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En déplacement en Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron a multiplié les appels au calme et s'est engagé à ne pas "passer en force" la réforme électorale à l'origine des tensions.
En déplacement en Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron a multiplié les appels au calme et s'est engagé à ne pas "passer en force" la réforme électorale à l'origine des tensions.
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"C'est pas le Far West" de Macron : "Jamais le discours politique n'aura autant suivi les dogmes du marketing"

Nouvelle-Calédonie

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La Nouvelle-Calédonie, « c'est pas le Far West ». En déplacement éclair à Nouméa, Emmanuel Macron semble de nouveau tomber dans ses penchants OSS 117. Habitué des petites phrases percutantes, le président s'est de nouveau livré à cet exercice, mais avec quelle intention ? « Marianne » a posé la question à Élodie Mielczareck, sémiolinguiste.

C'est une nouvelle « punchline » à ajouter au Panthéon des petites phrases qu'Emmanuel Macron affectionne. Après avoir recommandé à un chômeur de « traverser la rue » pour trouver du travail, qualifié les Français de « Gaulois réfractaires » ou indiqué vouloir « emmerder » les non-vaccinés, le président de la République a récidivé.

En plein déplacement en Nouvelle-Calédonie, toujours marquée par des épisodes de fortes tensions, Emmanuel Macron a défendu le recours à des moyens toujours plus importants pour ramener l'ordre. La Nouvelle-Calédonie, « c'est pas le Far West », a-t-il ainsi déclaré à la chaîne de télévision Nouvelle-Calédonie La 1ère.

Une déclaration au style presque habituel pour le président de la République depuis 2017, mais qui interroge malgré tout : que vise réellement Emmanuel Macron avec cette rhétorique ? Marianne s'est tourné vers Élodie Mielczareck, sémiolinguiste et auteure de « Anti-bullshit » (Eyrolles, 2023), pour mieux cerner les intentions du président.

Marianne : Emmanuel Macron a déclaré que la Nouvelle-Calédonie ne devait pas devenir « le Far West ». Quel but recherche-t-il avec cette métaphore ?

Élodie Mielczareck : Emmanuel Macron est déjà connu pour ses formules chocs et « petites phrases ». Ces dernières deviennent un objet d'étude dans le cadre universitaire car elles sont triplement symptomatiques. Premièrement, symptôme d'une certaine manière pour le politique d'envisager le langage et les mots comme armes de persuasion (au même titre que le publicitaire). Deuxièmement, symptôme de notre appétence, en tant que public cible, pour les espaces d'expression de plus en plus courts. Cette dimension est en lien avec les stratégies de captation de l'attention. Troisièmement, symptôme de l'impératif de la visibilité : peu importe ce que je dis, il faut que je sois visible. Ce dernier aspect est souvent en lien avec des problématiques d'agenda - ici, les élections européennes.

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Avec cette métaphore du « Far West », Emmanuel Macron joue sur deux tableaux concomitants : il appuie sa posture autoritaire (au niveau du contenu : je suis le chef de l'État présent pour empêcher le Far West). En linguistique, on parle de la force illocutoire du langage : la phrase signifie plus que ce qu'elle dit. Ici, elle peut aussi se lire comme une menace. Mais la métaphore permet aussi d'être audible et accessible : d'un point de vue relationnel, Macron montre qu'il parle comme vous et moi.

Le Président se permet-il davantage de choses en termes de langage quand il est en déplacement hors de la métropole, que ce soit en outre-mer ou à l’étranger ?

Je ne pense pas que les petites phrases du président soient en lien avec le lieu géographique d'où il s'exprime. En revanche, il est notable que le discours du président va se moduler en fonction du médium / média qui l'interroge. Par exemple, il va être pro-palestinien sur une chaîne de télévision arabe, et davantage pro-israélien sur une chaîne américaine, par exemple.

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Ce sont des aspects que j'ai également pu observer lors du Salon de l'agriculture. Devant les agriculteurs, son langage est direct, voire empathique, il apparaît sans cravate manches retroussées. Dans le même salon, quelques minutes plus tard, il est de nouveau en costume cravate afin d'évoquer devant France 24 (et d'autres chaînes) pour parler « des gens énervés (...) c'est ridicule de la part des agriculteurs ». Les changements de langage sont liés au changement de publics cibles. Jamais le discours politique n'aura autant suivi les dogmes du marketing.

S’inscrit-il dans cette recherche de « punchlines » qui semble prendre de plus en plus de place au sein du discours politique ?

Tout à fait, ce que l'on appelle « petites phrases » ou « formules chocs » en français, devient « punchlines », « buzzwords », « sound bites » ou « catch words » quand on use d'anglicisme. Mais on parle bien de la même chose : l'usage du langage sous une forme d'expression spécifique à vocation de captation de l'attention (dans une économie GAFAM) et pour répondre à des impératifs de visibilité (dans un contexte d'agenda politique particulier).

Emmanuel Macron a souvent été taxé de condescendance dans ses discours. Il avait ainsi déclaré qu'« une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». A-t-il opéré un virage dans son deuxième mandat ou dégage-t-il toujours cette impression de mépris dans ses prises de parole ?

Je ne note pas de virage en particulier. À l’époque nous avions été peu nombreux à souligner la confusion – ahurissante pour un chef de l'État – entre l'auxiliaire ÊTRE et AVOIR. Croiser dans une gare des gens qui n'ont rien, certainement. Mais des gens qui ne sont rien… Nous quittons ici le niveau économique (n'avoir rien = être pauvre) pour être dans le champ moral (réussir sa vie, « être quelque chose » aux yeux des autres…) de celui qui juge.

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Pour moi c'est le plus gros dérapage et lapsus d'Emmanuel Macron. Cette confusion de verbe trahit à la fois ses origines sociales (bourgeoises), et surtout sa vision du monde obsédante tout en verticalité. En gros, il y a les premiers de cordées (ceux qui bossent de près ou de loin au monde que façonne la banque Rothschild) et les derniers de cordées (les banlieues), entre il n'y a rien.

D'ailleurs, il ne sait pas trouver les mots pour décrire ce « milieu » qui ne l'intéresse pas et est invisible pour lui. Cela est confirmé par Gérard Noiriel qui souligne bien que les mots utilisés par le président dans son livre de campagne Révolution (« pauvres », « démunis », « faibles ») sont empruntés au langage forgé par l’Église médiévale.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne