«Avec l’incendie de Notre-Dame, les catholiques ont eu le sentiment de compter»

Il y a encore deux mois, l’Église traversait une crise historique, empêtrée dans les scandales de pédophilie. Mais en ce jeudi de l’Ascension, les prêtres constatent une ferveur retrouvée chez les fidèles. Un effet post Notre-Dame.

 Yann Raison du Cleuziou est maître de conférences en sciences politique à l’université de Bordeaux.
Yann Raison du Cleuziou est maître de conférences en sciences politique à l’université de Bordeaux. Marc Chaumeil

    Après un début d'année apocalyptique pour l'image de l'Église, empêtrée dans les scandales de pédophilie, les prêtres constatent une ferveur retrouvée chez les fidèles. Avec le drame de Notre-Dame, « les catholiques ont eu l'impression que, pour une fois, ce qui les peinait attristait également le reste de la nation », explique Yann Raison du Cleuziou, spécialiste de la sociologie du catholicisme français et auteur d'« Une Contre-révolution catholique » (Seuil).

    Comment les catholiques ont-ils perçu l'émotion nationale suscitée par l'incendie de Notre-Dame ?

    YANN RAISON DU CLEUZIOU. Au début du printemps, les scandales sexuels dominaient leurs conversations. L'incendie de Notre-Dame leur a permis de sortir de cette ambiance lourde. Les catholiques ont alors eu l'impression que, pour une fois, ce qui les peinait attristait également le reste de la nation. Ils ont eu le sentiment de compter, d'être au centre, alors que les affaires les plaçaient dans les marges et les déviances. Cette peine nationale a été interprétée comme la nostalgie de ce que le catholicisme avait apporté au pays, Notre-Dame étant le symbole de la grandeur de la France.

    Quel impact cela a-t-il eu sur la spiritualité de ceux qui ont pris un peu plus leurs distances avec l'Église après les scandales sexuels ?

    Il faut d'abord dire que les affaires de pédophilie ont entraîné une prise de distance uniquement chez les gens déjà éloignés de l'Église, pas chez les cathos les plus pratiquants qui sont dans une démarche de serrons-nous les coudes. Chez les premiers, ces catholiques culturels dont certains avaient achevé de se détacher de l'institution, Notre-Dame n'a pas réveillé leur foi mais éventuellement un sentiment d'appartenance culturelle.

    L'Église de France va-t-elle faire fructifier cette éclaircie ?

    Elle essaie de valoriser son patrimoine. Elle en profite aussi pour évangéliser mais pas sûr que cela ait énormément d'écho.

    Quel est le point commun entre ce catholique culturel et celui qui manifeste devant l'hôpital de Reims afin de demander la poursuite des soins pour Vincent Lambert ?

    Il n'est pas certain qu'il y en ait un. S'il existe un lien, il n'est pas spirituel mais identitaire. C'est la tentation de faire du catholicisme une frontière culturelle face à l'islam. Mais ce qui est sûr, c'est que l'univers catho est pluriel. Les catholiques engagés dans la défense de la vie sont les plus conservateurs. Ils nourrissent les rangs d'une minorité bien formée, avec des ressources militantes et une capacité de peser au sein de l'Église comme dans le débat public. Ils ont une visibilité importante et sont de plus en plus influents car ils arrivent à se perpétuer, à transmettre la foi à leurs enfants. Ils pensent le catholicisme comme une contre-culture, adoptant une posture d'objection de conscience contre un ordre social et politique qui leur paraît injuste.

    L'Église catholique continue d'avoir du poids même privée de personnalités religieuses charismatiques. Comment l'expliquez-vous ?

    Depuis la mort du cardinal Lustiger en 2007, il y a eu, en effet, un vide. Mais depuis deux ans, une nouvelle génération apparaît au sommet de l'épiscopat, plus affirmée, incarnée, notamment, par Mgr Aupetit, archevêque de Paris. Cependant, l'influence des cathos dépend surtout des laïcs, pas du clergé. Lors de la Manif pour tous, ce sont eux qui étaient à la manœuvre. Même en déclin, l'Église catholique conserve des ressources considérables de structuration de la société française.