Accueil

Politique Gouvernement
1er mai sous l’ère Macron : un nouvel épisode de désinformation tout droit venu de l'exécutif
Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a affirmé que l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière avait été attaqué par des gilets jaunes le 1er mai.

1er mai sous l’ère Macron : un nouvel épisode de désinformation tout droit venu de l'exécutif

Par Anne-Sophie Chazaud

Publié le

Anne-Sophie Chazaud revient sur la prétendue attaque de la Pitié-Salpêtrière le 1er mai et sur la fake news inventée par le ministre de l'Intérieur.

Un an après l’affaire Benalla qui a marqué le basculement du quinquennat d’Emmanuel Macron en raison de la très mauvaise gestion dont elle a fait l’objet, notamment en termes d’absence de transparence, de manipulations mensongères (pensons aux vidéos truquées diffusées sur de faux comptes Twitter par l’ancienne éminence grise du Président, Ismaël Emelien), c’est à présent au tour de Christophe Castaner de faire bégayer l’histoire, avec de légères variantes mais toujours avec ce rapport très singulier à la vérité.

La théâtralisation du 1er mai

Sur fond de conflit social devenu violent, sur fond aussi d’infiltration du mouvement des gilets jaunes par l’ultra gauche et ses fameux black blocs qui permettent commodément depuis plusieurs années de discréditer tous les mouvements de revendications sociales les uns après les autres, la journée du 1er mai 2019 a fait l’objet d’une théâtralisation particulière en matière de violences.

Appels à l’émeute du côté des ultras, dramatisation à outrance de la situation du côté de la place Beauvau comme il est désormais de coutume depuis le début du mois de janvier : les déclarations martiales à visée répressive sont à présent ancrées dans le paysage, au détriment de solutions politiques à la hauteur de la gravité de la situation.

Christophe Castaner faisait ainsi très rapidement état d’une "attaque " (les mots ont un sens) et notamment d’une attaque d’un service de réanimation. On laissait par ailleurs entendre de manière subliminale que cette attaque délibérée et délibérément violente ne serait pas sans lien avec l’hospitalisation sur place d’un membre des forces de l’ordre blessé plus tôt dans la journée.

Dans ce contexte où de très nombreux témoins font état de gazages massifs et de charges très dures de la part des forces de l’ordre, un groupe de manifestants a pénétré dans l’enceinte de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière en fin d’après-midi.

Aussitôt, les déclarations les plus alarmistes et scandalisées n’ont pas manqué de fuser du côté notamment du ministère de l’Intérieur.

Christophe Castaner faisait ainsi très rapidement état d’une "attaque " (les mots ont un sens) et notamment d’une attaque d’un service de réanimation. On laissait par ailleurs entendre de manière subliminale que cette attaque délibérée et délibérément violente ne serait pas sans lien avec l’hospitalisation sur place d’un membre des forces de l’ordre blessé plus tôt dans la journée.

Aussitôt, de nombreux médias mais aussi des personnes publiques relativement suivies sur les réseaux sociaux, emboîtaient le pas de l’exécutif, sans le moindre discernement, sans la moindre nuance, hurlant au scandale, sans procéder à la moindre vérification, au moindre travail d’investigation minimale : les cris d’orfraie contre cette nouvelle intolérable atteinte factieuse aux bases de la République n’ont pas manqué de fuser, et c’est tout juste si, après avoir été grossièrement accusés d’antisémitisme collectif, d’homophobie congénitale, d’islamophobie rampante, d’anti-républicanisme primaire, les gilets jaunes n’ont pas été accusés de vouloir pénétrer dans les hôpitaux pour y voler les petits enfants prématurés en couveuse afin de les dévorer tout crus.

Tout un chacun aurait pu être incité à la prudence, étant donné que cette majorité n’est pas novice en matière d’extrapolation précipitée, histoire de bien jeter de l’huile sur le feu et verser dans un discours à sens unique de type propagandiste : on avait déjà eu droit, le soir de l’incendie accidentel devant les locaux du Parisien, à un tweet précoce (pour ne pas dire incendiaire) de Richard Ferrand accusant à mots à peine couverts le mouvement des gilets jaunes ("irresponsable et scandaleux, haine des libertés" voilà qui paraît peu approprié pour désigner un feu de moteur...), pour s’apercevoir ensuite que l’incendie provenait d’un véhicule accidenté. On n’était pas loin, pourtant, de se croire revenu au soir de l’incendie du Reichstag.

Mais non, aucune prudence, aucune retenue, aucune enquête journalistique : juste profiter de la bonne aubaine pour discréditer un peu plus un mouvement dont de nombreux membres ont fait l’objet d’une répression policière et judiciaire sans précédent.

Quant aux pillages et dégradations auxquelles les manifestants se seraient livrés, on s’aperçoit après vérification que seul un vidéoprojecteur aurait disparu d’une salle ne se trouvant pas du côté des manifestants et sans qu’on puisse en aucune façon relier cette disparition au mouvement incriminé.

Ainsi s’est-on rapidement aperçu au fil des heures, grâce par exemple à l’excellent et minutieux travail de recoupement des sources entrepris depuis plusieurs semaines par le journaliste David Dufresne, que les manifestants n’avaient pas pénétré dans l’enceinte de l’hôpital dans le but de l’attaquer, mais en se protégeant des attaques qu’ils subissaient eux-mêmes à l’extérieur de la part des forces de l’ordre.

Sur plusieurs vidéos qu’il est très facile de recouper, on aperçoit de très nombreux gaz lacrymogènes, et, de l’autre côté, des canons à eau. On distingue alors une foule non composée de blacks blocs ultra comme il a été prétendu, mais de gens de tous âges et de tous styles, se réfugier dans l’enceinte de l’hôpital pour y trouver refuge. On en voit certains vomir à cause des gazages. On aperçoit ensuite une charge très soudaine des forces de l’ordre, provoquant évidemment un mouvement de panique des manifestants qui commençaient à reprendre leur souffle, et qui, alors, se dirigent vers une passerelle située en hauteur et qui se trouve mener à l’issue de secours d’un service de réanimation. Les personnels soignants qui se trouvaient là filment la scène, empêchent les manifestants d’entrer en leur signifiant qu’il s’agit d’un service de réanimation. A l’exception d’une personne un peu âgée et en état visible de panique face à l’arrivée des policiers, on voit le reste des manifestants parfaitement compréhensifs et ne tenter aucune intrusion violente, même pour simplement trouver asile. On peut aussi très aisément constater qu’il ne s’agit nullement de blacks blocs comme il a été prétendu.

Le personnel infirmer lui-même s’exclame que les manifestants ont été "pris en tenaille" et prends, de facto, leur parti, tout en protégeant la sécurité de leurs malades.

Quant aux pillages et dégradations auxquelles les manifestants se seraient livrés, on s’aperçoit après vérification que seul un vidéoprojecteur aurait disparu d’une salle ne se trouvant pas du côté des manifestants et sans qu’on puisse en aucune façon relier cette disparition au mouvement incriminé.

Histoire d'une fake news

Voilà les faits.

L’opposition politique a fait part de son indignation face au mensonge proféré par Christophe Castaner.

Se tromper, à l’heure des réseaux sociaux et de la précipitation des déclarations, peut éventuellement se comprendre, il suffirait pour cela de s’en excuser platement. Sauf que, depuis des semaines, la communication de l’exécutif n’a de cesse de jeter de l’huile sur le feu, d’un feu qui n’a pas besoin d’être nourri mais au contraire apaisé, et alors qu’un nombre très important de violences policières sont perpétrées à l’encontre des manifestants, lesquels se sont souvent, de facto, radicalisés.

De la part d’un exécutif qui a fait de la lutte contre les fake news l’un de ses chevaux de bataille (et en réalité l’une de ses armes de contrôle propagandiste de l’opinion publique), être une nouvelle fois pris la main dans le pot de confiture commence à faire sérieusement désordre.

Par ailleurs, il y a quelque chose de symptômal, pour rester dans le registre médical, à ce que l’exécutif se récrie contre une casse fantasmagorique d’un hôpital qui n’a pas eu lieu alors même que l’un des reproches les plus récurrents du mouvement des Gilets Jaunes porte précisément sur la casse de l’hôpital public en raison de mesures continuelles de rigueur budgétaire et de prétendue rationalisation des soins. Mesures qui mettent la vie et la santé des patients en danger, tout comme elles impactent très lourdement la qualité de vie et de travail des personnels hospitaliers.

Les très nombreux personnels soignants qui sont gilets jaunes depuis le début du mouvement ainsi que tous les Français qui assistent à ce triste spectacle sauront sans nul doute quoi penser de ce nouvel épisode de désinformation, à moins qu’il ne s’agisse, comme l’éclosion du muguet, d’un phénomène chronique et printanier propre au macronisme.

Quel dommage, par conséquent, que cette belle indignation venue du cœur de l’exécutif ne porte pas plutôt sur ce qui casse vraiment le service public hospitalier à l’heure des obsessions budgétaires de Bercy et de Bruxelles ! A quelques jours des élections européennes, cela aurait eu du panache et du sens.

Il faut croire que grenouiller dans la manipulation et le mensonge convient davantage à l’état d’esprit de certains.

Les très nombreux personnels soignants qui sont gilets jaunes depuis le début du mouvement ainsi que tous les Français qui assistent à ce triste spectacle sauront sans nul doute quoi penser de ce nouvel épisode de désinformation, à moins qu’il ne s’agisse, comme l’éclosion du muguet, d’un phénomène chronique et printanier propre au macronisme.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne