L’IHU de Raoult accusé de «graves manquements» : 5 minutes pour comprendre le rapport de l’ANSM

L’agence nationale du médicament a indiqué mercredi saisir à nouveau la justice et engager des poursuites administratives contre l’institut présidé par Didier Raoult, qu’elle accuse de s’être affranchi des règles pour mener des recherches sur des humains.

Marseille, le 27 août 2020. Didier Raoult s'exprime lors d'une conférence de presse sur la situation du Covid-19. AFP/Christophe Simon
Marseille, le 27 août 2020. Didier Raoult s'exprime lors d'une conférence de presse sur la situation du Covid-19. AFP/Christophe Simon

    Que s’est-il passé à l’IHU Méditerranée Infection, dirigé par Didier Raoult, ces dernières années ? Alors que le microbiologiste français, qui a acquis une célébrité médiatique avec la pandémie de Covid-19, est depuis longtemps discrédité par ses pairs, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a livré mercredi une charge sans précédent contre les pratiques qu’il a supervisées durant des années.

    Le constat est accablant : au sein de l’IHU, « les règles d’éthique n’ont pas été systématiquement respectées, ne permettant pas d’assurer la protection des personnes à un niveau suffisant et tel que la réglementation le requiert », écrit l’ANSM. Que dit précisément le rapport ? Quelles sont ces conséquences pour Didier Raoult et son équipe ? On fait le point.

    Pourquoi un rapport a-t-il été mené ?

    En octobre 2021, Mediapart a révélé l’existence d’une « expérimentation sauvage » sur la tuberculose au sein de l’IHU. Depuis au moins 2017 et jusqu’en mars 2021, l’institut a prescrit un traitement à base de quatre médicaments, alors que l’ANSM s’y était opposée, cet assemblage pouvant se révéler toxique plutôt qu’efficace, jugeait l’agence.

    Quelques semaines plus tôt, L’Express avait indiqué qu’au moins quatre autres procédures avaient été menées hors des clous ces dernières années à l’IHU. Son directeur Didier Raoult avait alors balayé les accusations, parlant d’« une tempête dans un verre d’eau ». Des signalements en interne sont également parvenus à l’ANSM dans le cadre de son « dispositif de lanceurs d’alerte ».

    Dans la foulée de ces accusations, l’ANSM a saisi le procureur de la République de Marseille et déclenché une inspection en fin d’année pour vérifier les conditions dans lesquelles sont menés certains essais cliniques à l’IHU. Ce sont les conclusions de cette enquête qui ont été rendues publiques mercredi.

    Dans quelles conditions ?

    L’enquête de l’ANSM a été menée fin novembre 2021 dans des conditions, semble-t-il, difficiles. L’agence du médicament fait notamment état du « climat d’hostilité et de défiance dans laquelle s’est tenue la réunion d’ouverture de l’inspection le 18 novembre 2021 dans les locaux de l’IHU », ainsi que « l’agression verbale de nature à porter atteinte au respect dû à la fonction des inspecteurs survenue lors de la visite des locaux de l’IHU ».

    Que dit le rapport ?

    L’enquête de l’ANSM a relevé 15 écarts, dont huit sont jugés « totalement inacceptables » et passibles de sanctions administratives ou de poursuites pénales. Les inspecteurs affirment qu’à de multiples reprises des essais ont été engagés sans obtenir l’avis obligatoire d’un comité indépendant, ni, parfois, le consentement de tous les patients examinés. C’est par exemple le cas de prélèvements rectaux réalisés au début des années 2010 sur des enfants atteints de gastro-entérite. Pour des dizaines d’entre eux, le consentement des parents est absent.

    Le rapport fait également état d’un document falsifié que l’IHU a remis à l’ANSM. Le texte, daté du 7 août 2019, affirmait à l’agence du médicament que le comité d’éthique de l’institut avait donné un « avis favorable » à un essai. Or, lors de leur enquête, les inspecteurs de l’ANSM ont découvert que le document original ne portait pas cette mention. Au contraire, le comité d’éthique demandait à l’IHU de soumettre cet essai à un comité de protection des personnes, dont la consultation est dans ce cas obligatoire.

    Quelles sont les poursuites ?

    En conséquence, l’ANSM a annoncé deux types d’actions. L’une, d’ordre administratif et menée par ses propres soins, consiste à demander l’interruption des essais entamés irrégulièrement et imposer « des actions correctives et préventives » pour remettre en bon ordre les recherches à l’IHU. Ces mesures ne seront pas immédiates, puisque l’ANSM doit passer par une procédure contradictoire avec l’IHU ainsi que l’AP-HM, dont la responsabilité est aussi mise en cause.

    Côté pénal, l’ANSM a annoncé saisir à nouveau la justice -elle l’avait déjà fait à l’automne lors de la publication de l’enquête de Mediapart. Comme à l’époque, elle accuse l’IHU d’avoir mené des essais irréguliers. Ce « défaut de connaissance ou de considération des obligations réglementaires », précisent les inspecteurs, représente une transgression au Code de la santé publique, passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. L’ANSM ajoute une autre charge : lui avoir communiqué un faux document pour justifier le lancement d’une des recherches incriminées.

    Le parquet de Marseille a indiqué à l’AFP qu’il avait « pris connaissance de la communication » de l’ANSM et « décidera de la suite pénale à donner après analyse des éléments mis en évidence dans le cadre de l’enquête administrative ».

    Par ailleurs, l’ANSM s’abstient, pour l’heure, d’engager des procédures sur le volet le plus spectaculaire du dossier : l’expérimentation par l’IHU de traitements supposés lutter contre la tuberculose. Chez une forte proportion de patients, ces pratiques ont provoqué de graves effets secondaires. Mais l’ANSM estime qu’elles ne constituent pas en tant que telles un essai clinique et ne se considère donc pas en mesure d’intervenir directement sur le sujet. L’autorité compte toutefois poursuivre son enquête et n’exclut pas, à terme, de saisir aussi la justice à ce propos.

    Que répondent Raoult et son équipe ?

    Didier Raoult, qui est par ailleurs déjà poussé vers la sortie par son autorité de tutelle l’AP-HM et blâmé par l’Ordre des médecins, estime que les reproches de l’agence du médicament « ne paraissent pas justifier une remise en cause du projet IHU dans son ensemble ». Il concentre sa réponse sur l’expérimentation de traitements supposés lutter contre la tuberculose. « Nous sommes satisfaits que l’ANSM constate qu’il n’y a jamais eu le moindre essai thérapeutique sur la tuberculose mené au sein de l’IHU Méditerranée Infection contrairement aux allégations contenues dans l’enquête interne de l’AP-HM et dans les articles de Mediapart », écrit-il.

    Son avocat Brice Grazzini dénonce lui un « acharnement ». « On nous parle de l’IHU, il n’y a pas que le Pr Didier Raoult à l’IHU », a-t-il déclaré à France Bleu Provence. Aux accusations de défaut de consentement, Me Grazzini insiste sur le conditionnel - « il manquerait »- et souligne que « seule la justice peut dire si oui ou non il y a eu un manquement ».

    Dans un communiqué, l’AP-HM a affirmé mettre en œuvre « l’ensemble des recommandations à effet immédiat », dont la suspension des recherches réalisées sans avis d’un comité, et se tenir « à disposition de l’ANSM et de la justice pour toutes les enquêtes ultérieures ».