Handicapé à 80 %, un ancien «garde missiles» accuse l’Etat de son irradiation

Ancien commando de l’air en charge de la surveillance des missiles nucléaire du plateau d’Albion, Leny Paris vient de porter plainte contre l’État. Victime de nombreuses pathologies, il estime qu’elles sont consécutives à une irradiation.

 Leny Paris, 46 ans, était chargé de la surveillance de missiles nucléaires pour l’armée de l’air entre août 1990 et juillet 1991.
Leny Paris, 46 ans, était chargé de la surveillance de missiles nucléaires pour l’armée de l’air entre août 1990 et juillet 1991. LUBIN/PHOTOMOBILE

    Sur le papier, Leny Paris a 47 ans. Mais pour les médecins qui le suivent, cet ex-commando de l'armée de l'air est déjà rentré dans le quatrième âge. Ses os, attaqués par la nécrose, ont la densité de ceux d'un vieillard depuis qu'il a 28 ans. Comme l'atteste son dossier médical, aucun des 17 professeurs de médecine consultés n'avait jamais vu ça. « C'est ce qu'on retrouve chez les liquidateurs de Tchernobyl… » constate-t-il.

    Alors qu'il n'était que muscles, Leny Paris ne pèse plus que 60 kg, obligé de s'habiller « taille 16 ans ». « Je perds la mémoire, comme l'audition, et je suis atteint de fibromyalgie », énumère l'ancien militaire, pour ne détailler que les pathologies les plus graves.

    Au civil, il est considéré comme handicapé à 80 %. Mais pour l'armée, seule sa nécrose est jugée invalidante, à hauteur de 20 %. Assez pour que sa vie ait été brisée. Trop peu pour obtenir une pension militaire, laquelle ne s'ouvre qu'à partir de 30 %, sous réserve que l'origine de ce handicap soit identifiée.

    Enquête confiée aux gendarmes

    Pour Leny Paris, elle ne fait pourtant aucun doute : tout est lié à son passage par le plateau d'Albion, d'août 1990 à juillet 1991. Là, aux confins du Vaucluse, le jeune Cocoy -le surnom des commandos de l'air- était au plus près des 18 missiles nucléaires « sol-sol », cheville ouvrière de la dissuasion française jusqu'à leur démantèlement en 1996.

    Convaincu de longue date qu'il a été « irradié pour la France », Leny Paris vient de porter plainte contre l'État au tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan (Landes), dont dépend son domicile.

    Une enquête pour « mise en danger de la vie d'autrui par manquement d'une obligation de sécurité » a été ouverte et confiée aux gendarmes, qui ont entendu vendredi l'ancien commando. Quand bien même le ministère des Armées maintient que « les maladies que peuvent aujourd'hui présenter les militaires anciennement affectés sur ce site ne peuvent pas avoir de lien de causalité direct avec une exposition ».

    Pas d'équipement spécial

    Des mois durant, Leny Paris a donc sécurisé les missiles hébergeant les bombes A et H. Au-delà de convois ponctuels, « j'ai effectué tous les postes de garde », raconte-t-il. Charge à lui et ses camarades de réagir en cas d'alarmes, qu'elles soient « intrusions », le plus souvent des lapins égarés, ou « dosimétriques », en cas de radioactivité supérieure à un seuil que le ministère n'a jamais révélé.

    « Des dizaines de fois, nous avons dû rester sur zone en attendant l'arrivée de techniciens, évoque l'ancien engagé. Parfois pendant des heures. Le reste du temps, nous faisions des rondes autour de l'ogive, silo ouvert. Sans équipement spécial. »

    Ponctuellement, une combinaison ou un masque à gaz lui étaient confiés, la plupart du temps jamais décontaminés. « Qu'est ce qui a été fait par l'État pour empêcher l'irradiation ? Pour l'instant, nous n'en savons rien et attendons qu'une enquête permette de répondre à cette question », prévient Me Emmanuelle Legrand, l'avocate de Leny Paris, persuadée qu'il y a eu « des négligences », et que « la responsabilité morale des autorités doit être reconnue ».

    Des traces de césium et de plutonium

    « Pendant toute la période d'activité sur le plateau d'Albion, le service de protection radiologique des Armées (SPRA) n'a eu connaissance d'aucun incident, assure de son côté le ministère des Armées. Les limites réglementaires n'ont pas été dépassées. » Ses services disent par ailleurs avoir « toujours été transparents sur les suivis dosimétriques des personnels ayant servi sur le site. »

    Une assertion qui fait bondir Leny Paris, lui-même n'ayant jamais été équipé d'aucun dosimètre, et alors qu'il a dû batailler des années durant, notamment via l'aide du médiateur de la République, pour obtenir des relevés généraux dont les spécialistes estiment qu'ils sont inutilisables. « L'armée ne nous donne qu'une partie de la vérité, afin de masquer l'essentiel », accuse-t-il.

    Concernant le plateau lui-même, des traces de césium et de plutonium ont été détectées en 1999, imputées au nuage de Tchernobyl et aux retombées des essais atmosphériques, selon les experts de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI). Ces derniers avaient alors réclamé des vérifications complémentaires, sans qu'il soit donné suite à leur demande.