«Je plaide pour que vous entriez au Panthéon» : l’admiration d’Elisabeth Moreno pour Gisèle Halimi

A l’occasion de la journée des Droits des femmes ce lundi, nous avons demandé aux trois dernières ministres en charge de cette thématique de rendre hommage à la source de leur engagement. Voici la lettre d’Elisabeth Moreno à Gisèle Halimi.

Pour Elisabeth Moreno, la ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, Gisèle Halimi est une source d'inspiration dans son engagement.
Pour Elisabeth Moreno, la ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, Gisèle Halimi est une source d'inspiration dans son engagement.

    Élisabeth Moreno cite souvent la célèbre avocate, Gisèle Halimi, lorsqu’on la croise à l’Hôtel du petit Monaco où se situe son ministère. Il n’est pas donc surprenant que la ministre chargée de l’Égalité classe cette défenseuse passionnée de la cause des femmes sur le podium de ces sources d’inspiration. Gisèle Halimi est aussi un miroir : comme elle, des origines modestes ; comme elle, un chemin mené à la force d’une volonté indéfectible ; comme elle, un environnement familial où les femmes avaient des attributions bien définies et contre lequel il a fallu batailler... En cette journée internationale des Droits des femmes, Élisabeth Moreno a accepté pour Le Parisien d’écrire une lettre à son rôle modèle, disparu en juillet 2020. Une lettre, c’est aussi l’outil de la campagne gouvernementale des « 1 000 Possibles » à l’occasion du 8 mars. 1 000 filles naissent environ tous les jours dans notre pays. Celles qui naîtront ce lundi recevront une lettre émanant de 60 femmes inspirantes (comme Pomme, la chanteuse ou Catherine Guillouard, présidente du groupe RATP), leur signifiant que tout leur est possible.

    Lettre à Gisèle Halimi par Élisabeth Moreno, ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances.

    Chère Gisèle Halimi,

    Féministe, vous le fûtes dès votre plus jeune âge. À l’âge de dix ans, vous entamez une grève de la faim pour ne plus avoir à faire le lit de votre frère. Las face à tant d’obstination, vos parents finissent par céder. Le soir, vous griffonnez alors dans votre journal intime ce qui, sans le savoir, constituera le fil rouge de votre vie : « Aujourd’hui, j’ai gagné mon premier petit bout de liberté ». Six ans plus tard, vous vous opposerez à nouveau à vos parents en refusant un mariage arrangé avec un homme de trente-cinq ans. Ténacité, déjà. Vous l’ignoriez peut-être alors, mais vous veniez de gagner vos premiers combats féministes.

    Ces combats d’adolescente furent en réalité le prologue des luttes que vous mènerez toute votre vie afin que toutes les femmes puissent gagner « leur petit bout de liberté ». Votre vie fut un engagement permanent. Votre destin – exceptionnel – s’est forgé dans le sillon de vos combats, jusqu’à s’y confondre. Obstination, toujours.

    La révolte s’est levée très tôt en vous. Combien de fois avez-vous crié à vos parents avec votre voix d’enfant : « C’est pas juste ! ». Vous n’avez pas « choisi » le combat féministe, il est venu à vous. Et ce combat a pris vie dans ce « c’est pas juste ! » contagieux que vous ne cesserez de marteler votre vie durant.

    Ce combat, vous avez dû l’embrasser très tôt pour vous sauver vous-même et vous extraire des carcans dans lesquels votre famille voulait vous enfermer. « On ne naît pas féministe, on le devient », dîtes-vous en conclusion de votre dernier livre d’entretien avec Annick Cojean. Une assertion qui résonne en moi avec acuité. Si vous m’inspirez autant, c’est parce que moi aussi, j’ai dû me battre face à un destin que l’on avait écrit pour moi à l’avance. Comme vous, j’ai refusé les injonctions et les diktats et, au bout du compte, rien ne s’est déroulé comme prévu.

    Votre liberté, vous l’avez conquise pour servir ensuite celle des autres. En définitive, face aux injustices de notre monde, que vous avez ressenties et éprouvées prématurément, vous avez toujours choisi « le camp des victimes ».

    Un jour, alors que vous n’étiez encore qu’avocate stagiaire, vous avez bondi vers un magistrat et lui avez déclaré : « l’injustice m’est physiquement intolérable ». Ce sentiment affleurera dans toutes vos luttes, dans toutes vos plaidoiries et dans tous vos écrits. Avec cette colère enfouie qui n’était jamais loin. Une colère jamais rassasiée, toujours à fleur de peau. Parce que vous la ressentiez au plus profond de votre chair, le combat contre l’injustice fut dès lors la grande affaire de votre vie.

    Devenir avocate était alors une évidence. Un métier que j’ai moi-même rêvé d’exercer étant jeune pour sauver la veuve et l’orphelin. Mais alors ado, je me suis heurtée aux stéréotypes qui assignent : « Un CAP, c’est mieux pour toi ». « C’est pas juste ! ».

    Pour vous, chère Gisèle, ce métier fut une vocation. Une vocation épousée avec un engagement quasi mystique et la naïveté de celles ou ceux qui aspirent à changer le monde, convaincue que de l’oppression peut jaillir la libération.

    Parce que perpétuer les choses provoque souvent moins de heurts que de vouloir les changer, vous avez pris très tôt le parti de bousculer l’ordre établi. De la révolte familiale est donc née la révolte politique. Défenseuse passionnée, vigie obstinée, militante infatigable, vous avez utilisé toutes les voies possibles pour que les femmes soient libres : le droit, la littérature et l’engagement politique.

    Vos combats demeurent hélas contemporains. Si notre société a évolué depuis le procès de Bobigny, si les femmes ont gagné en liberté et en dignité depuis le « manifeste des 343 salopes », les enjeux sont encore légion.

    Pour honorer la mémoire de celle qui n’a jamais délié sa vie de ses engagements, nous devons continuer à agir. Et pour les pages sublimes que vous avez écrites dans l’Histoire de France à l’encre de ses luttes, des luttes qui ont fait progresser notre société, je plaide pour que vous entriez au Panthéon. Aux grandes femmes la patrie reconnaissante.