Voile : 20 ans avant le Vendée Globe, la course tragique de Donald Crowhurst

La première course en solitaire et sans escale part en 1968. Donald Crowhurst, le moins préparé des neuf participants, va sombrer dans la folie.

    Il a pleuré toute la nuit, lové dans les bras de sa femme Clare. « Chérie, le bateau n'est pas bien. Je ne suis pas prêt. » Donald Crowhurst a une trouille de tous les diables. Ce jeudi 31 octobre, il lui faudra larguer les amarres pour de longs mois. Il a beau être passionné de voile, c'est un amateur. En s'inscrivant, au mois de mars, au Golden Globe lancé par le « Sunday Times » — ancêtre du Vendée Globe —, il n'avait pourtant pas hésité. Un globe en or massif pour le premier à boucler en solitaire et sans escale le tour du monde. Et 5 000 livres sterling pour le plus rapide, car chacun peut s'élancer quand il le souhaite entre le 1 er juin et le 31 octobre.

    Crowhurst a donc attendu la date limite pour s'élancer. Les huit autres concurrents, assez fous pour tenter le pari, sont déjà partis, certains depuis des mois. Pendant ce temps-là, l'ingénieur anglais de 37 ans a mené une course contre la montre. Il lui a fallu trouver un bateau — un trimaran de 12 m, qui sera livré quelques semaines seulement avant le départ — et un sponsor assez fou pour s'embarquer avec lui dans l'aventure. Stanley Best, marchand de caravanes, mord à l'hameçon, fasciné par l'énergie de cet homme qui assure pouvoir gagner grâce aux innovations qu'il a conçues, et qui lui apporteront gloire et fortune. Un pacte faustien : Crowhurst, père de quatre enfants, a dû hypothéquer sa maison et sa société d'électronique. Et Best exige qu'il rembourse tout s'il jette l'éponge. Le premier piège s'est refermé.

    Sa raison tangue

    Quand il part de Teignmouth (sud de l'Angleterre) à 16 heures, le trimaran de 12 m est sens dessus dessous. Les derniers préparatifs ont eu lieu dans une pagaille indescriptible. Il manque de la nourriture, un baromètre, des boulons ne sont pas serrés. Clare est morte d'inquiétude, mais Donald doit faire bonne figure devant les journalistes.

    Une semaine a passé en mer, et il sent déjà poindre la catastrophe. Le flotteur droit prend l'eau, il se traîne lamentablement... « Ce satané bateau tombe en morceaux », écrit-il sur son journal de bord, en évaluant dès le 15 novembre ses chances de survie « à 50-50 ». Continuer, c'est du suicide. Revenir ? La ruine et le déshonneur. Il choisit une troisième option : mentir. Les rares messages qu'il envoie à la direction de course le positionnent dans l'océan Indien. Il vole de record en record, jusqu'à 243 milles le 10 décembre ! En fait, il barbote dans l'Atlantique Sud, fait même escale incognito en Argentine pour réparer une avarie. Puis retourne au large du Brésil en attendant de pouvoir se reglisser dans la course.

    Après cinq mois de silence radio (il a prétexté une panne de générateur), il se manifeste enfin : cap Horn en vue ! Sauf qu'il ne reste que quatre challengeurs en course : Moitessier, qui a abandonné en mars (lire encadré), Robin Knox-Johnston - le seul qui ralliera l'Angleterre, le 22 avril, après 313 jours de mer -- et Nigel Tetley. Se croyant devancé par Crowhurst, ce dernier pousse à fond son trimaran... qui se disloque.

    Malédiction : Crowhurst est en tête ! S'il gagne, ses livres de bord seront scrutés, son imposture démasquée, et la honte s'abattra sur sa famille. Le piège se referme une nouvelle fois. Sa raison tangue. Ses mensonges et huit mois d'écrasante solitude sous les tropiques l'ont fait dériver vers la folie. Il noircit ses deux livres de bord — un pour sa route réelle, l'autre pour sa route inventée — d'observations célestes. « Je suis un être cosmique de deuxième génération », écrit-il en juin.

    Le 1er juillet, dernière annotation : « C'est fini. C'est la fin de mon jeu. La délivrance ! » Dix jours plus tard, son bateau sera retrouvé, errant dans la mer des Sargasses, grand voile affalée. Sans personne à bord.

    1968. Donald Crowhurst, navigateur amateur, s'embarque pour le premier tour du monde sans escale et en solitaire. (POPPERFOTO/GETTY IMAGES.)

    Et Moitessier « sauva son âme »