Plongée au cœur de l’un des derniers bidonvilles d’Ivry-sur-Seine

Le camp rom de la rue Mirabeau, à Ivry, devrait être évacué avant la trêve hivernale. La ville travaille avec les associations pour reloger ses habitants.

 Ivry-sur-Seine, ce lundi. Au 62, rue Mirabeau, l’un des derniers camps roms d’Ivry.
Ivry-sur-Seine, ce lundi. Au 62, rue Mirabeau, l’un des derniers camps roms d’Ivry. LP/M. Fr.

    La misère se cache bien, rue Mirabeau. Pour la trouver, il faut pousser la porte du numéro 62. Vous tomberez nez à nez avec l'un des derniers bidonvilles rom d'Ivry-sur-Seine. La cinquantaine de personnes qui vit là habitait autrefois dans le camp Truillot, l'un des plus grands bidonvilles du Val-de-Marne évacué en juillet 2015.

    En arrivant ici, les Roms ont garé une dizaine de caravanes délabrées et construits des baraques bancales faites de tôle et de bois. Depuis, chariot à la main, les biffins y font d'incessants allers-retours tandis que les femmes cuisinent et s'occupent des nouveau-nés.

    Ce lundi, à Ivry-sur-Seine. Au 62, rue Mirabeau, l’un des derniers camps roms d’Ivry. LP/M. Fr.
    Ce lundi, à Ivry-sur-Seine. Au 62, rue Mirabeau, l’un des derniers camps roms d’Ivry. LP/M. Fr. LP/M. Fr.

    Tout au fond de ce refuge où l'air est vicié par les eaux sales qui ruissellent au sol, une chapelle rudimentaire a été installée. La messe y est donnée chaque mardi.

    Sur les pavés défoncés, des rats indolents gros comme des chats se chamaillent quotidiennement le bout de gras en poussant des cris stridents. « Ils n'ont plus peur de l'homme », constatent la dizaine d'enfants à vivre ici. Malgré la situation, tous sont bien vêtus et semblent en bonne santé.

    Il y a quelques mois encore, ils étaient indifférents à toute cette noirceur. Aujourd'hui, la donne a changé : ils se tiennent droit devant les baraques, à bonne distance de la horde de rongeurs.

    Assis sur un fauteuil au style Louis XV, Andrei, 56 ans et quelques dents, le visage buriné par la vie à l'air libre, ne cesse de pleurer ses deux accordéons Hohner soprano confisqués par la police. Seules les notes de « La vie en rose » qui s'échappent puissamment de son dernier instrument repoussent les rats le temps d'une chanson. Quand il joue, les plus jeunes se pressent autour de lui.

    Ivry-sur-Seine, ce lundi. Andrei joue La vie en rose sur son accordéon. LP/M. Fr.
    Ivry-sur-Seine, ce lundi. Andrei joue La vie en rose sur son accordéon. LP/M. Fr. LP/M. Fr.

    « Depuis qu'on nous a coupé l'électricité, au mois d'août, les rats sont devenus trop nombreux car la nourriture se périme plus vite, explique Cocoï, l'un des hommes du camp. La nuit, il y a toujours quelqu'un qui ne dort pas pour les surveiller car ils rentrent partout, se servent dans les réserves, vont jusque dans nos lits. Avec les bébés, il faut faire très attention. »

    Selon la ville, « l'opérateur a pris la décision de couper l'électricité en pleine canicule car le risque d'incendie était élevé ». Depuis, un générateur a été installé par les habitants, au beau milieu d'une cabane en bois.

    Ivry-sur-Seine, ce lundi. L’électricité a été coupée en août, l’opérateur craignant un risque d’incendie. LP/M. Fr.
    Ivry-sur-Seine, ce lundi. L’électricité a été coupée en août, l’opérateur craignant un risque d’incendie. LP/M. Fr. LP/M. Fr.

    Le camp laissera la place à un projet immobilier

    Un enfer quotidien imperceptible depuis la rue, propre et régulièrement nettoyée. A dix mètres d'ici se dresse le périphérique. Il sépare la misère de la Ville Lumière.

    Une situation « indigne », selon le voisinage, « scandalisé » par les conditions de vie de ce camp qui aurait dû être évacué après la dernière trêve hivernale. Tous les riverains interrogés déplorent la situation sanitaire.

    Mais le dossier est complexe et le camp se résorbe petit à petit. Bientôt, il laissera place à un vaste projet immobilier.

    Il y a un an, près de 70 personnes vivaient là. Depuis, deux diagnostics sociaux ont été réalisés. L'un par l'État, l'autre par la ville, accompagnée par les associations qui multiplient contacts et médiations avec les familles.

    « Vingt et une personnes ont été relogées au centre d'hébergement d'urgence pour migrants d'Ivry, une vingtaine d'autres vont sortir d'ici à la fin du mois », détaille l'adjoint (PCF) en charge de la politique sociale et solidaire, Mehdi Mokrani. Ce lieu, situé à deux pas et ouvert en 2017 par la mairie de Paris, est une sorte de village humanitaire géré par Emmaüs solidarité. Une solution connue et appréciée par les habitants du camp, dont la plupart attendent une place avec impatience.

    Il restera une trentaine de personnes qui relèvent d'un effort d'insertion et qui seront prises en charge. Les autres, « en transit et qui ne sont pas là pour une installation pérenne » seront délogées au moment de l'évacuation, bien prévue, cette fois, « avant la trêve hivernale. »