VIDÉO. On a testé le vélo à Marseille, l’une des pires villes de France pour les cyclistes

BICLOU, ÉPISODE 43. Marseille est la métropole de plus de 200 000 habitants qui affiche le plus mauvais bilan pour les cyclistes. Être un cycliste dans la cité phocéenne requiert une sacrée dose de patience et de concentration.

    On entrevoit son chignon aérien au loin. Dimitri Payet pédale en danseuse non loin de notre caméra. Le joueur de l’Olympique de Marseille fait partie des nombreux Marseillais qui profitent de cette fin de journée ensoleillée pour faire du vélo le long de la corniche, sur une piste cyclable qui surplombe la Méditerranée depuis 2019.

    Cette voie bidirectionnelle de carte postale pourrait presque faire oublier les lacunes de la cité phocéenne en matière de vélo.

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    Marseille, lanterne rouge des très grandes villes pour les cyclistes

    Selon le baromètre des villes cyclables 2019 de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), Marseille est toujours la lanterne rouge des villes de plus de 200 000 habitants en matière cyclable.

    Avec le plus mauvais bilan, elle est 11e sur 11 et affiche une piètre note de G, la pire possible. « S'il y avait une note Z, on l'aurait eue aussi », ironise Cyril Pimentel, coordinateur du Collectif Vélos en Ville, une association majeure de cyclistes à Marseille. Ressenti global, sécurité, confort, options de stationnement, efforts municipaux : ici, tous les voyants ou presque sont au rouge.

    « C'est très dangereux de faire du vélo à Marseille »

    « La corniche c'est sympa, mais après, tout ce qui est en dehors, c'est un peu compliqué. Il n'y a pas de pistes cyclables et parfois les voitures sont garées dessus », regrette Bastien, un cycliste occasionnel. « Ça se passe bien, il y a du progrès, mais il y a encore beaucoup à faire », appuie Cyril, qui pédale chaque jour au travail. « C'est très dangereux de faire du vélo à Marseille », se désole Christiane, une senior qui pourtant « fait tout à vélo ».

    « Le baromètre est basé sur le ressenti de la population, c'est le plus important, décrypte Cyril Pimentel, du collectif Vélos en Ville, Ici, ce que le baromètre mesure, c'est que les gens ne se sentent pas à l'aise ». Et pour cause, malgré une nouvelle coronapiste temporaire sur la Canebière et cette voie panoramique de la corniche, le réseau cyclable marseillais reste encore embryonnaire.

    « Les aménagements cyclables à Marseille, c'est hypocrite »

    Au centre-ville, de nombreuses pistes sont aménagées à même le trottoir, au milieu des piétons, et demeurent difficilement utilisables, à moins de déployer des trésors de patience et quelques subtils talents de funambule.

    En suivant plusieurs pistes on s'est ainsi retrouvés plongés tour à tour dans un vide grenier, devant le comptoir d'un vendeur de coquillages, puis en plein marché du Prado. « Les aménagements cyclables à Marseille, c'est hypocrite. On vous met un panneau, on vous dit de vous partager l'espace avec les piétons, et pendant ce temps-là, la voiture a tout l'espace », déplore Cyril Pimentel. Pour ne rien arranger, ces espaces cyclables sont souvent usés, à peine visibles, voire transformés en parking de fortune par des automobilistes pressés.

    Un réseau cyclable discontinu et sans logique

    Une carte collaborative mise à jour très régulièrement permet aussi d'entrevoir le manque de continuité du réseau : de longs segments déconnectés les uns des autres et quelques appendices d'infrastructures qui émergent tout seuls au coin de la carte.

    Faute de plan d'ensemble logique, beaucoup d'infrastructures s'arrêtent d'un coup. « Ben du coup, tu prends ton vélo et tu disparais », plaisante Charlotte Caselles, adepte du vélo quotidien depuis quatre ans à Marseille. « Ce n'est pas réfléchi, c'est fait à la va-vite », décrypte cette photographe et animatrice scolaire.

    Sur le boulevard Michelet, non loin du Stade Vélodrome, Cyril Pimentel, se prend à tourner en rond, à l'issue d'une piste clôturée par quelques sens interdits et une marée de voitures qui accélèrent dans la direction opposée. « Je n'ai pas d'autre choix que de faire demi-tour », soupire-t-il.

    Des frictions quotidiennes avec les motorisés

    Autre obstacle majeur, dans la 2e ville la plus embouteillée de France, la cohabitation avec les motorisés vire parfois au cauchemar. Au redémarrage à un feu rouge, Charlotte Caselles est ainsi doublée par une voiture impatiente, qui n'hésite pas à appuyer vigoureusement sur l'accélérateur. « On fait vrombir le moteur, on te frôle, tout ça pour te signifier que tu n'es pas assez rapide pour eux », fulmine la trentenaire, « C'est typique de Marseille. Ici tout est fait pour la voiture ».

    Pour lutter contre ces violences motorisées, elle a cofondé Les Déchaîné·e·s, un collectif cyclo-féministe en lutte pour se réapproprier l'espace public par la pratique du vélo en milieu urbain. « Pour que ce soit plus agréable, il faut faire des vraies pistes cyclables qui sont cohérentes, qui ne sont pas sur le trottoir, et qu'on valorise plus le vélo quoi! », prône cette cycliste engagée. « Arrêtez de privilégier la voiture! »

    « On peut faire des choses merveilleuses ici. Le seul truc qu'il faut, c'est de la volonté politique. Si on ne limite pas la place de la voiture, les gens vont continuer à l'utiliser », appuie de son côté Cyril Pimentel.

    Huit lignes express à horizon 2030

    « On a beaucoup de progrès à faire et on le sait », glisse Audrey Gatian, adjointe à la politique de la ville et aux mobilités à la mairie de Marseille. La nouvelle municipalité issue de l'union des gauches et des écologistes se dit volontariste pour construire des pistes sur la chaussée et séparées du trafic.

    Sauf qu'elle n'a pas la compétence pour agir et doit travailler avec une métropole Aix-Marseille contrôlée par Les Républicains. « Pour l'instant, on a des relations un peu compliquées avec la métropole, [qui] est plutôt sur un modèle de bandes peintes [de pistes cyclables] », regrette Audrey Gatian.

    De son côté, la métropole concocte un plan vélo à 30 millions d'euros pour Marseille. Huit lignes express devraient être livrées à horizon 2030, avec plusieurs tronçons achevés dès 2024. Sauf que le projet a déjà pris énormément de retard.

    Les cyclistes marseillais devront ainsi encore être un peu patients pour rouler dans leur ville plus sereinement.

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