Entre Emmanuel Macron et Laurent Berger, autopsie d’un divorce

Entre le patron de la CFDT qui s’estime maltraité et le Président qui refuse le même traitement que sous Hollande, le rapprochement semble impossible, nourri de malentendus et d’agacements.

 Emmanuel Macron et Laurent Berger lors de la réception des  partenaires sociaux et les organisations patronales, le 23 mai 2017
Emmanuel Macron et Laurent Berger lors de la réception des partenaires sociaux et les organisations patronales, le 23 mai 2017 MAXPPP/IP3/Aurelien Morissard

    Après l'une de ses - rares - entrevues avec Emmanuel Macron, Laurent Berger avait livré cette édifiante confidence à l'un de ses amis politiques : « Quand je lui ai parlé pauvreté, ses yeux sont partis dans le vague. J'ai eu le sentiment que pour lui ça ne voulait rien dire, que ça n'avait aucun sens ». Sur le papier, le chef de l'Etat et le patron de la CDFT avaient tout pour s'entendre : tous deux réformistes, tous deux rocardiens. Mais un monde sépare l'ex-banquier d'affaires de Rothschild et l'ancien conseiller en insertion de Saint-Nazaire. « Si le président est rocardien, Laurent est moine bénédictin ! », assène un proche de Berger. Côté Macron, on s'agace de son côté chrétien « donneur de leçons ».

    Si bien que l'exécutif a ostensiblement laissé sur le banc de touche, en début de mandat, le patron de la première centrale syndicale, assimilé à un représentant du « vieux monde ». Une folie, avouent aujourd'hui des macronistes, vaccinés par la crise des Gilets jaunes. François Bayrou et le patron de l'Assemblée Richard Ferrand ont œuvré à une réconciliation. L'arrivée à l'Elysée du conseiller spécial Philippe Grangeon, encarté CFDT et ex-collaborateur de Nicole Notat, a énormément pesé. Chantre du dialogue, il appelle Berger, déjeune avec lui. Le 2 avril, le président a même convié Laurent Berger à sa table. « Il y a un réchauffement », assure un habitué du Palais. Voire.

    « Ça me fait mal aux tripes, donc je le dis ! »

    Lors de ces agapes, début avril, le dialogue entre le président et le syndicaliste a été rugueux. De la future réforme des retraites au divorce avec les partenaires sociaux, qui se sentent méprisés, les abcès ont été crevés. Entre eux, point d'emphase. Berger, qui tutoie Macron, ne lui donne pas du « Monsieur le président ». Ce jour-là, il fut aussi question de politique. Le leader de la CFDT, qui avait appelé ses adhérents à faire barrage au FN en 2017, a averti Macron : « Je le referais en 2022, mais je serais beaucoup moins suivi ». Depuis? Pas même un SMS. Pire : une réforme, l'assurance-chômage. Lundi dernier, sur France Inter, Berger a sonné le tocsin contre un texte « injuste », « purement comptable », et prononcé une phrase qui a hérissé l'Elysée : « J'en ai marre des menteurs ».

    « Il y a le verbe, et il y a les actes, explique Laurent Berger lorsqu'on l'interroge sur une hypothétique réconciliation. Si la question est : y a-t-il une relation de confiance qui s'est réinstaurée, la réponse est non ». Dire qu'il est fâché est très en deçà de la réalité. « Ça me fait mal aux tripes, donc je le dis ! » Derrière la main tendue en façade, la macronie ne cache pas qu'elle n'entend pas se faire dicter ses réformes par les syndicats. Surtout lorsqu'ils ont eu l'opportunité de s'entendre (NDLR : entre partenaires sociaux) et ont échoué, comme sur l'assurance-chômage. « Macron était en colère, ça l'a beaucoup agacé qu'ils nous refilent le bébé, explique un proche. Il considère que Berger doit être traité, mais il n'entend pas passer sous ses fourches caudines ». Discuter avec la CFDT, oui. Codécider, pas question.

    « Depuis les Européennes, ils se prennent pour les rois du pétrole ! »

    Des deux côtés, c'est l'incompréhension. « Berger est une personnalité aimable, affable et la porte de la CFDT est toujours ouverte. Je ne comprends pas leur politique », déplore Michel Sapin, ancien ministre du Travail de François Hollande et adepte de la concertation sociale. « Ils jouent aux cons avec lui! Ils ont la conviction profonde qu'il ne tombera jamais du mauvais côté de la barrière », tonne un expert social, qui rappelle que la CFDT a accompagné les ordonnances travail, tendu la main au pouvoir pendant la fronde des Gilets jaunes et n'hésite jamais à saluer les réformes qui vont, à ses yeux, dans le bon sens. Plus que Macron, les critiques ciblent Matignon et l'aile droite du gouvernement. « Depuis les Européennes, ils se prennent pour les rois du pétrole! », étrille le même.

    Au sein de l'exécutif, les mots sont tout aussi durs sur les « états d'âme » de Berger, jusqu'à le faire passer pour une diva. « Il n'est pas content parce qu'il avait son rond de serviette à l'Elysée sous Hollande », pique un conseiller ministériel. Un fidèle du président achève, résumant l'état d'esprit au sommet de l'Etat : « La CFDT, combien de divisions ? »