Un membre du commando s'accuse d'avoir tiré sur le préfet

Un membre du commando s'accuse d'avoir tiré sur le préfet

    Il a une voix de crooner, des yeux charbonneux et une carrure de catcheur. Depuis cinq ans, Pierre Alessandri affirme, sans convaincre, qu'il a abattu le préfet Claude Erignac le soir du 6 février 1998. A la barre de la Cour d'assises spéciales de Paris où le stress lui assèche la gorge, il se fait, hier, solennel. « Yvan Colonna n'a jamais fait partie de notre groupe. Il n'a pas participé à l'attaque de Pietrosella ni à l'assassinat du préfet. » Et pour la première fois, il livre une explication plausible de ce qui, en garde à vue, l'a poussé à dire le contraire. « J'avais des raisons d'en vouloir à Yvan. J'avais espéré qu'il fasse partie du groupe. Ce que je lui reproche, c'est d'avoir laissé Ottaviani et Maranelli aller au charbon, alors que c'est lui qui aurait dû y aller. »

    Une thèse tardive

    Yvan Colonna, victime d'une déception collective ? Le scénario est à double tranchant. Car le berger de Cargèse, nationaliste convaincu, y apparaît comme étant beaucoup plus intime qu'il ne le dit avec le commando. Pour la première fois, cependant, ce n'est pas seulement du côté des policiers ou des juges qu'il faut chercher sa mise en cause, mais auprès de ses amis, meurtris par sa défection. Bien que tardive, la thèse est séduisante. En l'absence de questions, elle ne sera qu'effleurée.

    Sans cesse interrompu par le président Wacogne, Pierre Alessandri évoque péniblement les faits. Il s'en est fallu de peu, explique-t-il, que le préfet ne soit épargné ce soir-là. « Quand nous l'avons vu déposer son épouse au théâtre, nous avons cru qu'il n'assisterait pas au spectacle. Nous étions sur le point de partir. J'ai fait signe à ceux d'en haut. » Nous ? « Alain Ferrandi et moi », précise-t-il. Ceux d'en haut ? « Il y a des limites à ce que je vais dire. Vous allez peut-être me demander les noms de ces personnesâ?¦ » En quittant les lieux, il croise le préfet. « Il y a eu une part d'improvisation, assure le témoin. Tirer sur un homme qui ne vous a rien fait, qui est sans défense, ce n'est pas facile. J'ai tiré dans la nuque. Voilà. » S'il refuse de répondre aux questions du parquet, Pierre Alessandri se dit prêt, « sous certaines conditions », à participer à une reconstitution.

    Yvan Colonna a toujours refusé d'être confronté à Pierre Alessandri. Cette fois, il est debout. Un dialogue s'engage. « Tu étais mon ami, Pierre, tu le sais. » L'intéressé hoche la tête. « Attendre quatre ans pour dire la vérité, c'est trop long », poursuit-il. Pierre Alessandri lui rend son regard. Il tente de se justifier : « Je n'aurais jamais imaginé que ta cavale serait aussi longue, dit-il. Ta reddition aurait suffi à te disculper. » Yvan Colonna, la voix sourde : « Vous m'avez sacrifié. » Puis, rappelant les lacunes de l'enquête et les témoignages qui lui sont favorables, il s'adresse à la cour : « Pour sauver l'institution judiciaire antiterroriste, on refuse d'aller à la vérité. On veut me condamner à tout prix. Il faut sauver l'enquête, sauver Sarkozy. »