Enfants de djihadistes : le combat de trois femmes pour faire revenir leur nièce de Syrie

François Hollande recevra ce mardi des familles d’enfants de djihadistes actuellement retenus dans des camps en Syrie et qui réclament leur rapatriement. Parmi elles, les tantes d’une petite orpheline de 4 ans.

 Soraya se trouve désormais dans le camp insalubre de Al-Hol, où elle a été prise en charge par une des nombreuses veuves de Daech.
Soraya se trouve désormais dans le camp insalubre de Al-Hol, où elle a été prise en charge par une des nombreuses veuves de Daech. DR

    Une petite fille de 4 ans au regard craintif, le bras ballant et le pied bandé, transportée dans une poussette sur un sol ocre : c'est la dernière image, filmée en avril par un cameraman de la BBC, que Fatoumata, Hawa et Khadidiatou ont de leur petite nièce Soraya*. Depuis le décès en mars dernier de sa mère et de sa petite sœur de 2 ans dans les bombardements de Baghouz, le dernier réduit de l'État islamique, la fillette n'a plus aucun membre de sa famille à ses côtés. Son père, un Français qui avait également rejoint les rangs de Daech, est mort à l'été 2016.

    Soraya se trouve désormais dans le gigantesque et insalubre camp de Al-Hol (nord-est de la Syrie), où elle a été prise en charge par une des nombreuses veuves de l'EI qui le peuplent. « Elle a survécu mais elle n'est pas encore tirée d'affaire, s'alarment ses trois tatas. Alors que les orphelins sont théoriquement prioritaires, on ne comprend pas pourquoi elle n'est toujours pas parmi nous. »

    Le gouvernement est officiellement favorable au retour des orphelins, mais privilégie un traitement « au cas par cas » du sort des enfants qui se trouvent auprès de leur mère. Les tantes de Soraya s'efforceront déjà de convaincre François Hollande : l'ancien chef de l'État a souhaité recevoir ce mardi les familles d'enfants retenus en Syrie.

    «Cette vie est une vraie prison»

    Soraya est la dernière personne à relier Fatoumata, Hawa et Khadidiatou à leur sœur défunte, Mariame. Cette dernière, qui aurait eu 30 ans cette année, a pourtant été élevée comme elles, dans une famille musulmane pratiquante modérée de la région parisienne. Mais elle n'a pas fait les mêmes choix et les mêmes rencontres, se perdant dans l'idéologie mortifère de Daech au point de gagner son territoire à l'été 2013.

    Sur place, elle donne naissance à Soraya en mars 2015, puis à une autre fille deux ans plus tard. « Elle ne nous a jamais dit qu'elle se trouvait en Syrie, témoignent ses sœurs. Elle nous envoyait régulièrement des photos des filles qui grandissaient et avaient l'air d'être en bonne santé. Je crois qu'on était dans le déni. » La triste réalité va finalement les rattraper.

    Dans ses derniers messages Mariame semble épuisée. « Cette vie est une vraie prison », écrit-elle le 7 mars. « On sentait qu'elle n'en pouvait plus », soufflent les trois jeunes femmes. Mais les seules informations qu'elles vont obtenir sont tragiques : fin mars, plusieurs personnes réfugiées à Al-Hol leur annoncent la mort de Mariame et de sa fille cadette. Seule Soraya a survécu, mais elle est blessée.

    Une lettre adressée à Emmanuel Macron

    Fatoumata, Hawa et Khadidiatou n'ont désormais qu'une seule obsession : faire revenir à leurs côtés cette fillette qu'elles ont vu grandir à distance, par messagerie interposée. Il y a deux semaines, elles ont rencontré des membres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui intervient régulièrement dans le camp. Leur avocate, Me Marie Dosé, multiplie les courriers aux autorités pour alerter sur la situation de Soraya.

    « Il est important et urgent que soit d'ores et déjà organisé sans plus tarder le rapatriement de cette orpheline de 4 ans à peine, exposée à des traitements inhumains et dégradants, fragilisée et isolée à l'intérieur du camp Al-Hol », écrit-elle le 4 avril au président de la République et au ministre des Affaires étrangères.

    Très mobilisée pour le retour de tous les enfants français en Syrie, l'avocate a saisi ce lundi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), avec son collègue Me Henri Leclerc, pour obtenir le rapatriement d'un garçon de 4 ans et d'une petite fille de 3 ans.

    «On sait que l'opinion publique a peur»

    Même si les dernières nouvelles qu'elles ont obtenu de l'état de santé de Soraya sont rassurantes, ses tantes ne peuvent s'empêcher d'être inquiètes. « On sait qu'il y a de grosses tensions dans le camp et que l'approvisionnement en nourriture est difficile. Et puis dans quel état psychique se trouve-t-elle ? A-t-elle vu sa mère mourir ? » s'interrogent-elles, préférant positiver pour ne pas s'effondrer.

    Pour les trois sœurs, la décision de faire revenir ou non leur nièce est totalement politique. « D'autres pays ont accepté de rapatrier leurs ressortissants, même des adultes. Pourquoi pas nous? interrogent-elles. On sait que l'opinion publique a peur, mais c'est sans doute par ignorance. Il y a urgence à faire revenir tous ces enfants. »

    *Le prénom a été modifié.