Humanitaires d’Acted assassinés en 2020 : 11 suspects sous les verrous, le scénario de l’attentat se précise

Reçues le 11 octobre par les juges d’instruction, les familles des six humanitaires français tués en août 2020 au Niger ont obtenu des réponses sur les circonstances précises de l’attaque terroriste. Et des éclaircissements sur les avancées de l’enquête. Onze personnes ont été mises en examen.

Six jeunes Français et leurs accompagnants avaient été tués au Niger alors qu'ils effectuaient une mission humanitaire pour l'ONG Acted, en août 2020. LP/Philippe Lavieille
Six jeunes Français et leurs accompagnants avaient été tués au Niger alors qu'ils effectuaient une mission humanitaire pour l'ONG Acted, en août 2020. LP/Philippe Lavieille

    Dans la réserve de Kouré, les girafes du Niger traversent toujours la savane d’un pas lent en dodelinant de la tête, comme sur un air de reggae. Les plus grandes d’entre elles culminent à près de 6 m de haut mais depuis l’attentat du 9 août 2020, la zone est désormais classée en rouge (déplacements formellement déconseillés) par le ministère français des Affaires étrangères, et plus personne ne vient les admirer.

    Le 9 août, c’était un dimanche. Antonin, Charline, Léo, Myriam, Nadifa et Stella, six humanitaires français âgés de 25 à 31 ans et salariés de l’ONG Acted, profitent de leur journée de repos pour découvrir l’un des seuls lieux touristiques des environs de la capitale. À l’époque, le trajet Niamey-Kouré et la réserve des girafes, un territoire de plus de 1 000 km2 sans limite précise ni barrière de protection, sont classés en jaune par les autorités françaises (déplacements « possibles avec une vigilance renforcée »).

    À 11h20, le convoi est attaqué

    Après une heure de route, la Jeep Toyota d’Acted conduite par le chauffeur nigérien pénètre dans la réserve. Selon le scénario établi par les enquêteurs, l’un des passagers appelle le responsable sécurité d’Acted pour prévenir que le petit groupe est arrivé à destination. Les six Français sont rejoints par Kadri, président de l’association des guides, qui s’assoit à côté du chauffeur. L’une des jeunes femmes est installée à sa droite. Il est environ 10h40.



    Plusieurs travailleurs humanitaires s’installent alors sur le toit de la Jeep blanche pour admirer plus aisément les fameuses girafes. D’après les photographies retrouvées ensuite par les enquêteurs sur les téléphones des victimes, le début de la visite se passe à merveille. Les girafes sont bien au rendez-vous. Elles se laissent admirer de près et photographier sans difficulté. Puis à 11h20, la série de clichés s’interrompt brutalement.

    Trois hommes juchés sur deux motos font irruption à proximité des Français et de leurs deux accompagnateurs nigériens. Armés de fusils d’assaut et d’un pistolet automatique, ils touchent l’une des quatre femmes du groupe, juchée sur le toit du véhicule. Sous l’impact des deux balles qui l’atteignent à la jambe et à la hanche, elle chute au sol et ne semble plus en capacité de se mouvoir. La Jeep, elle, poursuit sa route sur près d’un kilomètre, pourchassé par les assaillants qui visent désormais le chauffeur.

    Le groupe exécuté froidement

    La lutte est inégale. Dans la savane, les motos ont l’avantage du terrain et à bord de la Jeep, personne n’est armé. Au cours de cette tragique course-poursuite, le chauffeur, le guide et la jeune femme présente à leurs côtés sont mortellement touchés par balles. Leurs corps seront retrouvés totalement ou partiellement calcinés. Après avoir immobilisé le véhicule, les assaillants font sortir les quatre occupants encore vivants. Puis les exécutent froidement, un à un, d’une balle dans la tête. Ils décident ensuite de brûler la Jeep, puis se dirigent vers la travailleuse humanitaire tombée de la voiture dès le début de l’attaque. Grièvement blessée, elle n’a pas eu la possibilité de s’échapper. Pour une raison inexpliquée, les terroristes décident de l’égorger.



    Après avoir semé la mort, le trio d’assaillants aurait pris la fuite vers le nord, en direction de la frontière malienne située à environ 300 km. La fumée et les flammes qui s’échappent de la Jeep laissent d’abord croire à un feu de brousse. Arrivés sur place les premiers, les guides de la réserve des girafes découvrent l’horreur absolue. Les autorités judiciaires nigériennes et françaises (le Parquet national antiterroriste) ouvrent alors une enquête pour « assassinats en relation avec une entreprise terroriste ». À Paris, elle est confiée à la Sous-direction antiterroriste (SDAT) et à la DGSI.

    Les auteurs présumés identifiés

    L’analyse téléphonique s’avère particulièrement fructueuse. Elle révèle des lignes suspectes géolocalisées sur le territoire de la réserve entre un et trois jours avant l’attaque. Des liens apparaissent aussi avec un réseau de personnes qui seront suspectées d’avoir apporté un soutien logistique, voire opérationnel à l’attentat.

    Selon des sources judiciaires, entre août 2020 et février 2021, onze personnes sont identifiées, mises en examen et placées en détention dans le cadre de la procédure nigérienne. L’une d’entre elles est suspectée d’avoir joué le rôle de guetteur, à proximité de l’entrée de la réserve, chargé de repérer « une voiture de blancs », selon une information de l’AFP. Les trois auteurs présumés de l’attentat auraient été identifiés mais n’ont pas encore été retrouvés pour le moment. Ils sont suspectés d’appartenir au groupe djihadiste État Islamique au Grand Sahara. Son chef, Abou Walid al Sahraoui, tué par la force Barkhane en août 2021, aurait lui-même commandité l’attentat de Kouré.