Paris : mobilisation générale pour sauver les Jardins d’enfants

Condamnées par la réforme Blanquer, ces petites structures à taille humaine et aux personnels spécialisés dans la petite enfance se battent pour leur maintien.

 Rue des Quatre-Frères-Peignot (XVe). Au Jardin d’enfants pédagogique (JEP) du XVe, les parents et les équipes sont très mobilisés pour la sauvegarde des Jardins d’enfants.
Rue des Quatre-Frères-Peignot (XVe). Au Jardin d’enfants pédagogique (JEP) du XVe, les parents et les équipes sont très mobilisés pour la sauvegarde des Jardins d’enfants. LP/Elodie Soulié

    Une pétition déjà forte de près de 12 600 signatures. Des personnels prêts à faire une entorse à leur devoir de réserve en placardant des affiches « Jardins d'enfants en colère » ou « Non à la loi Blanquer » aux fenêtres, puis en signant une lettre ouverte au ministre de l'Education nationale. Des familles qui se mobilisent dans tout Paris et font le siège des députés, sénateurs, élus locaux…

    La résistance s'organise et il y a urgence, sur le front d'un volet méconnu de la loi Blanquer, qui instaure l'école obligatoire à 3 ans : la disparition programmée des Jardins d'enfants, ces structures alternatives à l'école maternelle, qui dépendent du ministère de la Santé et de sa Direction de la famille et de la petite enfance (DFPE), et non de l'Education nationale.

    Des conditions d'accueil et de pédagogie plus souples

    Associatives ou bien municipales comme le sont les 22 « JEP » (Jardins d'enfants pédagogiques) de Paris, ces petites écoles atypiques, à taille humaine, permettent à environ 2 000 Parisiens de 2 à 6 ans d'entamer leur scolarité dans des conditions d'accueil et de pédagogie plus souples, privilégiant le rythme et les capacités de l'enfant, encadrés par des professionnels de la petite enfance.

    Sur le papier, la loi Blanquer les condamne : faute de se fondre dans le moule Education nationale, les jardins d'enfants ne survivront que s'ils se transforment… en crèches ou en écoles maternelles privées. Ce serait l'anéantissement de projets et de méthodes qui ont pourtant fait leurs preuves, pour certains depuis bientôt un siècle comme les JEP de la Ville de Paris, créés en 1921. Ce serait aussi la fin d'une liberté de choix de l'école à laquelle les familles n'entendent pas renoncer.

    Un vote prévu le 13 mai

    C'est dans les JEP de la Ville que la mobilisation a démarré et ce sont les familles qui lui redonnent de l'ampleur, à quelques jours d'étapes cruciales de la réforme Blanquer, en instance de passage au Sénat : la loi doit y passer en commission le 30 avril et le vote est prévu le 13 mai. Or même si « le ministre a laissé entendre qu'il était ouvert au maintien des jardins d'enfants existants », ainsi que souligne une maman en citant le sénateur socialiste David Assouline, les parents ne veulent rien laisser au hasard.

    A l'initiative de ceux du JEP de la rue des Quatre-Frères-Peignot (XV e ), l'association des Amis des jardins d'enfants de la Ville de Paris a créé l'action DECOLLAJE, pour une défense collective des 22 JEP parisiens et des jardins associatifs (lire ci-dessous). « Nos actions ont pour but de faire reprendre cette loi par le Sénat afin qu'elle soit contestée, modifiée et à nouveau examinée par l'Assemblée nationale », insiste la présidente de l'association du jardin d'enfants du XV e AJE15, Marie Pérancin.

    13% d'enfants en situation de handicap

    De leur côté, les personnels des JEP ont signé une lettre ouverte réclamant aussi la pérennisation des jardins d'enfants, dont les effectifs intègrent 13% d'enfants en situation de handicap. Alors « pourquoi ne pas s'appuyer sur nos structures et notre expérience centenaire auprès des enfants, pour réfléchir à l'école maternelle de demain ? », proposent les personnels des JEP.

    « Cette efficacité ressort bien de l'enquête de l'Observatoire sociologique du changement (OSC) de Sciences Po, qui avait été demandée par la maire de Paris suite à une première menace de fermeture en 2017 », souligne en écho Marie Pérancin. La Ville ne veut rendre cette enquête publique qu'en décembre, mais ses premières conclusions reconnaissent une efficacité qualitative notable, et la pertinence de maintenir les jardins d'enfants.

    Le soutien des élus

    Du côté des élus parisiens, les familles et personnels des jardins d'enfants peuvent au moins compter sur le Groupe écologiste, qui a déposé un voeu pour leur sauvegarde. Ils peuvent aussi compter sur leurs élus de proximité, invités à « interpeller » les parlementaires.

    Dans le XVe, l'appui est clair, « Je regrette profondément qu'à l'occasion du projet de loi pour une école de la confiance, le ministre de l'Education nationale n'ait pas souhaité faire une exception en maintenant les jardins d'enfants parisiens, déplore Françoise Malassis, adjointe à l'enfance du maire LR du XVe.

    « UNE PÉDAGOGIE CENTRÉE SUR LES BESOINS DES ENFANTS »

    Marie Pérancin, maman de deux enfants et présidente de l’Association des amis des jardins d’enfants./DR
    Marie Pérancin, maman de deux enfants et présidente de l’Association des amis des jardins d’enfants./DR LP/Elodie Soulié

    Elle a grandi en province, bien loin des groupes scolaires urbains où les écoliers se comptent en centaines, parfois dès la maternelle. Alors pour ses enfants, Marie Pérancin voulait « une petite école », raconte cette maman de 2 enfants de 5 et 2 ans, dont l'aîné 5 ans fréquente déjà le Jardin d'enfants pédagogique du XVe, rue des Quatre-Frères-Peignot.

    « Il y a beaucoup d'écoles dans notre arrondissement, mais qui ne correspondent pas à ce que j'imaginais pour eux. Je cherchais une école plus petite, où l'accompagnement des enfants soit centré sur leurs besoins et le rythme des enfants. C'est capital, plus ils sont petits, plus il faut que le personnel soit formé à la psychologie notamment. Ce qui n'est pas possible pour un instituteur seul avec 30 enfants… Quand j'ai inscrit mes enfants au JEP, c'était pour ses petits effectifs et sa pédagogie, la coéducation qui permet aux parents de participer à la vie du jardin d'enfants, mais aussi pour la mixité sociale, la mixité d'origines, la mixité d'aptitudes que l'on y trouve. Une mixité réussie, qui tire tout le monde vers le haut, au lieu d'être une mixité subie et mal gérée comme on le rencontre dans certaines écoles ».

    POUR LES JARDINS D'ENFANTS ASSOCIATIFS AUSSI

    Les jardins d'enfants pédagogiques (JEP) de la Ville de Paris ne sont pas les seuls à se voir menacés : les jardins d'enfants associatifs et privés sont aussi sous le coup de la loi Blanquer.

    C'est le cas de l'Association pour l'accueil de tous les enfants (Apate), dédiée depuis 30 ans à « l'intégration collective » d'enfants atteints de handicap ou d'une maladie, au sein de ses multi-accueils et de ses 2 jardins d'enfants : la Caverne d'Ali Baba, dans le XIe arrondissement, et l'école Gulliver, dans le XIIe, comptent une soixantaine d'enfants de 2 à 6 ans, répartis en petites classes de 12. Une place sur 3 y est réservée à des enfants en situation de handicap.

    « La particularité de l'Apate est que depuis leur plus jeune âge, les enfants sont accueillis dans la diversité, et cette diversité est une richesse en permettant des interactions entre des enfants très différents », souligne Annie Bernier, la directrice générale de l'association. L'encadrement y est aussi plus important, avec des professionnels de la petite enfance, éducateurs, personnels formés à la psychopédagogie.

    « Ce sont des classes à taille humaine, où l'on travaille au rythme de l'enfant, et où nous avons des regards croisés sur chacun », insiste-t-elle. « Des enfants atteints de troubles qui les excluent de l'école maternelle, peuvent faire leurs apprentissages dans de bonnes conditions chez nous. Cela laisse le temps de préparer l'après, sans cette pression de l'évaluation des acquis et du passage en CP ».

    Qu'en sera-t-il dans 2 ans, l'échéance imposée par la loi Blanquer ? « Il faudrait que nous soyons reconnus comme établissement d'instruction, suggère la directrice, et nous demanderons notre homologation. Cela entraînera un contrôle de nos méthodes pédagogiques, et nous y sommes tout à fait ouverts ». En attendant, l'union peut permettre au moins de « préserver l'existant » : ce mercredi, l'Apate et la dizaine d'autres jardins d'enfants associatifs ou privés sont invités à une réunion organisée par la Direction des familles et de la petite enfance (DFPE) du ministère de la Santé, sur la perspective de leur réorganisation.