Paris : une infirmière licenciée pour un meurtre imaginaire

Chantal, infirmière, vit un cauchemar depuis sept ans. Licenciée, calomniée au point d'être soupçonnée de meurtre, elle attend désormais que les prud'hommes reconnaissent sa mise à pied abusive.

Âgée aujourd'hui de 67 ans, Chantal B. attend que les prud'hommes reconnaissent son licenciement abusif, en 2010.
Âgée aujourd'hui de 67 ans, Chantal B. attend que les prud'hommes reconnaissent son licenciement abusif, en 2010. CLODV

    En 2010, Chantal B., une infirmière aujourd'hui âgée de 67 ans, est licenciée de son poste de directrice adjointe de l'Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) Péan, rue de la Santé à Paris (XIIIe). Officiellement, son employeur, le groupe Accueil et confort pour personnes âgées (ACPPA), reproche à cette salariée embauchée en 2002 et atteinte d'un cancer des «manquements dans l'obligation de soins» et des «manquements aux obligations professionnelles». Sa lettre de licenciement évoque également un «comportement gravement non professionnel en rapport avec le décès d'une patiente». Mais, dans les attestations fournies par l'employeur au conseil de prud'hommes, certains membres du personnel l'accusent purement et simplement d'avoir... tué une patiente en 2006 en l'étouffant !

    La direction ne fait aucun signalement à la justice

    Des soupçons extrêmement graves mais l'ACPPA ne juge pas utile d'en faire part à la justice, ni à l'agence régionale de santé (ARS), son autorité de tutelle. «Cela prouve que ces accusations sont grotesques», s'indignait dans nos colonnes l'avocat de l'infirmière, M e Philippe Valent, lorsque nous évoquions ces curieuses méthodes dans nos éditions du 23 mai 2014. De fait, selon nos informations, l'enquête judiciaire déclenchée par ces révélations s'est soldée par un non-lieu en juin 2016.

    Quatre jours après la parution de l'article, la direction de l'ACPPA n'a d'autre choix que d'alerter l'ARS qui s'empresse de signaler les faits au procureur, comme la loi le lui impose. «L'association vient de porter à ma connaissance ces éléments qui jusqu'à ce jour ne m'avaient pas été communiqués», s'agace l'ARS dans le courrier adressé au parquet le 3 juin 2014.

    Dans une note de synthèse, l'ACPPA tente de se justifier : «La direction n'a pas estimé être en mesure de saisir le procureur de la République, dans la mesure où l'enquête interne n'avait pas permis d'établir leur matérialité. Ces faits reposaient sur des témoignages isolés, remontaient à plus de quatre ans en arrière et avaient été portés à la connaissance de la direction de l'association dans un contexte de tensions très fortes entre salariés.» En d'autres termes, l'ACPPA admet dans cette note de synthèse que le contenu des attestations qu'elle a pourtant transmises au conseil de prud'hommes était sujet à caution.

    Placée en garde à vue début 2016

    Finalement informé, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire, puis une information judiciaire contre X, pour assassinat et empoisonnement. Trois décès potentiellement suspects sont retenus, deux en 2006 et un en 2008. Les policiers du 3e district de police judiciaire mènent alors une enquête exhaustive en multipliant les auditions du personnel, passé et présent, de l'Ehpad Péan. Chantal B. est placée en garde à vue en février 2016 mais sans être présentée à la justice, en l'absence de toute charge. Car, si les investigations ont confirmé l'ambiance exécrable qui régnait au sein de l'établissement, les graves soupçons portés contre son ancienne directrice adjointe n'ont pas été étayés. Au contraire même. Les constatations effectuées sur place ont ainsi permis de mettre à mal le principal témoignage accusateur, celui de l'auxiliaire de vie qui expliquait avoir vu Chantal B. étouffer une patiente avec un oreiller. «Le témoignage [...] est contredit par l'agencement et l'aménagement des lieux, qui rendent impossible qu'elle ait pu voir la scène qu'elle a décrite», note la juge d'instruction dans son ordonnance de non-lieu signée le 22 juin 2016. Dans les deux autres cas, la matérialité des faits n'a pas été davantage démontrée. Pour la justice, c'est donc désormais acquis : aucune patiente de l'Ehpad n'a été assassinée. Et encore moins par Chantal B.

    Audience le 15 décembre

    Ayant récemment eu connaissance de ce non-lieu, Me Valent vient donc de demander la reprise de la procédure aux prud'hommes, où elle avait été mise en sommeil le temps de l'enquête pénale.

    La prochaine audience est fixée au 15 décembre. «J'attends surtout que des poursuites pour dénonciation calomnieuse et faux et usage de faux soient engagées à l'encontre de tous ceux qui ont colporté ces témoignages mensongers à l'encontre de ma cliente, tonne le pénaliste. La somme des souffrances infligées à cette femme, mise à pied pour des faits de nature criminelle inexistants, est ahurissante. C'est effarant. Heureusement que les enquêteurs de la PJ ont effectué un travail remarquable.» Contactée, la direction générale de l'ACPPA «ne souhaite pas communiquer sur ce dossier qui fait l'objet d'une procédure prud'homale qui suit son cours».