À Orly, le départ d’Air France se déroule dans la douleur : « Des collègues pleurent quand on en parle »

Le fleuron tricolore, qui opérait à l’aéroport sud-francilien depuis 1958, y arrête progressivement ses vols d’ici à 2026. Deux préavis de grève ont été déposés du lundi 22 au jeudi 25 juillet et du mardi 23 au lundi 29 juillet, face à ce qui est vécu comme un abandon par une partie du personnel.

Les avions tricolores d'Air France ne décolleront et n'atterriront bientôt plus à l'aéroport Paris-Orly. LP/Arnaud Journois
Les avions tricolores d'Air France ne décolleront et n'atterriront bientôt plus à l'aéroport Paris-Orly. LP/Arnaud Journois

    Air France et Orly, c’est bientôt fini. Le départ de la compagnie tricolore de l’aéroport sud francilien avait été annoncé avec fracas cet automne. Pourtant, depuis… rien. Ou presque. Pas de manifestation du personnel, tout juste une petite mobilisation devant Orly 3 en novembre.

    La décision semblait passer comme une lettre à la poste. Air France va cesser de relier Nice, Marseille, Toulouse et les Antilles depuis Paris-Orly. Ne restera que la Corse, sous délégation de service public. Le désengagement commence en 2024, se poursuit en 2025 et s’achèvera en 2026. La fin d’une histoire entamée en 1958.

    Des vols intérieurs « structurellement déficitaires »

    Les vols intérieurs sont jugés « structurellement déficitaires » par la compagnie (« 250 millions d’euros de pertes en 2019 » hors Roissy). Ils seront transférés à l’aéroport Charles-de-Gaulle, promet Air France, premier employeur privé d’Île-de-France. Les créneaux libérés seront repris par Transavia, la filiale low-cost du groupe, mais pas forcément leurs destinations.

    Quelques élus s’en sont inquiétés publiquement, comme le sénateur du Val-de-Marne, Pascal Savoldelli (PCF) ou le député niçois Éric Ciotti (LR). Ils ont tenté de faire bouger les lignes afin de préserver les 1 200 salariés concernés et la desserte de leurs territoires, en vain.



    Mais le calme apparent se craquelle en ce début d’été, alors que les mutations vers Roissy se préparent. Deux préavis de grève sont lancés la semaine prochaine, par le syndicat minoritaire de pilotes Alter, du lundi 22 au jeudi 25 juillet, et par la CGT du personnel navigant (PNC), du mardi 23 au lundi 29 juillet, au début des JO et en pleine période de départs en vacances. Air France prévoit « d’assurer l’ensemble de son programme de vols » et Alter appelle à manifester lundi 22 à 15 heures devant Orly 3 et la sortie 1 du métro de la ligne 14.

    Selon nos informations, l’accord proposé par la direction vient d’être refusé par les représentants des 450 hôtesses et stewards orlysiens. La CGT PNC dénonce « le mépris du court-courrier par la présidence anglo-saxonne, qui ne fait que reproduire ce qu’elle a déjà fait avec (leurs) cousins d’Air Canada et Air Canada Rouge », et un « dumping social » qui « transfère tout à des prestataires de service sous-qualifiés, sous-payés ».

    Un accord aux forceps ?

    Air France a réussi à obtenir la signature du syndicat majoritaire des pilotes de ligne SNPL, dont le feu vert était légalement nécessaire pour lancer l’abandon d’Orly. Mais l’accord ne s’est pas conclu sans difficultés. « Le SNPL aurait dû signer en février-mars. Or, il vient seulement de le faire. Et en interne, certains membres désapprouvent », assure un commandant de bord. Contacté, le SNPL indique « ne pas avoir de disponibilité » pour nous répondre « en cette période estivale chargée ». Environ 50 pilotes de la compagnie sont basés à Orly.

    Les personnels au sol (près de 600 mécaniciens, agents de piste…) ont validé rapidement le texte après avoir obtenu des contreparties. « Chaque salarié concerné a déjà pu être reçu afin d’examiner les solutions envisageables au regard de sa situation personnelle », confirme la direction, qui évoque par exemple « la prise en compte d’une distance modifiée entre le domicile et le lieu de travail ».

    Les mutations sont prévues en mars 2025 et mars 2026 pour les agents au sol, et à partir du 1er avril 2026 pour le personnel navigant, annonce l’entreprise. Mais les langues commencent à se délier sur les conséquences d’un tel départ. « Pour rejoindre Roissy, je mettrai jusqu’à trois heures contre quinze à trente minutes pour Orly », témoigne Philippe* (les prénoms ont été changés), un steward vivant dans l’Essonne. « Moi, je m’en sortirai car j’ai une moto », précise un collègue. Des primes de déménagement ont été mises sur la table.

    « Des mesures d’accompagnement mises en place »

    « Ça m’ajoutera deux heures aller et deux heures retour, s’alarme Hélène*, une hôtesse installée dans le sud de l’Île-de-France. On a nos maisons, nos enfants scolarisés ici… Et on aime tellement travailler à Orly, un petit aéroport, familial, facile d’accès, fluide. Roissy, c’est l’usine, une grosse machine impersonnelle, il y a souvent du retard, tout y est plus compliqué. »



    Une autre hôtesse, dépitée, a décidé de prendre sa retraite plus tôt que prévu. « Des collègues pleurent quand on en parle, l’un d’eux un est catastrophé car il vient d’acheter sa maison au sud d’Orly »…, énumère Bertrand*, steward depuis près de vingt-cinq ans.

    « La direction d’Air France a pleinement conscience des contraintes que ces mobilités peuvent entraîner, répond celle-ci. Dès l’annonce en octobre 2023, des mesures d’accompagnement collectives et individuelles ont été mises en place » : études préalables avec la médecine du travail, plan de prévention des risques psychosociaux, permanence d’un médecin psychiatre, équipes managériales et médico-sociales renforcées, etc.

    « Je pensais que ça n’arriverait jamais »

    « Je pensais qu’un tel départ n’arriverait jamais, confie Pierre*, mécanicien aéronautique sur les pistes. Je suis dégoûté. Seuls 12 % de mes collègues sont OK pour aller à Roissy, 20 % se disent indécis, tous les autres, dont moi, ont dit non. Le départ négocié m’a été refusé car il s’agit officiellement d’un transfert de poste. »

    Beaucoup voient ce départ comme « une erreur stratégique d’Air France, une catastrophe industrielle qui met en péril l’entreprise », s’alarme le syndicat Alter, pointant un « PDG (Ben Smith) cherchant une rentabilité élevée à court terme ».

    Les pertes évoquées sont « difficiles à vérifier », selon Alter, qui parle plutôt de 40 millions d’euros et décrit un « déficit est largement absorbable par les milliards de bénéfices ». « Pour la première fois depuis plus de vingt ans, mon planning de vols pour l’été 2024 est particulièrement allégé, s’attriste une hôtesse de l’air. D’habitude, l’été à Orly, on est à fond… »