Attaque au Niger : le récit d’une tuerie perpétrée en quelques minutes

Au lendemain de l’attaque qui a tué six humanitaires français et deux Nigériens, la traque des assaillants à moto se poursuivait ce lundi.

 La carcasse calcinée du véhicule où se trouvaient les six Français et deux Nigériens tués le 9 août dans la réserve de Kouré au Niger.
La carcasse calcinée du véhicule où se trouvaient les six Français et deux Nigériens tués le 9 août dans la réserve de Kouré au Niger. AFP/BOUREIMA HAMA

    Ce devait être une excursion dans la savane pour observer les graciles silhouettes des girafes, à une heure de route de Niamey, la capitale nigérienne. Mais la sortie à la réserve de Kouré, dernier lieu touristique encore ouvert au Niger, prisé des expatriés pour une escapade du dimanche, a viré le 9 août au massacre. Au lendemain de l’attaque, le scénario cauchemardesque qui s’y est déroulé commençait à être reconstitué peu à peu. Ceux qui sont arrivés sur place juste après la tuerie n’oublieront jamais l’image des huit corps gisant autour de la voiture, certains tués d’une balle dans la tête. L’un d’entre eux, brûlé, allongé le long du véhicule, dont les vitres portent les impacts des tirs et dont la carcasse est à moitié calcinée.

    Quatre femmes et quatre hommes ont péri : six Français de l'association humanitaire Acted − Charline, Nadifa, Myriam, Stella, Léo et Antonin − et deux Nigériens. Parmi les Français, cinq étaient de jeunes salariés d'Acted en contrat de mission, comme l'a précisé lundi l'avocat de l'ONG Me Joseph Breham, le sixième était un volontaire. Selon l'association, tous les salariés, malgré leur jeune âge, avaient déjà effectué au moins une mission à l'étranger. Ils occupaient, selon leur employeur, des fonctions dites « support » (financier, juridique, logistique), sans contact direct et régulier avec la population locale à laquelle Acted apporte des services de première nécessité, eau potable, nourriture, vaccination notamment.

    Avec eux, se trouvait le chauffeur du véhicule tout-terrain siglé du nom de l'ONG, lui aussi salarié d'Acted, Boubacar Garba Soulay, 50 ans, marié et père de quatre enfants, et dont la femme est enceinte de leur cinquième bébé. Accompagnant le groupe, Aldoukadri Abdou Gamatché, 50 ans, marié également, était le président de l'association des Guides de la réserve.

    Environ une demi-heure avant la tragédie, le 4X4 Toyota, qui a quitté Niamey à 9h30, franchit à 10h40 la barrière d'accès à la réserve. Ce sont les premiers visiteurs de ce dimanche. Les Français profitent des paysages nigériens, de ses majestueux baobabs, c'est pour certains leur première sortie d'après le confinement imposé contre le Covid-19, passé dans des maisons d'hôtes et qui vient de se terminer. Cette excursion avait été évoquée le vendredi et décidée la veille. Et les consignes de sécurité habituelles, se rendre à Kouré le matin et de revenir à Niamey avant 14 heures, ont été suivies.

    Peu après être entrés sur la réserve, selon un récit rapporté localement, le guide repère un premier groupe de girafes près d'un point d'eau. Le véhicule s'arrête pour que les passagers puissent observer les animaux et faire des photos. L'accompagnateur joint par téléphone la base de la réserve, comme l'exige le règlement, et précise qu'ensuite ils feront demi-tour. Sur leur trajet de retour, ils aperçoivent un second troupeau et procèdent à un nouvel arrêt. Le guide passe un second coup de fil. Ce sera la dernière liaison avec la base.

    «Ce n'est sans doute pas Acted qui était visée»

    C'est juste après ce dernier signe que des coups de feu seront entendus et la première alerte donnée. Acted apprend à la mi-journée par des gardes-forestiers que la voiture a brûlé, des militaires de l'opération française Barkhane localiseront le lieu du crime.

    VIDÉO. Six Français, dont des humanitaires d'Acted, tués avec leurs guides au Niger

    D'après ce qui semble avoir été reconstitué pour l'heure, et que l'enquête devra préciser, le chauffeur aurait tenté de fuir avec ses passagers, mais il a sans doute été tué le premier. Le commando était composé d'hommes à moto, vraisemblablement au nombre de quatre. « Ce n'est sans doute pas Acted qui était visée, mais les premiers visiteurs occidentaux de ce dimanche », explique un responsable de l'association à Paris.

    Depuis l'attaque, des forces de sécurité nigériennes et les forces françaises installées à Niamey quadrillent l'ensemble de la région à la recherche des criminels. Les corps des victimes ont été rapatriés à la morgue de l'hôpital national à Niamey où ils seront autopsiés. Des relevés de police scientifique ont été effectués par les Nigériens, une équipe sera également spécialement détachée de Paris.

    A Paris, le parquet antiterroriste ouvre une enquête

    Lundi, le Parquet national antiterroriste (PNAT) a ouvert une enquête des chefs d'assassinats et association de malfaiteurs terroriste criminelle, confiée à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et à la police judiciaire de la Sous-direction antiterroriste (SDAT).

    L'ONG Acted a annoncé qu'elle allait déposer « une plainte pénale pour que soit éclairci ce qui s'est passé, pour que les familles sachent précisément », a précisé Me Joseph Breham. Le cofondateur de l'association, Frédéric Roussel, a dénoncé lundi lors d'une conférence de presse « la contradiction qu'il y a entre nous demander de soutenir ces populations qui vivent de façon dramatique et nous laisser seuls confrontés à une violence où nous sommes devenus les cibles les plus faciles ». Lundi soir, l'attaque n'avait toujours pas été revendiquée.