«Et alors ?» : quand le président Bolsonaro réagit aux 5000 décès au Brésil

Alors que le pic du coronavirus n’est toujours pas atteint au Brésil, le chef d’Etat d’extrême droite encourage les citoyens à ressortir, et ses plus fervents partisans à défiler dans les rues contre le confinement.

 Jair Bolsonaro avec ses ministres le 29 avril.
Jair Bolsonaro avec ses ministres le 29 avril. REUTERS/Ueslei Marcelino

    Rarement deux simples mots auront provoqué une telle tempête : le « Et alors ? » lâché par le président Jair Bolsonaro à un journaliste qui l'interrogeait sur le fait que plus de 5 000 Brésiliens étaient morts du coronavirus n'est pas passé.

    Cette réplique désinvolte a fait des vagues durant toute la semaine, déclenchant jusqu'à vendredi des cascades de réactions de gouverneurs, responsables politiques, professionnels de santé ou éditorialistes, outrés face à l'absence d'empathie présidentielle.

    Jair Bolsonaro, ouvertement anticonfinement, n'en est pas à une polémique près. Mais si cette remarque a suscité un tel effarement, c'est que son pays fait face à une vague incontrôlable de la pandémie, à quelques semaines d'un pic qui risque de surpasser les prévisions les plus catastrophistes. Avec officiellement 85 380 cas de contamination, mais 15 ou 20 fois plus d'après des scientifiques, et au moins 5901 morts, ce pays-continent voit se profiler un scénario à l'américaine ou à l'italienne. Surtout que le nombre de contaminations pourrait être quinze fois plus élevé, selon des chercheurs.

    « Sortez de votre bulle de Brasilia », tance un gouverneur

    « Et alors ? Je suis désolé. Vous voulez que je fasse quoi ? Je suis Messias (Messie, son 2e prénom, ndlr) mais je ne fais pas de miracle », avait rétorqué le président interrogé mardi soir sur le fait que le Brésil avait dépassé le cap des 5 000 morts du Covid-19, soit plus qu'en Chine. Le chef d'Etat fait face à des démissions en cascade au sein du gouvernement et vient même d'être cité à comparaître dans le cadre d'une enquête pour soupçons d'ingérence.

    Jugeant cette réaction « absolument inacceptable », Wilson Witzel, le gouverneur d'un Etat de Rio de Janeiro au bord de l'implosion sanitaire, a fustigé un président « qui ironise sur les morts » plutôt que « d'être un leader dans un tel moment ». « Mettez-vous au travail », a-t-il lancé dans un tweet mercredi, le jour ou le président pro-armes s'entraînait dans un centre de tir, loin des angoisses des 210 millions de Brésiliens.

    Autre gouverneur en première ligne dans la lutte contre le coronavirus, Joao Doria, celui de l'Etat de Sao Paulo, le plus touché avec 2375 morts, a répliqué, furieux : « Sortez de votre bulle de Brasilia », et conseillé à Bolsonaro d'aller visiter les hôpitaux du pays.

    Un manque d'empathie difficilement contestable

    Le chef de l'Etat, contrairement à beaucoup de ses homologues étrangers confrontés au même fléau, n'a pas été vu dans des hôpitaux, ni exprimé sa solidarité à l'égard des victimes, des familles endeuillées ou des personnels médicaux déjà éreintés et en manque criant de respirateurs ou de lits.

    Le président des syndicats des médecins de Sao Paulo, Eder Gatti, a souhaité sobrement sur TV Globo « une posture plus sérieuse de la part d'un président de la république ».

    Bolsonaro « montre très peu de sensibilité aux tragédies que vivent les familles directement affectées par la pandémie », dit Lucio Renno, de l'Institut de Science politique de l'Université de Brasilia. « Son style, c'est la main de fer, c'est d'être dur, bien plus que d'être solidaire et empathique », dit M. Renno. Un style qui rappelle irrésistiblement celui de son modèle, le président américain Donald Trump.

    Des appels répétés à reprendre le travail

    Pour se défendre, selon une méthode éprouvée au palais du Planalto, Bolsonaro est passé à l'attaque contre ces gouverneurs et maires auxquels la Cour suprême a donné l'autonomie de décision dans la lutte anticoronavirus.

    « Demandez à Joao Doria ou à (Bruno) Covas (maire de Sao Paulo) pourquoi les gens continuent de mourir alors qu'ils ont pris des mesures si restrictives », a lancé le président. « Ce sont eux qui doivent répondre, vous n'allez pas à me coller ça sur le dos ».

    Pourtant, vendredi la presse brésilienne soulignait « la responsabilité » dans l'envolée des courbes du coronavirus de Jair Bolsonaro, qui, pour préserver l'emploi, a encouragé les Brésiliens à ressortir, et ses plus fervents partisans à défiler dans les rues contre le confinement.