A Carrières-sous-Poissy, la «mer de déchets» s’est déversée comme un raz-de-marée

7000 tonnes de gravats sont éparpillés sur 47 hectares à l’air libre, près des habitations de cette commune des Yvelines. Impossible d’établir les responsabilités. Ce samedi, des volontaires ont lancé le nettoyage.

 Carrières-sous-Poissy.  Près de cent personnes se sont mobilisées ce samedi pour ramasser déchets et gravats déposés illégalement sur la grande plaine de Poissy.
Carrières-sous-Poissy. Près de cent personnes se sont mobilisées ce samedi pour ramasser déchets et gravats déposés illégalement sur la grande plaine de Poissy. LP/ Jean-Baptiste Quentin

    Ils se battent contre des montagnes… de déchets. Plusieurs dizaines de volontaires, dont de nombreux enfants, ont consacré leur samedi à débarrasser une partie des gravats de la plaine de Carrières-sous-Poissy (Yvelines), rebaptisée « mer de déchets », dans le cadre du World CleanUp Day, la plus grande action citoyenne pour nettoyer la planète. «Nous avons rempli trois bennes de 30 mètres cubes, 8 bacs de 660 litres et 3 bacs de verres», se félicite l'association Stop décharges sauvages ce dimanche.

    C'est cependant une goutte d'eau au regard de l'ampleur de la tâche. Au fil des ans, l'amoncellement de dépôts sauvages de la plaine n'a cessé de croître, tel un raz-de-marée incontrôlable, jusqu'à doubler entre 2017 et 2018.

    La mobilisation ce samedi a permis de remplir plusieurs  bennes de déchets.  LP/ Jean-Baptiste Quentin
    La mobilisation ce samedi a permis de remplir plusieurs bennes de déchets. LP/ Jean-Baptiste Quentin LP/ Jean-Baptiste Quentin

    Alerter les élus, l'Etat, saisir la justice, multiplier les opérations médiatiques… Riverains et associations de défense de l'environnement ont tout tenté. Leur acharnement n'a pas suffi : quelque 7000 tonnes de gravats, incluant de l'amiante et des solvants, ont été déversées illégalement sur l'équivalent de onze terrains de foot.

    L'enquête de police, qui vient d'être clôturée, n'a pas permis de désigner un ou des coupables de cette pollution d'une ampleur inédite en Ile-de-France.

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    C'est l'histoire d'une plaine maudite. Sur ces terres peu fertiles, le maraîchage a été rendu possible par… l'épandage des eaux usées de la ville de Paris, qui les a polluées aux métaux lourds. Toute culture a donc cessé il y a vingt ans. Quelques centaines d'hectares au repos, sans activité humaine. Ou presque. Très vite, des déchets font leur apparition ici et là. Mais rien de comparable à ce qui est devenu aujourd'hui une décharge géante.

    Pour attirer l'attention des pouvoirs publics, riverains et propriétaires des terrains publient des photos édifiantes sur les réseaux sociaux. Plusieurs associations de défense de l'environnement s'emparent du sujet en juin 2017. « Une étude a été lancée pour chiffrer le coût du nettoyage » assuraient les élus à l'époque. Les riverains y ont cru. « J'ai fait les premières images par drone en septembre 2017, j'étais choqué mais pour moi, c'était évident que ce serait nettoyé dans la foulée », confirme Alban Bernard, président de l'association Stop décharges sauvages.

    En janvier 2018, il ressort son drone. « Ce que j'ai vu m'a mis hors de moi », résume le quadra qui publie ses images pour susciter une prise de conscience. L'appel à l'aide « est resté lettre morte et personne n'a semblé s'émouvoir de la situation, si bien qu'entre juin 2017 et décembre 2018, le volume de déchets a plus que doublé », accuse Anthony Effroy, président de l'association Rives de Seine Nature Environnement et conseiller municipal d'opposition à Carrières-sous-Poissy.

    VIDÉO. Les images par drone réalisées par Alban Bernard

    Le militant est formel : « Durant cette période, aucune mesure n'a été prise pour faire cesser les nouveaux apports de déchets et malgré un trafic qui pouvait atteindre 20 camions par jour, aucune opération de police n'a été prescrite par les autorités préfectorales ou municipales ».

    Du côté des autorités, la situation semble inextricable. « Les dépôts sauvages relèvent du maire, souligne-t-on à la Direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (DRIEE) des Yvelines. Ce qui ne veut pas dire qu'on s'en désintéresse. L'Etat, la région, le conseil départemental sont prêts à contribuer financièrement au nettoyage, à partir du moment où les acteurs locaux seront en capacité de régler le problème de manière pérenne. »

    Un peu fort de café pour Christophe Delrieu, le maire de Carrières-sous-Poissy. « Si les policiers nationaux et municipaux n'ont pas les moyens légaux de contrôler n'importe quel camion qui passe par là pour voir d'où il vient et ce qu'il transporte dans la plaine, comment enrayer le phénomène ? » interroge-t-il. « Il faut les attraper et on n'a pas les pouvoirs pour le faire. »

    Un classeur plein de CV d'ingénieurs découvert sur place

    Des défenseurs de l'environnement ont retroussé leurs manches et fouillé la décharge. Ils y ont trouvé un classeur plein de CV d'ingénieurs évacué là après le déménagement d'une entreprise, des documents appartenant à des pharmacies parisiennes venant de refaire leur agencement, des bons de livraison destinés au bureau de poste Paris Mercœur (XIe) totalement rénové récemment…

    Carrières-sous-Poissy (Yvelines), le 2 septembre. Anthony Effroy, président de l’association Rives de Seine Nature Environnement et conseiller municipal d’opposition, inspecte des documents trouvés sur la décharge. LP/A.F.
    Carrières-sous-Poissy (Yvelines), le 2 septembre. Anthony Effroy, président de l’association Rives de Seine Nature Environnement et conseiller municipal d’opposition, inspecte des documents trouvés sur la décharge. LP/A.F. LP/ Jean-Baptiste Quentin

    La filiale immobilière de La Poste dit d'ailleurs « coopérer pleinement avec la justice » afin de vérifier si des déchets provenant du chantier de Paris Mercœur ont pu se retrouver dans cette décharge sauvage. « Ce chantier a été conduit par une entreprise qui s'était engagée à gérer les déchets conformément à la réglementation en vigueur et assurer leur parfaite traçabilité », indique La Poste qui refuse d'en dévoiler le nom. L'un des pharmaciens a quant à lui déposé plainte contre l'entreprise qui s'est chargé des aménagements de son officine.

    Aucune poursuite engagée pour l'heure

    En tout, une quarantaine de chantiers ont été identifiés. Autant d'éléments transmis à la brigade antifraude du commissariat de Conflans-Sainte-Honorine. Si des responsables d'entreprise ont été entendus, aucune poursuite n'a, pour l'heure, été engagée. « Les responsabilités sont tellement diluées avec des sous-traitants de sous-traitants dans un système en toile d'araignée qu'il est difficile d'identifier un responsable », souffle un policier. Au parquet, désormais, « d'envisager d'autres axes d'enquête et demander au service saisi de creuser les investigations, ou de classer sans suite faute d'auteur identifié ».

    Quant à ceux qui reprochent aux élus locaux d'avoir tardé à bloquer les accès au site, le maire rappelle qu'il y avait ici un camp Rom de 400 personnes et qu'il fallait d'abord le démanteler avant tout autre action. C'est chose faite. Et la préfecture de région, qui confirme les « quantités de déchets tout à fait inquiétantes, à la fois en termes d'impact sur l'environnement que sur le cadre de vie des habitants », « partage pleinement la préoccupation » des associations. Elle a ainsi débloqué, une aide exceptionnelle « de 800 000 € ».

    Un projet global à l'étude

    Pourtant, « la décharge sauvage est intacte, toujours pas nettoyée », s'impatientent les riverains. Et ce n'est pas à l'ordre du jour. « Il y en a pour 3 millions d'euros s'inquiète Christophe Delrieu. On peut le nettoyer sans cesse, ce sera réalimenté. C'est le tonneau des Danaïdes*! »

    La communauté urbaine, désormais compétente pour gérer le site à cheval sur trois communes, a mandaté un aménageur pour « définir un projet global incluant des solutions pour enlever les déchets mais aussi des pistes pour implanter des activités sur cette friche ».

    * Dans la mythologie grecque, les Danaïdes sont condamnées, aux Enfers, à remplir sans fin un tonneau troué

    Ils s'attaquent au nettoyage de la plus grande décharge sauvage de France