peur d'une garde à vue ». Eric Drouet, tête d'affiche des Gilets jaunes, pensait-il pour autant, réellement, terminer son mercredi soir au commissariat du IIe arrondissement de Paris?

    La question se pose au lendemain de l'interpellation du chauffeur routier de Seine-et-Marne pour organisation d'une manifestation sans déclaration préalable. Ce père de famille de 33 ans a été arrêté aux alentours de la place Concorde, où il avait donné rendez-vous aux internautes pour rendre hommage à tous les disparus et personnes blessées depuis le début de la fronde. Depuis, Eric Drouet est porté en « martyr » par une frange importante du mouvement ainsi qu'une partie de l'opposition politique, de la France insoumise au Rassemblement national.

    Mais de quoi est-il accusé exactement ?

    Pour n'avoir pas averti la préfecture trois jours avant, comme l'exige la loi française, il encourt jusqu'à six mois de prison et 7500 euros d'amende ( article 431-9 du Code pénal ). « Quand quelqu'un organise une manifestation alors qu'elle n'est pas déclarée, c'est qu'il ne respecte pas l'État de droit », a justifié le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, sur France Inter. En tant qu'administrateur de la page Facebook « La France énervée », il est en effet l'organisateur de cet événement, créé dès le 27 décembre et intitulé « Rencontre entre Gilets jaunes ».

    Capture d’écran/Page Facebook La France énervée
    Capture d’écran/Page Facebook La France énervée FRANCOIS GUILLOT/AFP

    A noter que la justice le désigne aussi comme responsable du rassemblement parisien du 22 décembre, au cours duquel il avait été interpellé à Montmartre. Pour ces deux faits, il est donc convoqué le 15 février devant le tribunal correctionnel de Paris. Le 5 juin prochain, il comparaîtra également pour « port d'arme prohibé de catégorie D » le 22 décembre - un bâton en bois selon son avocat - et pour « participation à un groupement formé en vue de violences ou de dégradations ».

    Selon l'avocat en droit public de Lyon, Pierrick Gardien, les accusations d'« arrestation arbitraire » ou d'« abus de pouvoir » ne tiennent pas. « Cette interpellation ne me choque pas, réagit-il pour le Parisien. Ce rassemblement a eu lieu sur la voie publique, avec un nombre suffisant de personnes pour parler de cortège, et surtout de nuit, ce que n'autorise jamais la préfecture étant donné les impératifs de tranquillité publique. Et tout laisse à penser que c'est bel et bien Eric Drouet qui est à l'origine de cet appel à manifester ».

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    Maître Gardien tient toutefois à préciser que les policiers venus manifester sur les Champs-Elysées dans des conditions similaires à l'hiver 2016, n'ont eux jamais été inquiétés par la justice : « Sur ce coup, on pourrait parler de deux poids deux mesures ».

    Comment Eric Drouet va-t-il se défendre ?

    A première vue, son avocat compte rejeter la notion de « manifestation ». Maître Khéops Lara a estimé dans un communiqué que la soirée consistait à « déposer des bougies, avec d'autres amis et sympathisants Gilets Jaunes, sur la place de la Concorde » puis à « se réunir avec quelques proches et amis dans un endroit privé, un restaurant notamment, pour discuter et échanger. Et le tout sans violence, sans haine ». Un rassemblement organisé de manière pacifique, dans un endroit clos et privé, n'est en effet pas répréhensible.

    Communiqué de Maître Khéops LARA, Avocat de M. Éric DROUET, aux sympathisants des Gilets jaunes et à leurs contempteurs ...

    Gepostet von La france enervée am Donnerstag, 3. Januar 2019

    Le Facebook Live réalisé mercredi soir par Eric Drouet nous permet aussi d'apprendre qu'ils ne se sont jamais arrêtés de marcher sur conseil de son avocat. « Tant qu'on marche, tant qu'on n'est pas statique, on ne risque rien », peut-on l'entendre affirmer alors qu'il tourne autour des fontaines de la Concorde. Cette stratégie était censée les dédouaner de toute accusation d'« attroupement », un autre type de délit. « J'entends ces axes de défense classique mais je ne suis pas sûr qu'ils fonctionnent », tempère Pierrick Gardien.

    Interrogé par le Parisien, Henri Leclerc, président de Ligue des droits de l'homme, reste prudent sur le fond de l'affaire. « Il va falloir prouver qu'il s'agissait d'une manifestation », explique-t-il au Parisien. Toutefois, il s'interrogeait sur la durée de la garde à vue, qui ne s'est terminée que jeudi en fin d'après-midi. « Cette garde à vue me paraît sévère, voire excessive au vu de l'infraction mineure qu'on lui reproche, estime-t-il.

    Pourquoi personne ne portait de gilets jaunes ?

    La consigne d'Eric Drouet était claire : pour la première fois, pas question de venir en jaune fluo. « C'est une guerre d'images aujourd'hui. On ne fait rien. On reste pacifique », déclarait-il lui-même via un Facebook Live, quelques minutes avant l'arrivée de la police. « Aujourd'hui, on est là pour déranger et ça marche très très très bien », a-t-il poursuivi, une fois encerclé par les forces de l'ordre.

    Cette méthode, Elodie nous l'a également expliquée, au lendemain de son contrôle d'identité sur les Champs-Elysées. Elle confirme être « venue suite à l'idée d'Eric Drouet d'honorer les Gilets jaunes blessés et décédés ». « C'était pour montrer que Gilet jaune ou pas, nous, simples citoyens, ne sommes plus libres de nos déplacements… », nous a-t-elle précisé sur Facebook.

    Embarquée dans un bus, elle a passé une demi-heure au commissariat du XIIIe arrondissement avant d'être relâchée. Ils sont 35, selon elle, à avoir été interpellés puis libérés sans poursuite. En tant que simples manifestants lors d'un événement non-autorisé, ils risquaient une simple contravention de première classe (38 euros maximum).