« Kanak », « Caldoche », accords de Nouméa… le lexique pour comprendre les émeutes en Nouvelle-Calédonie

Depuis plusieurs semaines l’archipel français est secoué par des affrontements d’une ampleur inédite, s’opposant à un projet de loi controversé. Cinq personnes, dont deux gendarmes, sont mortes ces derniers jours. Le Parisien revient sur les termes et évènements incontournables pour mieux comprendre l’actualité brûlante en Nouvelle-Calédonie.

La Nouvelle-Calédonie connaît depuis plusieurs jours de violentes émeutes. AFP/Delphine Mayeur
La Nouvelle-Calédonie connaît depuis plusieurs jours de violentes émeutes. AFP/Delphine Mayeur

    La Nouvelle-Calédonie est secouée depuis plusieurs jours par des émeutes et affrontements, en marge de l’examen et du vote à l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle sur l’élargissement du corps électoral. Au moins cinq personnes sont mortes, dont deux gendarmes, l’un ayant été tué accidentellement. La situation est telle que Emmanuel Macron a déclaré mercredi l’état d’urgence sur ce territoire d’Outre-mer. Pour bien comprendre la crise, il est important de comprendre le sens de certains mots.

    Kanak

    De l’hawaïen « kanaka », qui signifie littéralement « homme », le terme kanak est utilisé à partir du XIXe siècle par les colons européens afin de désigner les populations autochtones de Mélanésie, un des ensembles des îles de l’océan Pacifique. Il est progressivement attribué, de manière relativement péjorative, aux natifs de Nouvelle-Calédonie.

    Ce n’est qu’à partir des années 1970, et de la naissance de la lutte indépendantiste, que les autochtones se réapproprient le terme, devenant alors un symbole de leurs revendications. Aujourd’hui, cohabitant avec les « caldoches » et autres communautés (notamment wallisiennes et futuniennes), ils représentent environ 40 % de la population de l’île. Selon des chiffres de l’Insee, en 2019, plus de 100 000 personnes affirmaient appartenir à la communauté kanak.

    Les « caldoches » et les « zoreilles »

    Le mot « caldoche » est issu d’une fusion entre, d’une part, le nom Calédonie, et d’autre part le suffixe péjoratif « oche ». Il est utilisé par les Kanaks pour désigner les descendants des Européens, installés au XIXe siècle en Nouvelle-Calédonie. Bien que revendiqué par certaines des personnes concernées souhaitant mettre en avant leur lien avec leur terre de naissance, beaucoup d’entre eux préfèrent le terme plus neutre de « Calédoniens ».

    Exporté en Nouvelle-Calédonie, le terme « zoreilles » provient quant à lui de l’île de la Réunion, où il désigne non pas les personnes d’origines européennes nées sur le Caillou, mais la communauté métropolitaine vivant sur l’île. En Nouvelle-Calédonie, il est lui aussi connoté de manière péjorative, alors qu’à la Réunion, les « zoreilles » y sont davantage vus comme une composante de la communauté.

    Le FLNKS et la CCAT

    Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a été créé en 1984 afin de rassembler plusieurs partis politiques et syndicats de Nouvelle-Calédonie. Classé à l’extrême gauche de l’éventail politique et porté sur l’idéologie indépendantiste et nationaliste kanak, il revendique depuis sa naissance l’indépendance de l’île.

    Le FLNKS est notamment connu pour avoir retenu 27 gendarmes en otage dans la grotte d’Ouvéa en 1988, après une série de meurtre entre forces de l’ordre et leaders indépendantistes. Il s’oppose fermement à l’élargissement du corps électoral, considérant que le processus de décolonisation n’est pas achevé en Nouvelle-Calédonie.

    Pendant les récentes manifestations le drapeau du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) est brandi dans les rues de Nouméa. AFP/Theo Rouby
    Pendant les récentes manifestations le drapeau du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) est brandi dans les rues de Nouméa. AFP/Theo Rouby AFP or licensors

    La Cellule de coordination des actions sur le terrain (CCAT) est depuis le début des tensions à l’origine de nombreuses manifestations et actions parfois houleuses. Elle est qualifiée par Gérald Darmanin de « mafieuse ». L’organisation constitue la frange la plus radicale du FLNKS, et revendique la « lutte pour la construction d’une nation souveraine ». Elle a lancé une série d’actions de mobilisation via l’opération « Dix jours pour Kanaky » à la suite de laquelle dix de ses membres ont été assignés à résidence dans le cadre de l’état d’urgence.

    Les Accords de Matignon en 1988

    Le 26 juin 1988, les accords de Matignon clôturent « plusieurs décennies d’incompréhension et de violence » en Nouvelle-Calédonie, selon le texte. Les accords sont signés entre le gouvernement français de Michel Rocard, les indépendantistes kanaks dirigés par Jean-Marie Tjibaou et les loyalistes calédoniens avec comme figure politique Jacques Lafleur.

    Ces accords visent à l’instauration d’un cadre favorable au rétablissement de la paix civile et de la stabilité politique. Ils ouvrent la voie à la création des trois provinces : la Province Sud, la Province Nord et la Province des îles Loyauté, dotées de compétences propres pour assurer un partage des responsabilités. Ils prévoient également un référendum dans les années à venir.

    L’Accord de Nouméa en 1998

    L’accord est signé le 5 mai 1998 et ratifié par 72 % des Calédoniens à l’occasion d’un référendum local. Son préambule reconnaît les « ombres » et « lumières » de la colonisation et le choc causé aux populations locales. L’Accord prévoit la mise en place d’une citoyenneté calédonienne et « la pleine reconnaissance de la culture kanak » à travers la défense et la promotion de cette culture et l’adoption de signes identitaires.

    Mai 1998, le président du Congrès de Nouvelle Calédonie Roch Wamytan serrant la main à Jacques Lafleur, sous l'égide du Premier Ministre Lionel Jospin lors de l'Accord de Nouméa. AFP/Pascal Guyot
    Mai 1998, le président du Congrès de Nouvelle Calédonie Roch Wamytan serrant la main à Jacques Lafleur, sous l'égide du Premier Ministre Lionel Jospin lors de l'Accord de Nouméa. AFP/Pascal Guyot

    Juridiquement, l’État attribue via l’Accord de Nouméa un statut tout à fait unique à la Nouvelle-Calédonie puisqu’elle possède désormais son propre pouvoir exécutif administré par un gouvernement collégial. Les référendums d’autodétermination sont alors repoussés de 20 ans.

    Réforme constitutionnelle de 2024

    Les référendums d’autodétermination ont finalement lieu en 2018, 2020 et 2022 et tous rejettent l’indépendance, des résultats contestés par les indépendantistes. C’est dans ce contexte qu’est décidé d’un projet de loi constitutionnelle prévoyant l’élargissement du corps électoral pour le scrutin provincial de Nouvelle-Calédonie à tous les résidents installés depuis dix ans et plus. C’est cette réforme qui cristallise les tensions.

    Depuis l’accord de Nouméa de 1998, le corps électoral est partiellement gelé, et par conséquent un électeur sur cinq est actuellement privé de vote en Nouvelle-Calédonie. Il s’agit donc d’un enjeu déterminant pour la composition des trois assemblées de l’île et pour celle du Congrès.

    Ce projet de loi, qui a déjà été adopté par le Sénat, poursuit son avancée après le vote mardi 14 mai de l’Assemblée Nationale (351 votes en faveur et 153 contre) dont Gérald Darmanin s’est félicité. Il est largement désapprouvé par les indépendantistes qui craignent une perte de poids électoral significative des Kanaks face à l’insertion de 25 000 nouveaux électeurs arrivés depuis les accords de Nouméa de 1998.

    Emmanuel Macron a invité, à la suite du vote de l’Assemblée nationale, indépendantistes et loyalistes à se mettre d’accord sur une réforme institutionnelle en Nouvelle-Calédonie, faute de quoi la révision constitutionnelle contestée votée au Parlement sera soumise au Congrès d’ici la fin juin pour une adoption définitive.