Soupçons de favoritisme : de hauts gradés se défendent d’être « experts en marchés publics »

Les prévenus sont soupçonnés d’avoir participé à une opération ayant permis à la société International Chartering Systems (ICS), d’être favorisée dans l’attribution de plusieurs marchés d’avions-cargos lors d’opérations extérieures de l’armée française.

Dans le cadre des marchés passés par l’armée à ICS en 2011 et 2014, de « très gros-porteurs russes ou ukrainiens », notamment des Antonov 124 avaient été affrétés. Ici, un Antonov 124 sur la base aérienne Mihail Kogalniceanu près de Constanta, en Roumanie, en mars 2022. AFP/ Daniel MIHAILESCU.
Dans le cadre des marchés passés par l’armée à ICS en 2011 et 2014, de « très gros-porteurs russes ou ukrainiens », notamment des Antonov 124 avaient été affrétés. Ici, un Antonov 124 sur la base aérienne Mihail Kogalniceanu près de Constanta, en Roumanie, en mars 2022. AFP/ Daniel MIHAILESCU.

    « Je ne suis pas un expert en marchés publics » ont soutenu lundi, tour à tour, les ex-officiers supérieurs de l’armée française qui ont défilé à la barre du tribunal correctionnel de Paris. Deux ex-généraux, six officiers supérieurs (pour la plupart à la retraite) sont jugés pour favoritisme, corruption passive, violation du secret professionnel et prise illégale d’intérêts dans l’affrètement d’avions-cargos pour des opérations extérieures (Opex) dans le cadre des marchés passés par l’armée à ICS en 2011 et 2014.

    « Si vous attendez toutes les informations nécessaires pour faire le mouvement, vous n’allez jamais faire le mouvement », affirme, sur un ton martial, le lieutenant-colonel Christophe M., adjoint puis chef de la cellule affrètement aérien du CMT/CSOA, l’organisme en charge de la logistique pour les Opex. Les prévenus appelés à la barre de la 32e chambre correctionnelle ont quasiment tous le même discours. Tous reconnaissent n’avoir aucune formation ou connaissance particulière concernant les marchés publics.

    Assurer que « le fret arrive à destination à temps et à l’heure »

    « Un bon de commande évolue. Ce sont des bons de commande évolutifs », explique Christophe M., qui a appartenu aux forces spéciales. Pour chacun, il y avait « le besoin impérieux » d’assurer le soutien logistique des troupes déployées sur les théâtres d’opérations. « Mon but c’était que le fret arrive à destination à temps et à l’heure », résume le commandant Stéphane D. qui a également occupé le poste d’adjoint puis de chef de la cellule affrètement aérien du CMT/CSOA. « Je ne voulais pas de morts sur la conscience », insiste-t-il.

    Les demandes précises de la procureure concernant la procédure suivie pour valider les bons de commande en vue d’affréter des avions-cargos restent sans réponse. « Personne ne m’a dit que ce que je faisais n’était pas dans les clous », se défend Stéphane D.

    La société International Chartering Systems aurait été privilégiée

    Tous les prévenus sont soupçonnés, à des degrés divers, d’avoir participé dans les années 2010 à une opération ayant permis à la société International Chartering Systems (ICS), d’être favorisée dans l’attribution de plusieurs marchés de logistique, notamment concernant le transport aérien pour des Opex de l’armée française en Afghanistan et en Afrique.

    À l’origine, cette société française, installée dans le XVIIe arrondissement de Paris, a été fondée en 1985 par un ancien militaire. À partir de la controversée opération Turquoise au Rwanda, en 1994, elle est de tous les terrains de guerre ou presque, affrétant des cargos militaires qui se trouvent désormais essentiellement en Ukraine.



    « Je n’ai pas favorisé ICS, loin de là », soutient le commandant Duval, qui a pris sa retraite de l’armée et se présente comme ingénieur et pilote de Transall. L’histoire a démarré en 2016 par un rapport de la Cour des comptes étudiant les Opex françaises, dont leur logistique. Faute de solution tricolore, entre des Transall vieillissants ou des A400M à la livraison retardée, l’armée a eu régulièrement recours aux « très gros-porteurs russes ou ukrainiens », notamment des Antonov 124, « une ressource rare au niveau mondial ».

    Le tribunal devra trancher pour savoir si les prévenus ont favorisé ICS au détriment de ses rares concurrents sur le marché des avions-cargos. Un des prévenus, l’ancien chef d’état-major du Centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA), le colonel Philippe Rives, est devenu directeur général adjoint d’ICS quand il a quitté l’armée.

    Le procès est prévu jusqu’au 25 septembre.